Y aura-t-il un nouveau CHUM ?

2008/04/09 | Par Pierre Dubuc

La direction du futur Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) annonçait récemment la levée de la première pelletée de terre au cours de l’été 2009. Mais il y a tellement de zones d’ombre dans ce projet qu’on est en droit de se demander s’il verra le jour.

Louis Roy, premier vice-président de la CSN, suit le dossier de près, mais avoue qu’il y a un manque complet de transparence pour le projet du CHUM, contrairement au projet du CHU-McGill. « C’est le jour et la nuit. À McGill, on peut même parler de transparence. On est tenu au courant de l’évolution du projet par la présence de représentants de nos syndicats sur le comité de gestion. Au CHUM, on ne sait rien. »

Louis Roy explique ainsi la différence entre les deux approches. « À McGill, on s’est rapidement entendu sur le site. Tout le lobby anglophone est uni autour de la fondation de l’hôpital. L’argent du secteur privé est là. »

Du côté francophone, on se rappellera du débat houleux entourant le choix du site. Le CHUM, d’abord annoncé en 2000 pour 2006, devait voir le jour sur les terrains de la STCUM au 6000 St-Denis, coin Bellechasse. Puis, suite au lobby du recteur de l’Université de Montréal, appuyé par Paul Desmarais, on a envisagé de le localiser dans la cour de triage du Canadian Pacific à Outremont.

Au terme d’une longue saga, où le ministre Couillard a réussi à imposer son choix au premier ministre Charest, il est déménagé au 1000 St-Denis où se trouve l’hôpital St-Luc.

Selon Louis Roy, ces péripéties reflétaient également les tensions entre les médecins et les administrations des trois hôpitaux qui seront regroupés dans le nouvel établissement, soit les centres hospitaliers de St-Luc, Notre-Dame et de l’Hôtel-Dieu.

La classe d’affaires frappé d’immobilisme

Il faut aussi ajouter que le milieu des affaires, qui obéit le plus souvent à l’œil et au doigt à Paul Desmarais, n’exprime pas beaucoup d’enthousiasme à se cotiser pour le nouveau projet.

Dans un récent éditorial, exactement deux ans, jour pour jour, après le choix de l’emplacement St-Luc, l’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte, reconnaissait qu’« après des mois de recherche, on n'a toujours pas trouvé la personne qui présidera la campagne auprès des grands donateurs, dont on attend la moitié des 200 millions venant du privé ».

Au cours de la même semaine, la direction du CHUM annonçait la levée de la première pelletée de terre pour l’été 2009 pour un édifice devant être terminé en 2013. Bien plus, la direction a choisi de commencer les travaux modestement en concentrant son énergie autour de son Centre de recherche, qui n'accapare que le cinquième du budget consacré au méga-hôpital francophone. Et, encore là, Clermont Gignac, le patron du projet de construction, n’a pu dire aux journalistes si l’édifice comprendrait 8, 10 ou 12 étages!

Le plus important PPP au monde

Un des aspects qui font le plus tiquer Louis Roy et la CSN, c’est que les deux méga-hôpitaux seront construits en Partenariat Public Privé (PPP). « À 3,6 milliards actuellement, c’est sans doute le projet en PPP le plus important au monde. Les risques sont énormes. »

La CSN suit de près le dossier des PPP à l’échelle internationale. Louis Roy a récemment participé à des réunions de l’OCDE à ce sujet où la Centrale s’est employée à démolir les arguments favorables aux PPP. Dans le Mémoire présenté à cette occasion, la CSN démontre que les PPP ne réduisent pas les coûts des projets, n’ajoutent rien aux investissements publics, n’améliorent pas la qualité des infrastructures et des services à la population, ni ne contribuent à l’amélioration de l’emploi et des conditions de travail des employés.

C’est ce qu’a révélé l’étude de plusieurs PPP à travers le monde, si bien que l’OCDE, nous dit Louis Roy, est de plus en plus réticente à l’égard des projets en PPP. Au Québec, « la direction du CHU-McGill est hostile au modèle PPP qu’elle s’est fait imposer ».

Louis Roy ajoute que, « malgré les prétentions contraires de ses promoteurs, les PPP ne transfèrent pas les risques au privé » et il en donne pour preuve que, si les constructions neuves ont été octroyées en PPP, la rénovation de l’Hôpital St-Luc ne l’a pas été. « Avec la rénovation, il y a trop de risques. On ne sait pas ce qu’on va trouver en ouvrant les murs. »

Les PPP ouvre la porte à sous-traitance

Une des craintes de la CSN est que les promoteurs liquident certains services comme la buanderie ou la cafétéria – et les donnent en sous-traitance – pour respecter les contraintes budgétaires. À ce chapitre, les propos des promoteurs entendus lors de l’annonce de la première pelletée de terre n’ont rien pour le rassurer.

Selon le journaliste Denis Lessard de La Presse (8 avril 2008), « la direction garde sous la main des plans B et C dans l'éventualité où tout ne se passe pas comme prévu ».

Le patron du CHUM, le docteur Dr Denis-Richard Roy, a aussi reconnu en commission parlementaire que le nombre de salles de radiologie pourrait être diminué pour contenir l'augmentation des coûts. Pour l'heure, tout ce qui paraît assuré dans le projet francophone, c'est que 700 lits devront être disponibles.

Retards dans la planification, absence d’enthousiasme de la communauté d’affaires, il ne manquerait plus qu’une récession pour repousser aux calendes grecques ce méga-projet bicéphale, complètement disproportionné pour les besoins de la population et les ressources du Québec.

Un scénario possible serait que le CHU-McGill aille de l’avant, pendant que le CHUM stagne. On imagine la crise politique qu’il en résulterait.

Bien que des groupes se soient prononcés pour la construction d’un seul CHU ou même contre les deux projets en plaidant plutôt pour la rénovation des installations existantes, la CSN n’a pas pris position dans ce débat. Mais Louis Roy n’en croit pas moins qu’on n’a pas fait la démonstration que les deux monstres vont améliorer les services à la population.