David contre le Goliath radioactif

2008/04/03 | Par Nadia Bouthillette

Dans la région de Trois-Rivières, on s’interroge sur la pertinence de la remise à neuf de la centrale nucléaire de Gentilly-2 à laquelle s’apprête à procéder Hydro-Québec au coût de 1,5 milliard de dollars. Le journal de rue trifluvien La Galère a publié un impressionnant dossier sur le sujet. Nous en reproduisons un article avec l’accord de la rédaction de La Galère.

Marcel Jetté, ex-travailleur à la centrale nucléaire Gentilly-2 aux prises avec un cancer grave, a de profonds doutes quant aux révélations et intérêts d’Hydro-Québec désireux de rénover la centrale nucléaire.

Il s’inquiète pour la santé des travailleurs, de la population régionale et de l’environnement. Voici le parcours d’un homme qui lutte pour la reconnaissance légale de sa maladie professionnelle auprès d’Hydro-Québec et de la CSST.

L’exposition aux radiations

En 1968, M. Jetté a participé à la construction de la centrale de Gentilly-1 et ce, pendant deux ans. Une fois la centrale ouverte, il y est retourné une seconde fois pour y effectuer des réparations; des travaux de soudure réalisés directement sur l’enveloppe du cœur du réacteur, une zone hautement radioactive, et ce, sans protection aucune.

À ce moment-là, Hydro-Québec racontait simplement aux ouvriers heureux d’avoir déniché un travail en région que les milieux ne dégageaient pas énormément de radioactivité et que, de toutes façons, on trouvait maintenant des radiations partout, comme dans les bananes et les noix de coco et qu’on ne s’arrêtait pas d’en manger pour autant.

Hors, tel que stipulé par Beir-VII (comité d’étude de l’Académie nationale des sciences des États-Unis sur les effets biologiques des radiations ionisantes), tout métal ayant été en contact, même une seule fois avec des radiations ionisantes devient radioactif sans espoir de nettoyage.

Plus encore, Hydro-Québec semblait faire preuve de professionnalisme et d’intérêt marqué en épinglant à chaque employé un dosimètre au niveau de l’estomac. (Il s’agit d’un petit appareil permettant de mesurer les doses de radioactivité selon un angle et une distances donnés).

Des données qui disparaissent

Les taux recueillis devaient être envoyés et enregistrés à Ottawa pour chaque travailleur, dans la plus grande impartialité. Une stratégie qui mettait en confiance les employés démunis de connaissances face à une technologie si impressionnante.

Fait bizarre, lorsqu’un travailleur tente par la suite de retracer les taux reçus, les dites quantités si bien gardés sont tout à coup perdues, ou bien réapparaissent avec des donnés à la baisse. Comment s’en sortir en tant que citoyen devant un tel Goliath radioactif?

« Nous n’étions pas avisés des vrais risques auxquels nous étions exposés puisqu’il y avait des endroits dans la centrale où le rayonnement était très fort et dont le dosimètre ne pouvait enregistrer avec exactitude dû à l’infime portion que représente l’appareil sur la grandeur du corps et à la position de la personne versus l’angle des rayonnements.

Les différents secteurs étaient ouverts à tous les ouvriers qui pouvaient se promener indifféremment : de champs de rayonnement radioactifs intenses à la salle à manger, sans inquiétudes ni méfiance. » Comment évaluer ces rayonnements invisibles?

C’est par hasard qu’un jour, accompagné d’un ingénieur muni d’un appareil sophistiqué, M. Jetté s’est fait dire de stopper son élan dans une zone hautement à risques. Ce passage, il l’avait emprunté plus d’une fois… Après des années de recherche sur le sujet, notre travailleur intéressé sait maintenant qu’un joint de soudure soumis aux rayonnements gamma non loin de soi est porteur, comme toutes radiations, de radioactivité cumulative et irréversible pour l’être humain.

Pas informé des risques

De retour en 1993 puis en 1995 à Gentilly-2, M. Jetté était cette fois engagé par Babcock & Wilcox, un sous-contractant d’Hydro-Québec pour la centrale. Hydro-Québec demeurait toutefois responsable de la sécurité des lieux et des travailleurs. Celle-ci les avait un jour informés qu’ils allaient prendre 1 rem, peut-être 2… maximum 5 rems par année. Elle ne leur disait pas qu’il n’y avait pas de doses d’exposition sécuritaires, mais plutôt qu’en bas de leurs normes, soit 5 rems de radioactivité, il n’y a aucun problème.

Même s’ils prétendent le contraire, les porte-parole d’Hydro-Québec savent bien qu’il y a des risques. S’ils avaient été le moindrement responsables, ils auraient considéré le rapport de Beir-VII dans l’évaluation des dangers et ils reconnaîtraient les risques de maladies associées.

Le gouvernement américain oblige pour sa part la compagnie Babcock & Wilcox, propriétaire d’au moins deux centrales nucléaires aux États-Unis, à indemniser ses travailleurs atteints d’un cancer ou de tout problème de santé professionnel dès l’apparition des symptômes survenant après quatre ans ou plus d’exposition, et ce, peu importe la dose reçue. Pour notre histoire, Marcel Jetté n’est malheureusement pas américain.

La réclamation auprès de la CSST

En 1997, suite à l’annonce du diagnostic du cancer incurable, M. Jetté s’est adressé à la CSST pour faire une demande de réclamation conformément à la loi en vigueur au Québec.

Il ne se doutait pas à ce moment de l’ampleur des démarches et des embûches qui l’attendaient. Hydro-Québec s’objecte devant la Commission des lésions professionnelles et engage de pseudos spécialistes affirmant sans scrupules qu’une personne n’a pas reçu suffisamment de doses pour être lésée.

Considérant les difficultés d’enregistrement et d’émission de ces substances, qui peut prétendre connaître les vraies doses d’émissions et ensuite sous-estimer leurs impacts?

En faisant une demande d’accès à son dossier au sujet des doses de radiations reçues en 1970-1971 et 1993-1995 à la Commission de contrôle d’énergie atomique du Canada (aujourd’hui la Commission de surveillance du nucléaire), M. Jetté se rend compte de la supercherie : « Hydro nous a menti puisqu’en réalité, ils n’ont jamais envoyé les données à Ottawa. Ils développaient les dosimètres eux-mêmes et inscrivaient les doses qu’ils voulaient bien écrire : Hydro-Québec régnait en roi et maître. »

Ce n’est que plus tard, à force de lettres et de missives, que la Commission a reçu les taux de M. Jetté, des taux vraisemblablement falsifiés par Hydro pour se dégager de leur imputabilité. M. Jetté n’est d’ailleurs pas le seul travailleur de Gentilly-2 à avoir vu ses dossiers disparaître ou modifiés ultérieurement.

L’avocat se désiste

Par la suite, un avocat réputé qui s’était engagé à le représenter à la Commission des lésions professionnelles a premièrement reporté sa cause pendant 5 ans prétextant que ça l’avantagerait pour, finalement, à un mois de la date de parution, se désister sans raison apparente et rembourser une partie de ses honoraires à M. Jetté. De sérieux doutes d’arnaques subsistent jusqu’à ce jour.

Quelques jours précédant la rencontre, Monsieur Jetté a ensuite refusé un règlement à l’amiable, soit 40 000 $ offerts par les avocats de Babcock en échange de son silence. Pour lui, cela aurait été d’admettre l’impunité de l’entreprise d’État, et de laisser d’autres travailleurs comme lui mourir sans reconnaissance ni recours devant cette énorme injustice. Armé d’une jurisprudence, de sa franchise et de sa volonté, M. Jetté a donc entrepris de se représenter seul à une audition qui a duré 5 jours au bout desquels, il est sorti perdant.

Ce que M. Jetté demande encore aujourd’hui, c’est que son cancer, un lymphome non-hodgkinien indolent, habituellement reconnu en pratique médicale comme dans la littérature être en relation avec des radiations ionisantes, soit effectivement attesté légalement avoir été causé par ses antécédents de travail. En comparaison, une loi américaine indemnise les personnes qui habitent sous le vent d’expériences atomiques ainsi que ceux qui travaillaient dans les mines ou au transport de l’uranium.

Informer les travailleurs des risques

M. Jetté aimerait bien renseigner les travailleurs actuels de la centrale des risques qu’ils encourent. Si l’entrée sur le terrain lui est dorénavant interdite, cela ne l’empêche pas de participer au débat sur l’avenir de la centrale, de passer à la télévision et d’accepter des entrevues pour passer son message.

Les travailleurs de l’Union se rangent malheureusement du côté de la compagnie pour protéger leurs jobs. Les gens pensent à leur niveau de vie, à leurs salaires, à leurs autos et leurs propriétés… mais très peu à l’avenir de leur santé. Et, comme vous vous en doutez sûrement, les travaux les plus à risques sont effectués par les sous-contractants, alourdissant le constat d’imputabilité à émettre contre notre société d’État.

« La pilule d’iode donnée à tous les citoyens aux alentours de la centrale en cas d’explosion a peut-être un effet protecteur en saturant la glande thyroïde, et en empêchant l’absorption de l’iode contaminée. Ça ne veut pas dire que les gens sont pour autant protégés des autres complications et dommages créés dans le système par une multitude d’autres éléments radiotoxiques. »

Pourtant, d’autres anciens travailleurs de la centrale de Gentilly-2 sont déjà passé par ce long couloir. Une jurisprudence existe donc déjà. René Lamothe est de ceux-là; lui qui avait été contaminé à une jambe lors d’une opération faite dans un vaisseau de la centrale. Congédié le jour même et renvoyé chez lui. Tout ce qu’il avait touché suite à sa contamination ce jour-là avait été mis directo dans de « grands sacs verts »… Un autre a été indemnisé à l’amiable (à quel prix?)… l’entente signée l’oblige à ne rien révéler.

« Je me débats parce qu’il faut qu’il y en ait qui se rendent au bout du processus sans quoi, il ont beau jeu de dire que jamais personne n’a été contaminé ou n’a développé de maladies incurables des suites des années de travail à la centrale nucléaire. On me traite comme si j’étais le premier à être malade… ce qui est absolument faux.

Il faut fermer Gentilly-2

À la question : devrions-nous rénover la centrale nucléaire?, sa réponse est claire : définitivement non! Elle devrait être fermée sans plus tarder et elle ne devrait surtout pas être rénovée parce qu’elle est à risque élevé pour l’environnement et la santé humaine.

Tant qu’elle fonctionne, la centrale nucléaire rejette de façon continue dans l’air et dans l’eau, des radionucléides comme du plutonium 239 et plusieurs autres. Même chose pour l’entreposage des déchets radioactifs. En termes de santé, on parle de maladies du cœur, de l’ischémie coronarienne et de boursouflures dans les veines du cœur, de difformités congénitales, de leucémies, de cancer du poumon, de l’utérus et le cancer du foie, et de plusieurs problèmes puisque les radiations désorganisent l’ensemble des fonctions du système.

Pour terminer, M. Jetté invite tout le monde à se renseigner sur la situation. Les gens devraient participer aux assemblées sur le sujet et dire leurs opinion sur la réfection de la centrale. C’est le seul moyen de faire en sorte que ça ferme. Écrivez à vos députés ! Le maire de Trois-Rivières Yves Lévesque dit haut et fort qu’il a confiance au nucléaire et se sentirait en sécurité d’habiter à proximité de la centrale avec ses enfants. M. Jetté, qui aurait aimé l’informer sur le sujet pour l’en dissuader, s’est fait couper sèchement la parole dans un récent conseil de citoyens.