Personne n'en parle !

2008/03/28 | Par Michel Rioux

Le comble du ridicule, c’est qu’il aura fallu un chanteur français, Michel Fugain, pour poser des questions un peu moins lénifiantes que celles des autres acteurs présents ce soir-là sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle.

Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas vue, recréons la scène.

Arrive un p’tit gars de 24 ans, en béquilles. Il se déplace avec difficulté. On apprend qu’il a laissé une partie de sa jambe en Afghanistan. Il s’appelle Mailloux et à son accent, on devine qu’il pourrait venir de Charlevoix. Plein de soldats viennent des régions pauvres du Québec : Gaspésie, Lac-Saint-Jean, Bas-du-Fleuve. Mais très peu d’Outremont ou de Westmount. Quelqu’un finira bien, sans doute, par nous expliquer un jour pourquoi. Quelques jours auparavant, le jeune soldat avait fait la couverture de la revue L’Actualité, avec en prime un gros plan sur sa jambe manquante.

Très rapidement, on comprend que le garçon ne saisit rien des tenants et des aboutissants de la présence militaire du Canada et des autres pays de l’OTAN en Afghanistan. On lui a dit d’y aller et en bon militaire, il y est allé. Même que son souhait le plus cher serait d’y retourner.

Pourtant, tout avait été prévu

Tout, ce soir-là, avait été prévu et mis en œuvre pour faire pleurer Janette dans sa chaumière sur le sort des pauvres petites Afghanes que notre valeureuse armée canadienne protège contre les sanguinaires talibans qui violent les filles, qui les empêchent de s’instruire, qui font le trafic de l’opium, qui sont des suppôts d’Al Qaida.

Il y avait le ministre Michael Fortier, qui plastronnait sur notre rôle de fer de lance de la civilisation. Il y avait même Michel Bergeron, ancien coach des Nordiques, qui témoignait que les p’tits gars qu’il avait rencontrés à Valcartier, c’étaient des bons p’tits gars. Et comme il a la larme facile, on en a vu couler une, juste au moment où il le fallait.

Et le fou du roi, d’ordinaire si prompt sur la gâchette, qui n’a pas dit un mot. Et Guy A. Lepage, d’ordinaire plus curieux, qui s’est contenté d’un rôle de téteux de service.

Et pourtant, comme dans les contes de fées, ce portrait idyllique était vraiment trop beau pour être vrai.

Pauvre Fugain qui s’est retrouvé seul à poser quelques questions comme : Vous pensez pas que ça sent un peu beaucoup le pétrole, cette intervention militaire ? On imagine que c’est en voyant une scène comme celle qui a suivi que La Fontaine a pensé à cette fable où on s’écrie : Haro sur le baudet !

Et pourtant, ça sent le pétrole

Et pourtant, le baudet mettait le doigt sur la vraie réalité des choses, dont malheureusement tout le monde ne parle pas. Les États-Unis ont tellement l’œil sur le pétrole des républiques turkmènes appelé à transiter par l’Afghanistan vers la Turquie qu’ils ont fait élire l’homme des pétrolières à la présidence du pays afghan, en l’occurrence Hamid Karzaï.

Et pourtant, dans un accès de rare franchise, l’ex-président de la Réserve fédérale étasunienne, Alan Greenspan, avouait dans ses mémoires parues il y a tout juste quelques semaines : « Il n’y a qu’une raison pour expliquer notre présence en Irak : le pétrole. »

Et pourtant, il a été maintes fois établi que les bases opérationnelles d’Al Qaida étaient surtout chez le voisin, au Pakistan, plutôt qu’en Afghanistan. Le problème, c’est que le régime Musharraf est l’allié des USA et qu’en conséquence, on lui pardonne ses accointances.

Et pourtant, une récente étude nous apprenait qu’à l’occasion de réunions au sommet de l’état-major de l’armée canadienne, jamais les questions des droits de l’homme ou de la reconstruction du pays n’étaient invoquées pour expliquer notre présence là-bas. Mais c’est sûr que les p’tits gars aiment mieux se dire qu’ils sont là pour la démocratie que pour les intérêts pétroliers des grandes puissances.

Sont tellement convaincus qu’ils sont à l’autre bout du monde pour combattre les talibans qu’ils en voient partout, des talibans. À preuve : n’écoutant que leur courage et prenant leurs bouteilles de bière à deux mains, deux valeureux soldats canadiens n’ont pas hésité à battre comme tapis un suspect qui déambulait avec sa blonde, à Chypre. On civilise ou on civilise pas, hein !

On s’étonnera ensuite que 132 soldats canadiens se soient suicidés depuis dix ans. C’est dur à porter, la lutte pour la civilisation ! Et ça a un coût : 7 milliards $ jusqu’à maintenant !

Cet article est paru dans l’édition d’avril du journal Le Couac