Une charge injustifiée

2008/04/16 | Par L’aut’journal 

Les quatre auteurs sont professeurs d’université et ils étaient membres jusqu’à récemment du Comité de suivi de la situation linguistique de l’Office québécois de la langue française.


La présidente de l’Office québécois de la langue française s’en est prise violemment au Comité de suivi de la situation linguistique de cet organisme devant la Commission parlementaire de la culture le mardi 8 avril dernier. Madame Boucher nous a accusés « d’avoir censuré les travaux des chercheurs». Cette accusation entièrement fausse nous choque et, avec le recul, nous attriste. Nous souhaitons donc rétablir les faits.

Une accusation inadmissible

Le Comité de suivi de l’Office a un rôle purement consultatif. Il n’a aucune autorité sur les chercheurs de l’organisme. Il donne un avis scientifique aux membres de l’Office sur les qualités, forces et faiblesses des études et travaux qui lui sont soumis. La direction de la recherche fait ensuite ce qu’elle veut de ces avis et seuls les huit membres de l’Office ont l’autorité d’adopter les rapports et fascicules. Nous n’avions donc pas le pouvoir de censurer quoi que ce soit.

Ce mot de censure nous choque et il est inadmissible. Nous sommes en faveur des débats et des échanges et résolument contre toute forme de censure. Nous sommes quatre professeurs d’université, attentifs à la recherche de la vérité et attachés au plus haut point à la rigueur scientifique dans l’analyse des données. Les procès verbaux de nos vingt réunions tenues en cinq ans en sont témoins. Ils font état de très nombreuses remarques visant à améliorer la fiabilité des travaux. On n’y trouvera aucune proposition pouvant être qualifiée d’appel à la censure. Nos débats au sein de l’Office ont porté sur des faits, des analyses et des méthodes, non sur des prises de positions idéologiques. C’est pour cela que l’Office nous avait nommés.

En cinq ans, l’Office a publié près de vingt études et fascicules. Ils ont tous été étudiés avec célérité par notre Comité, au fur et à mesure qu’ils étaient soumis. Nous n’avons examiné la plupart qu’une seule fois, car ils ne posaient pas ou peu de problèmes sur le plan scientifique. D’autres ont exigé deux examens à cause de la complexité du thème (l’étude prévisionnelle de Marc Termote, par exemple).

Quelques travaux nous sont parus plus faibles et ont appelé de profonds remaniements, dont certains textes donnés à contrat ou écrits à plusieurs mains. Par respect pour les personnes, nous ne donnerons pas d’exemples concrets. Les membres de l’Office ont d’ailleurs suivi nos suggestions quant à l’opportunité de publier ou non certains travaux ou d’en diffuser d’autres à tirage limité ou à l’interne, par exemple parce qu’ils étaient jugés trop pointus.

Si retard il y a eu dans la rédaction des travaux, cela dépendait surtout de la complexité des analyses à faire, de la célérité des auteurs à apporter les corrections qui s’imposaient pour assurer la qualité, ou encore de la lourdeur des tâches confiées au personnel de recherche. Ces retards ne sont nullement dus à nos attentes excessives, comme l’a donné à entendre madame Boucher.

Qui est responsable du retard ?

La plupart des travaux de recherche ont été mis en route à partir de l’automne 2002 (date de nomination de trois d’entre nous) et après. Il est donc normal qu’ils aient été prêts des mois et des années plus tard. La recherche prend du temps. Cela dit, nombre d’entre eux étaient fins prêts depuis longtemps, approuvés par le Comité de suivi et adoptés par l’Assemblée des membres de l’Office, au moment de leur diffusion en mars dernier. Simon Langlois, qui était aussi membre de l’Office, peut en témoigner et les procès verbaux officiels en attestent.

Les très nombreuses publications rendues publiques en même temps, le 5 mars à Québec (dans le cafouillis que l’on se rappellera), n’ont pas été rédigées ni adoptées comme cela, tout d’un coup, par une opération du Saint-Esprit. Qui donc les avaient retardées ? Le Comité de suivi, comme le soutient madame Boucher ? Cela ne tient pas la route et il est injuste de nous avoir publiquement accusés d’avoir été la cause du retard.

Depuis un an, au cours des réunions mensuelles des membres de l’Office, l’un de signataires (SL) a souvent soulevé la question de la diffusion des études et fascicules déjà approuvés. La réponse officielle de la direction de l’Office était toujours la même : que «le tout était en discussion avec le ministère de la culture». Madame Boucher affirme avoir fait des pressions pour que les travaux de recherche avancent ; pourquoi donc alors ont-ils été diffusés si tardivement ? C’est plutôt cet aspect qui devrait être questionné.

Donnons un exemple précis. La plus médiatisée de ces études, celle du professeur Marc Termote sur les prévisions de population selon la langue, a été examinée pour la seconde (et dernière) fois au Comité de suivi le 13 septembre 2006. Nous avions alors fait nos dernières remarques sur des points mineurs et donné un avis favorable. Ce travail a été rapidement par la suite adopté officiellement par les membres de l’Office.

Or, l’étude n’a été rendue publique que le 5 mars 2008. Ce n’est tout de même pas le comité de suivi qui a retardé indûment sa publication (contrairement à ce qu’un chercheur retraité de l’office, Michel Paillé, a laissé entendre de manière erronée). Il en va de même pour les autres travaux : nous les avons examinés avec célérité.

Résumons-nous. Retards indus de notre part? Non. Censure de notre part? Absolument pas. Critiques abusives? Pas du tout. Que l’on consulte les comptes rendus écrits de nos réunions.

Des critiques vicieuses et injustifiables à l'endroit d'un chercheur

Un dernier point. L’un de nous, Charles Castonguay, a été nommément pris pour cible et il a été l’objet de critiques vicieuses. Un ex-chercheur de l’Office l’a attaqué personnellement (Le Devoir du 6 mars 2008) et madame Boucher a repris en Commission parlementaire, sans plus ample vérification, certains de ses propos pour appuyer sa charge contre notre Comité.

Déjà injustifiable en soi, ce procédé l’est encore plus devant une institution comme l’Assemblée nationale de la part d’une personne occupant une charge de haut fonctionnaire de l’État.

Les trois autres signataires de ce texte tiennent à dire que le professeur Castonguay a toujours travaillé au sein du Comité avec rigueur et professionnalisme, en dehors de toute prise de position idéologique.

Rappelons que ce sont les membres de l’Office en conseil qui l’avaient nommé en 2002. Ses publications scientifiques n’ont jamais été mises en doute ni sa compétence, reconnue par les pairs et les organismes subventionnaires. En cinq ans, son apport a été considérable et la qualité des travaux faits au sein de l’Office lui doit beaucoup. Nous considérons comme profondément injuste le procès public qui a été fait à notre collègue.

Un langage ordurier

Concluons. Madame Boucher a soutenu devant les parlementaires «qu’il fallait nettoyer la soue». Passons outre à ce langage ordurier, indigne d’une haute fonctionnaire témoignant devant des élus. Quels faits justifient cette charge? Il n’y en n’a pas.

La présidente de l’organisme devait rendre des comptes sur les retards manifestes à diffuser les études et fascicules. Elle a plutôt choisi de faire diversion en attaquant, sans raisons fondées, ses propres collaborateurs, nommés par l’Office qu’elle dirige, qui ont travaillé honnêtement et avec assiduité pendant plus de cinq ans, sans même s’enquérir auprès d’eux de ce qui en était. Nous déplorons cet état de fait.

La présidente a imposé, en décembre dernier, un serment d’office à ses propres collègues membres de l’organisme lors de l’examen de projet de bilan, ainsi qu’aux membres du Comité de suivi (qui ont refusé de se prêter à cela), un procédé que rien ne justifiait, nous le voyons maintenant. C’est cette exigence qui a contribué à dégrader le climat de confiance qui existait auparavant.

L’Office québécois de la langue française est une institution importante de l’État québécois. Nous plaidons pour que la sérénité revienne dans l’organisme et que les jugements à l’emporte-pièce et les attaques injustifiées cèdent la place à la confiance et au respect. Les attentes de la population québécoise envers l’Office sont élevées. Il faut aussi que la direction de l’organisme soit à la hauteur.