Les infopauvres bientôt branchés ?

2008/04/07 | Par Camille Beaulieu

Québec injectera 20 millions $ sur cinq ans pour déployer Internet haute vitesse partout sur son territoire. Le nouveau programme, « Communautés rurales branchées », financera les infrastructures reliant des serveurs Wi-Fi au réseau large bande qui dessert déjà par fibre optique les institutions dans la plupart des villages québécois.

Le ministre des Finances Monique Jérôme-Forget prédit, dans son discours sur le budget du 13 mars dernier, que ces infrastructures permettront aux régions de participer à la nouvelle économie numérique. « Les entreprises privées comme Bell, Telus et Vidéotron s’en serviront pour offrir le service aux entreprises et aux citoyens. »

Ce programme vise les infopauvres a confirmé la ministre, ce 10%, selon elle, des Québécois abandonnés sur l’accotement de l’autoroute de l’Internet ; bref, les populations rurales un peu partout au Québec. Ainsi, ce gouvernement qui a gaffé en réservant son programme « Villages branchés » aux institutions, s’apprête à récidiver !

80% du territoire est concerné

Contrairement aux affirmations de madame Jérôme-Forget, tout le monde peut se brancher immédiatement par Internet satellitaire au Québec… un service relativement efficace, mais bien trop cher. Le no man’s land sans Internet par câble ou WiFi exclut en réalité quelque 20% de la population et plus vraisemblablement 80% du territoire québécois plutôt que 10%.

Dans leur agenda timoré, nos technocrates s’octroient cinq ans pour compléter un programme, qui, pour comble, ne démarrera qu’en 2009. On parle ici de services essentiels et de technologie en pleine évolution.

Deux générations en retard

Tout nouveau il y a peu de temps, le WiFi retenu par Québec retarde déjà de deux générations. Le WiMax et le xMax sont plus performants, moins chers, plus souples. Dans six ans, une éternité en informatique, ces technologies tiendront sans doute du char à bœufs. Qu’importe, puisque, de guerre lasse, un pourcentage significatif des régionaux sera alors abonné à des entreprises satellitaires internationales.

Pour comble, l’annonce ministérielle révèle que les premiers bénéficiaires du programme sont ces entreprises de télécommunications qui, dans plusieurs régions, discréditent le WiFI depuis des années, tergiversent pour empocher les profits du statu quo, et multiplient les bâtons dans les roues des petits serveurs Internet coopératifs et communautaires.

Ces grosses entreprises qui ont du cuivre dans les veines et un signe de piastre entre les oreilles hériteraient ainsi d’un nouveau monopole aux dépens de communautés sans défenses. Or, l’Internet c’est petit, c’est intelligent, c’est rapide… loin de ces éléphants de la téléphonie et de la câblodistribution.

D’un gâchis à l’autre

Ce coup de pouce de Québec intervient deux ans après que le CRTC eut ordonné à Bell Canada, MTS Allstream Inc., Saskatchewan Telecommunications, TELUS Communications Inc., Aliant Telecom Inc et à la société en commandite Télébec d’utiliser, pour implanter Internet à haute vitesse en milieux ruraux, les 650 millions de dollars surfacturés à leurs clients par suite du plafonnement des prix imposé en 2002. Ces fonds dormaient alors dans les comptes de report de chacune de ces entreprises.

Les compagnies ont contesté cette ordonnance devant les tribunaux, pour se voir déboutées devant les tribunaux en janvier dernier. Elles en appellent actuellement de cette décision devant la Cour suprême du Canada.

Ces fonds dorment donc toujours dans des comptes de report, même si le CRTC a réémis son ordonnance en février dernier. Pendant ce temps, les ruraux attendent un service essentiel ou paient trois fois plus cher pour un lien satellitaire. D’où la nécessité, dont tous conviennent, de « Communautés rurales branchées ».

Le ministère des Finances du Québec, malheureusement, semble privilégier ces mêmes machines à exporter les profits vers Montréal, Toronto ou New York. Au risque de pénaliser des dizaines de petites entreprises privées, coopératives ou communautaires, qui aux quatre coins du Québec ne demandent que ça, depuis des années : distribuer la haute vitesse de pointe en milieux ruraux et générer emplois et profits pour les régions.

Un espoir peut-être ? Le ministère des Affaires municipales et des Régions, responsable du programme « Communautés rurales branchées », en fera connaître les modalités dans quelques semaines. Peut-être certains à Québec auront-ils alors tirés les leçons des expériences, des tergiversations et des gâchis passés ?