La justice des vainqueurs

2008/04/10 | Par Bernard Desgagné

Dans « La difficile justice » (Le Devoir, 5 avril 2008), Gil Courtemanche parle de Paul Kagame, président actuel du Rwanda, comme d’un gros poisson difficile à attraper pour la justice. Voilà une amende honorable pour l’auteur d’un roman dont la toile de fond est la version officielle du génocide rwandais. Dans cette version, loin d’être un gros poisson qui commandite des criminels de guerre, Kagame est le sauveur qui a mis fin au génocide de 1994.


Malheureusement, dans le même article, M. Courtemanche fait l’éloge du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR), joujou des Américains et de Kagame lui-même. M. Courtemanche écrit que le TPIR a été « exemplaire sur le plan de la recherche de la justice », ce qui est faux. Voici quelques faits importants pour que le lecteur puisse en juger.


1. On a pris soin d’exclure du mandat du TPIR la période de 1990 à 1993, pendant laquelle l’Armée patriotique rwandaise (APR), qui était en fait une partie de l’armée ougandaise sous les ordres de Kagame, a envahi le Rwanda et s’est livrée à des exactions contre des civils de même qu’à un nettoyage ethnique. Un million de personnes se sont retrouvées dans des camps de réfugiés aux portes de Kigali. Les observateurs étrangers n’étaient pas autorisés à se rendre dans la zone occupée par l’APR.


2. On a exclu aussi du mandat du TPIR les évènements postérieurs à 1994, alors que l’APR faisait sa prétendue chasse aux génocidaires en République démocratique du Congo, y bombardant des camps de réfugiés rwandais à l’arme lourde, comme si la faim et le choléra ne suffisaient pas.


3. L’évènement déclencheur du génocide, soit l’attentat contre l’avion transportant Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, présidents du Rwanda et du Burundi, faisait partie du mandat, mais a été exclu de l’enquête par Louise Arbour, pour des raisons boiteuses. Kagame a toujours essayé de mettre cet attentat sur le dos des extrémistes hutus ou des Français, mais la preuve recueillie contre l’APR est désormais accablante. On sait aujourd’hui que l’attentat a été commis au moyen d’un missile soviétique acheté par l’Ouganda et vraisemblablement tiré par l’APR.


4. Des ouï-dire ont été admis dans les témoignages présentés au TPIR, et la traduction des témoignages en kinyarwanda a connu de multiples ratés.


5. Des témoins entendus par le TPIR étaient sous l’emprise de la dictature de Kagame, et des interprètes ont voyagé dans le même avion que des témoins. C’est un peu comme si, à Nuremberg, on avait confié des témoins à la bonne garde des nazis. Amnistie Internationale a dénoncé la fabrication de preuves et les syndicats de délateurs qui sont monnaie courante au Rwanda depuis 1994.


6. Carla del Ponto, procureure en chef du TPIR, explique dans le livre qu’elle vient tout juste de faire paraitre, La caccia — Io e i criminali di guerra, que, pendant son enquête, Kagame a fait mettre le parquet sur écoute au moyen du matériel de surveillance fourni par les Américains. Autrement dit, Kagame et ses hommes étaient informés en temps réel des faits et gestes des enquêteurs.


En somme, les travaux du TPIR n’ont été qu’un simulacre de justice visant à faire oublier la responsabilité de Kagame dans le drame qui se poursuit encore aujourd’hui.


L’histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on. C’est particulièrement vrai dans le cas du Rwanda, où les vainqueurs ont gagné le droit de cacher leurs crimes.