Journées Michel-Chartrand

2008/04/07 | Par Manon Blanchard et François Cyr

PhotoLes 28 et 29 mars, se tenaient en Montérégie la première édition des Journées Michel-Chartrand. Plus de soixante-quinze personnes y ont participé, dont Michel Chartrand. Nous reproduisons l’allocution d’ouverture de Manon Blanchard et François Cyr.

Bonjour tout le monde et permettez-nous de vous souhaiter la plus chaleureuse des bienvenues à cette première édition des journées Michel-Chartrand.

Première édition? Oui. Autant vous le dire tout de suite: nous avons l'intention de récidiver et ce, chaque année. Parce que nous sommes convaincus que la gauche au Québec a besoin de multiplier les lieux, les espaces, les publications pour réfléchir, discuter afin de mieux lutter dans ce monde dominé par le prêt à penser idéologique, les idées reçues, particulièrement dans le secteur des conditions de vie et de travail, ce que nous appelons les classes populaires et les classes moyennes.

L’évolution des classes populaires et moyennes

Voilà pourquoi nous avons choisi pour ce premier colloque de nous intéresser à l'évolution des classes populaires et des classes moyennes dans un contexte de mondialisation où le rôle d'intervention de l'État est radicalement remis en question par l'omniprésence des politiques néolibérales.

Ainsi, on oublie que dans cette période qui va de 1945 au milieu des années 1970, la majorité des emplois créés dans les pays du nord (à l'exception du Japon) l'ont été suite à l'expansion des secteurs publics et parapublics.

Cet âge d'or des classes moyennes syndiquées est-il derrière nous alors que partout il n'est question que de précarisation du travail, de privatisation, de partenariat avec le privé lorsque ce n'est pas de fermeture pour fin de relocalisation dans des pays où le coût de la main
d'oeuvre est inférieur au nôtre?

Un image idyllique dépassée

Derrière nous cette image d'une classe moyenne laborieuse, économe et prospère paisiblement installée dans son bungalow de banlieue alors qu'on parle de plus en plus d'endettement lourd, de travail précaire mais aussi d'écart croissant entre les revenus alors que les politiques fiscales n'arrivent plus à prélever sa juste part chez les plus riches, particulièrement les grandes entreprises.

Selon la Chaire socio-économique de l'UQAM, les entreprises au Québec paient 42 % moins d'impôt qu'il y a 40 ans alors que leurs bénéfices a triplé. Plus concrètement, en 1964, le gouvernement québécois percevait 62 % de ses recettes fiscales chez les particuliers, contre 38 % auprès des compagnies. En 2004, c’est 88 % des revenus fiscaux qui proviennent des individus, contre un maigre 12 % pour les entreprises.

Elle est loin derrière nous cette image où le labeur menait à la sécurité dans une Amérique où l'économie, c'est-à-dire en dernière analyse le travail, se traduit désormais par les spéculations des traders du capital financier forçant ainsi 1 300 000 ménages américains en 2007 à rendre leur modeste propriété aux banques.

Il ternit beaucoup ce mythe où le surtravail acharné menait au confort, voir au succès pour les nôtres alors qu'on sait qu'une part importante des nouveaux salariés, surtout les jeunes précaires, vivent une situation d'appauvrissement pendant que leurs aînés, ces retraités gras durs voient leur rente de retraite rognée par l'inflation, parce que partiellement indexée.

Des écarts croissants

En vérité, les écarts se creusent et quelquefois de façon vertigineuse. Qu'on en juge. Les 100 patrons les mieux rémunérés au Canada doivent consacrer 9 heures et 33 minutes de dur labeur pour gagner le salaire annuel moyen du salarié au Canada soit $38,998.

Tous les indicateurs le confirment: l'écart entre les revenus moyens et celui des patrons les plus riches ne cesse de s'accroître. En 1998, le revenu moyen des patrons les plus riches dépassaient de 104 fois le salaire moyen au Canada. En 2006, on parle d'un écart 218 fois plus élevé.

Un dernier chiffre. De 1998 à 2006, nos salaires moyens augmentaient de 18%. Ceux des patrons de 146%. Ces chiffres nous font mesurer l'importance décisive du rôle de l'État, d'un État outillé d'une politique fiscale efficace et progressiste pour que tous contribuent véritablement en fonction de leurs moyens.

Le retour de l’analyse de classes

Vous aurez compris que nous sommes de ceux qui croyons qu'il faut nommer un chat un chat et qu'il est peut-être temps de remettre à l'ordre du jour des analyses et des constats où on prend en compte les différents intérêts des classes sociales afin de mieux comprendre comment fonctionne notre société.

Pendant longtemps nous avons cru que vivre et travailler fort dans un pays qu'on dit riche, acquérir et maintenir une solide formation professionnelle, nous garantissait une vie relativement confortable, à l'abri de l'appauvrissement, préparant une retraite paisible et heureuse. Il y a quarante ans, on nous parlait même de civilisation des loisirs....

Même dans nos banlieues, d'ailleurs beaucoup moins cossues qu'on le dit, on constate que l'adhésion à cette classe moyenne, classe d'accueil plus mythique que réelle pour beaucoup, doit être questionnée.

Ce questionnement peut conduire à plusieurs constats. D'abord, que cet âge d'or des classes moyennes en Amérique du Nord et en Europe de l'ouest correspond à une phase très particulière de l'histoire récente. Celle que les économistes ont appelés les 30 glorieuses et qui va de l'après guerre au milieu des années 70.

Elle s'appuie sur de très grandes avancées de l'État interventionniste dans les secteurs de la santé, de l'éducation et des services sociaux. Elle s'explique aussi par une vigueur des luttes syndicales et par une importante croissance du secteur communautaire.

Ces années correspondent aussi à une forte demande de biens de consommation mais aussi à une surexploitation des ressources au nord et, il ne faut surtout pas l'oublier, au sud également.

Une nouvelle conjoncture

Nous sentons tous et toutes, souvent un peu confusément, que cet âge d'or est derrière nous. La crise des régions ressources à bout de souffle parce que surexploitées, la délocalisation des emplois dans plusieurs secteurs, la précarisation croissante du travail et le désengagement de l'État en sont sans doute les principales manifestations.

À cela s'ajoute cette pression à la baisse du pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires ainsi que d'importantes brisures du filet de protection sociale comme en témoigne les innombrables contre-réformes de l'assurance-emploi et de la sécurité du revenu. D'où l'endettement croissant avec son cortège d'angoisse. La récession qui s'annonce sans doute aux États-Unis ne pourra sans doute, faute de politiques progressistes adéquates, que renforcer ces tendances lourdes.

Ces classes moyennes qui constatent cette panne de l'ascenseur social ont quelquefois tendance à voir dans l'État interventionniste la cause du phénomène et adhèrent quelquefois au discours populiste ambiant sur les baisses d'impôts, les privatisations voir l'incompétence sinon la paresse
des individus à faire leur place au soleil.

Ce discours nous est distillé quotidiennement par des médias de plus en plus concentrés et intégrés, alimentés par de savants think thank comme l'Institut économique de Montréal. Ce discours, vous le connaissez, il nous submerge, nous entoure et quelquefois même nous imprègne

Une autre parole

Mais il y a une autre parole, trop peu audible, souvent dénigrée que nous voulons entendre et ce colloque ne sera qu'une modeste occasion de le faire. Ainsi, tout ce samedi sera consacré à proposer à la fois des analyses et des témoignages afin de dresser un bref tableau de l'état des lieux.

Dimanche, nous poserons la question des pistes de solution afin de raviver la discussion autour du nécessaire partage de la richesse, fondement de la démocratie économique et sociale.

Avec l'accord du principal intéressé, nous avons choisi, de nommer notre projet, et l'organisation qui le sous-tend, en hommage à celui dont la vie est synonyme de combat pugnace pour la justice sociale, des droits du monde ordinaire mais aussi l'indépendance de notre pays.

C'est en pensant à cet éminent montérégien que nous avons écrit dans le formulaire administratif nécessaire à l'enregistrement de nos activités que les objets des journées Michel Chartrand sont dédiés à:

- promouvoir et susciter l'éducation populaire dans le secteur des politiques sociales et du monde du travail;

- faire de l'éducation populaire dans le secteur des politiques sociales et du monde du travail.

Promouvoir et faire de l'éducation populaire en politique sociale et dans le monde du travail, Michel continue à faire ça et ce, depuis son plus jeune âge. Souhaitons nous d'en faire autant avec la même audace et le même courage. La même longévité aussi. Merci Monsieur Chartrand de nous inspirer et bon colloque à toutes et tous !

Photo Yvon Gravel