Nouvelles du Saguenay : veuve de guerre

2008/03/18 | Par Pierre Demers

N.B. Pour les besoins de l’entrevue et la nécessaire confidentialité des propos, indiquons ici que la jeune veuve de guerre n’a pas perdu son soldat parti en guerre en Afghanistan pour la première fois.

Précisons également que nous l’avons interviewée sous un nom d’emprunt, Pénélope Tremblay, nom que peuvent porter toutes les veuves de guerre originaires du SLSJ, nom aussi commun et anonyme ici que…Jean Tremblay.

Tu connais ton chum soldat depuis longtemps ? Pourquoi ne pas l’avoir retenu avant qu’il parte ?

Pénélope Tremblay : On se connaît depuis cinq ans. Il a 21 ans. C’est un fils de militaire. Son grand-père et son père l’étaient aussi. Chez eux, c’est normal d’être dans l’armée.

Après son secondaire 5, il a fait un peu de cégep, mais il n’aimait pas ça. Toutes les fins de semaine, il faisait des stages comme membre actif de la milice à Valcartier.

C’est un fantassin, ils disent entre eux que les fantassins sont comme des poules pas de tête qu’on envoie au front. Ils font n’importe quoi, ils peuvent tout faire. Il a fini par se rendre compte qu’il aimait l’armée, alors il est entré dans la régulière. Il a étudié au collège militaire de Borden en Ontario et finalement, il est devenu soldat à plein temps.

Il voulait aller en Afghanistan pour toutes sortes de raisons, pour le trip aussi. Quand t’es formé pour ça, tu veux vivre l’expérience. C’est un bon soldat, respectueux, avec un bon caractère. Je respecte ses choix. Je suis fière de lui. Je ne l’ai pas torturé pour qu’il change d’avis.

Il était content de partir. Je veux seulement qu’il soit heureux, qu’il s’acomplisse dans ce qu’il aime. C’est mon chum, je l’aime. C’est sûr que c’est pas plaisant pour moi. Mais c’est pas à moi de décider de la vie qu’il veut mener.

Ils ont quelle préparation avant de partir ?

Pénélope T. : Il a eu deux mois intensifs de training, un au Texas et un autre en Colombie Britannique. Il me téléphonait pour me dire ce qu’il faisait là-bas. Je pense qu’ils vont dans ces camps pour des raisons climatiques.

Ils assistent à des témoignages de soldats qui reviennent de guerre. Des psychologues leur expliquent les raisons de la présence du Canada dans cette guerre. On les prépare physiquement et mentalement pour y aller.

Les p’tis gars sont pas motivés d'aller en Afghanistan pour « accroître la sécurité et aider à la reconstruction du pays » comme l’indiquent les communiqués de presse officiels. Ils y vont pour le trip à faire à 21 ans et pour le cash. Ils touchent une prime de risque et une prime d’éloignement non négligeables. Ça motive à partir 7 mois.

Comment ça se passe là-bas ?

Pénélope T. : Ils sont dans la vraie merde. Il y a des changements de température excessifs. Quand ils sont arrivés là-bas il faisait 40 degrés celsius. Leurs vêtements ne sont pas conçus pour de telles températures. Ils baignent dans leur sueur pendant des jours. Surtout pour les fantassins comme mon chum qui sont constamment sur la route. Et puis la chaleur fait place à la pluie, même, une fois, à la neige. Il peut faire aussi froid qu’ici. Il faut qu’ils se protègent contre ça aussi.

Le VLB (Pas le romancier… mais le véhicule lourd blindé) de mon chum a sauté sur une bombe. Il aurait pu mourir bien des fois. Il s’est seulement blessé. Il a été chanceux. Il dit qu’il a le cul béni. Les VLB, c’est là-dedans que les autres sautent quand ils meurent sur les routes. Il n’y a personne de son peloton qui a explosé. Il était dans un groupe plus chanceux que les autres.

Ils ne se lavent pas souvent et quand ils le font c’est avec une douche de fortune. Ils ont des chiffres de fou. Il était toujours sur la route, un fantassin qui va protéger, dépanner, ramasser les autres. Ils mangent des rations. Rarement des repas chauds parce qu’ils s’en font que sur le camp principal. Mais là ils mangent toujours la même chose, de la saucisse et du steak. Ce n’est pas un voyage de plaisance une mission en Afghanistan.

Au début, il avait des problèmes de sommeil. Il se réveillait à chaque bruit suspect. Après il s’est habitué. Quand il y avait des explosions, il restait couché. Il attendait que les autres viennent le chercher. Depuis qu’il est revenu chez-nous, son sommeil est passablement troublé. Il fait des cauchemars, des rêves de guerre, ce sont ses boules de frustration qui sortent. C’est certain que la guerre laisse des traces.

Quels rapports avait-il avec les Afgans ?

Pénélope T. : Ils sont plutôt rares autour d’eux. Il y a des civils sur le camp, des contracteurs, des gens qui travaillent à diverses tâches. Ils n’ont pas le droit de s’approcher des femmes pour éviter qu’elles aient des ennuis. Et les enfants qu’ils rencontrent très souvent leur tirent des roches. Mon chum a été atteint à l’œil par l’une d’elles. Il s’est fait couper l’arcade sourcilière. Beau souvenir de guerre. C’est mieux que de perdre une jambe.
Il a été témoin des pressions constantes des talibans. Ils sont allés porter des vivres à des travailleurs locaux dans un village. Quand ils y sont retournés, les talibans avaient tout brûlé et tué tout le monde.

Les soldats sont bien conscients de travailler dans le beurre. Le Canada est là pour rien. On aide à creuser des puits. Mais est-ce que ça vaut la peine de mobiliser du monde et autant d’argent pour ça ? Il faut être soldat pour se rendre compte de l’illusion d’une telle guerre.
Les anglophones sont plus patriotiques que les francophones. Ils croient encore que le Canada a une mission à remplir en Afghanistan. Pas les francophones. Les soldats de Valcartier y vont pour le trip et le cash. Et aussi parce qu’ils ont été préparés pour ça. C’est une job comme une autre quand t’as choisi l’armée.

Certains pètent les plombs là-bas. Il y en a un dans le groupe de mon chum qui n’a pu rester. Il menaçait de se suicider. Ils ont dû le rapatrier. Ce n’est pas un voyage de plaisance. Ils reviennent transformés. Mon chum est devenu plus terre-à-terre, moins impulsif. Il a pris un coup de vieux. C’est certain qu’il y a des séquelles à faire la guerre. Il se réveille pendant la nuit. L’autre matin, il m’a demandé qui j’étais…en se levant. Il est en train de repasser dans sa tête les mois de guerre qu’il a vécu là-bas.

C’est quoi la vie d’une veuve de guerre ici ?

Pénélope T. : L’armée avait deux noms en cas, le mien et celui de ma belle-mère. On attend le téléphone. Comme ma belle-mère est très malade, elle demeure à domicile et regarde constamment les nouvelles. Elle angoisse encore plus que moi. Il y a le centre de soutien aux familles de Bagotville et de Valcartier qui organise des réunions deux fois par mois. Ça nous aide à passer au travers. Quand un soldat meurt, tout le monde nous demande si c’est le nôtre. C’est ordinaire comme expérience. On finit par s’occuper. Je m’occupe de nos chiens. On n’a pas d’enfants. Les épouses qui ont des enfants souffrent davantage. Je ne voudrais pas être à leur place.

Là mon chum est revenu. Il a changé mais c’est encore le même. Il veut y retourner en 2010. Chez eux, ils sont soldats de père en fils. Depuis qu’il est revenu, son père s’est rapproché de lui. Des fois, la guerre rapproche.