Quelle culture de la gratuité?

2008/04/17 | Par Raymond Favreau

L’auteur est coordonnateur du Conseil scientifique d'ATTAC-Québec. Il commente le Rapport Montmarquette/Facal/Lachapelle.

Le rapport des membres du Groupe de travail sur la tarification des services publics, Claude Montmarquette, Joseph Facal, et Lise Lachapelle, préconise la tarification accrue d’à peu près tous les services, y compris l’eau, l’éducation, la santé, les nouvelles infrastructures de transport, les garderies, etc., avec dans certain cas des mesures compensatoires pour les assistés sociaux et des crédits d’impôts pour les contribuables du bas de l’échelle.

Dans leur rapport et dans l’article publié dans Le Devoir du 14 avril, ils disent vouloir mettre fin à la culture de la gratuité, qu’il s’agit d’un sujet politiquement difficile, et qu’il y a un virage à prendre et une nouvelle culture à établir.

Des conclusions écrites d’avance

En fait ce rapport, intitulé Mieux tarifer pour mieux vivre ensemble, s’inscrit dans la lignée de divers textes commandités par les gouvernements québécois, péquiste et libéral, au fil des décennies, que ce soit celui de la Commission Lemaire prônant la déréglementation, ou celui de Claude Castonguay sur le financement du système de santé.

Ce que ces rapports ont en commun est que leurs conclusions et recommandations étaient connues à l’avance, et qu’elles vont toujours dans le sens du transfert des coûts vers les usagers, sans égard à leurs moyens de payer.

Rappelons, pour mémoire, que deux des membres du Groupe de travail sur la tarification, Facal et Montmarquette, étaient signataires du Manifeste pour un Québec lucide, dont l’idéologie ultralibérale est notoire.

Et ajoutons le triste constat que Pauline Marois, chef du PQ, dit trouver intéressant ce qui est proposé dans ce rapport sur la tarification. Mario Dumont, n’en doutons pas, est sûrement d’accord.

Le virage a déjà été pris

Même si Montmarquette et autres allèguent le prétendu besoin d’un virage à prendre et le besoin d’une nouvelle culture à établir, les hausses de frais aux usagers et le financement des services publics à partir des tarifs plutôt qu’à même les impôts sur le revenu relèvent d’un virage déjà amorcé depuis l’époque de Reagan et de Thatcher.

Pour ce qui est de la difficulté politique d’un tel virage, la plupart des partis politiques (de droite et de gauche confondus) qui ont formé les gouvernements du G7 depuis les années 1980, ont surmonté ces difficultés en promettant autre chose puis en adoptant de telles mesures rétrogrades. Ces mesures ont été, et continuent d’être, l’accessoire des réductions des impôts des entreprises et de ceux touchant les contribuables de haut palier.

Personne ne pense que c’est gratuit

La langue de bois est un instrument utile pour les gourous de l’establishment affairiste, pour ceux et celles qui rédigent ces rapports, et par la suite pour les ministres qui les mettent en application, souvent en pièces détachées, pour ne pas susciter trop d’opposition.

Par exemple, le titre même du rapport Montmarquette/Facal/Lachapelle, qui parle de mieux vivre ensemble, veut sans doute donner l’impression que le seul moyen de préserver les services publics est d’augmenter les tarifs. Il en est de même de ce slogan sur la «culture de la gratuité».

Leur article du 14 courant et le rapport même dressent quelques moulins à vents à abattre, dont celui que l’idée de la gratuité des services publics serait répandue. Or le commun des citoyens est bien conscient du fait qu’il finance ces services essentiels, auxquels il tient, en payant ses impôts et la TVQ, comme aussi dans bien des cas, des tarifs. Nous en sommes suffisamment conscients pour nous dire majoritairement prêts, dans les sondages, à payer plus d’impôts afin de renflouer le système de santé.

La vraie question : qui paye?

La question essentielle n’est pas une mythique gratuité des services essentiels mais bien son mode de financement. Le statu quo représente un régime hybride, déjà poussé très loin vers une approche inéquitable, faisant payer les moins nanties de plus en plus, tout en allégeant le fardeau fiscal des millionnaires et des milliardaires.

Pour justifier le rejet des impôts sur le revenu comme moyen de financer les écarts entre les coûts des services publics et les tarifs, Montmarquette et ses collègues rejettent du revers de la main la distinction entre impôts progressifs et taxes dégressives. Ils présentent même une version bizarre de l’équité verticale, un des fondement de la justice fiscale.

À la page 28 du rapport, ils écrivent que :

« L’équité verticale est fondée sur l’idée que plus un individu es triche, moins il retire de bénéfices d’un dollar supplémentaire. Il est donc légitime de taxer plus lourdement les gens fortunés, afin de redistribuer l’argent vers les moins nantis. C’est ce qu’on appelle un régime de taxation progressif. »

Et ils se demandent jusqu’à quel point un régime fiscal doit être progressif. Ils ne sont pourtant pas sans savoir que notre régime progressif l’est déjà beaucoup moins que durant la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, le nombre de paliers étant passé de huit à quatre paliers, et les taux les plus élevé ayant été réduits considérablement.

Mais il y a plus. Le véritable justificatif des impôts progressifs est que chaque année il reste aux moins nantis une marge minuscule pour les besoins essentiels (logement, aliments, transport…) après paiement des impôts et des TPS/TVQ, alors qu’il reste aux multimillionnaires et aux milliardaires souvent beaucoup plus que ce que le commun des mortels gagnera sa vie durant.

Objectif : discréditer les services publics

La propagande véhiculée dans ce rapport contre la solidarité, en faveur du chacun pour soi, de la détérioration de la fibre sociale, et du report des coûts vers les particuliers, sans égard à leurs moyens (sauf pour de mineures concessions en faveur des assistés sociaux et des crédits d’impôts aux petits contribuables), fait partie de ce processus enclenché dans les années 1980 et qui s’est accentué en 1995, quand les gouvernements canadiens – fédéral et provinciaux – ont emboîté le pas au Consensus de Washington.

L’objectif est de discréditer les services publics en haussant les frais aux usagers, afin que le monde ordinaire accepte les privatisations et les PPP comme seule solution de rechange. De ce fait le lien entre le rapport Castonguay et le rapport Montmarquette est évident.

Nous assistons à une tentative bien orchestrée pour compléter le glissement des Trente Glorieuse vers les Trente Odieuses, à coup de rapports financés par le public, contre les intérêts de la majorité des citoyens, rapports coûteux qui n’ont rien de cette «efficience» si chère aux ultralibéraux, sauf possiblement sur le plan idéologique. Le rapport intitulé Mieux tarifer pour mieux vivre ensemble, en est le plus récent exemple.