C’est combien de temps « pas tout de suite », maman ?

2008/04/20 | Par Ginette Leroux

« Vive les vacances, au diable les pénitences… », chantent en chœur les enfants à bord de l’autobus scolaire qui les ramène à la maison. C’est la fin de l’année. Les rires fusent, la liberté répand son odeur estivale. « Ton frère a fait dans ses culottes! », lance un élève à Élise qui ne s’en formalise pas. Elle a l’habitude de protéger son petit frère. « C’est le temps des vacan-an-ces », entonne Pierre Lalonde. Ainsi commence Maman est chez le coiffeur, le nouveau film de Léa Pool.

L’histoire se passe à Belœil. Nous sommes en 1966. Bobino taquine sa petite sœur Bobinette à la télé et Joël Denis, la coqueluche de l’heure, chante et danse aux rythmes du Ya Ya. L’intérieur des maisons est décoré d’orange brûlé, de jaune ocre et de vert bouteille. Trois enfants, un papa et une maman. Ainsi va la famille banlieusarde de classe moyenne de l’époque. Papa travaille, maman aussi. Elle est journaliste.

Pourtant, ce portrait idyllique prend vite des allures cauchemardesques lorsque la mère quitte le foyer. Rien ne peut la retenir. Ni son mari qui, dans un geste désespéré, s’agrippe au capot de la voiture qui démarre en trombe, ni les enfants qui observent la scène, désemparés. « Si j’pars pas, j’vais mourir », avait dit la journaliste avant d’accepter un poste de correspondante à Londres. Les enfants, elle les fera venir dès qu’elle sera installée.

Quitter son mari dans les années 1960 était pour le moins inhabituel. Qu’une femme parte sans ses enfants était complètement inacceptable, sinon impardonnable. Une calamité qu’il fallait cacher à tous et à tout prix.

Comment le père va-t-il combler le vide laissé par la mère? Honteux, les nouveaux orphelins, qui ont du mal à saisir ce qui leur arrive, s’enferment dans le mensonge et le déni. Leur mère n’est pas partie pour longtemps. « Maman est chez le coiffeur », répondent-ils d’une seule voix lorsqu’une voisine s’annonce à la porte.

Les enfants sont de grands observateurs d’adultes. Leurs antennes captent rapidement ce qui se passe entre leurs parents. Si bien qu’ils sont les premiers à souffrir du désaccord, souvent irrémédiable. À sa mère qui appelle de Londres, inquiet, le petit dernier demande : « C’est combien de temps « pas tout de suite » maman? »

Les enfants occupent l’avant-scène

Dans ce film, le scénario d’Isabelle Hébert est taillé sur mesure pour Léa Pool. La réalisatrice du Papillon bleu et de Emporte-moi renoue, dans ce nouveau film de fiction, avec un de ses thèmes préféré, l’enfance. Les enfants occupent l’avant-scène du film. Les jeunes acteurs, sous sa direction, sont menés avec tact et retenue. On les sent très à l’aise devant la caméra de Daniel Jobin. D’autant plus qu’ils livrent ici une performance remarquable.

Élise (Marianne Fortier, la petite Aurore dans le film du même nom) n’a que douze ans au moment du drame. Elle se sent coupable. N’est-elle pas celle par qui le malheur est arrivé?
L’aînée de la famille prend sous son aile ses deux frères, surtout le petit Benoît (Hugo Saint-Onge Paquin), un garçonnet imprévisible dont la lenteur et les gestes désordonnés, parfois brutaux, alertent ses proches. Il vit dans un monde où GI Joe est son ami et les bottes de sept lieues sont à sa pointure.

Coco (Élie Dupuis), lui, s’en tire mieux. Plus indépendant, il a ses amis qu’il met à contribution dans la construction de son super bolide, une passion qui l’occupe complètement. Élise, quant à elle, trouve son exutoire dans la compagnie de monsieur Mouche (Gabriel Arcand), un sourd-muet bourru et solitaire, un bohème qui vit sur les bords du Richelieu. Complices à la pêche, leur loisir commun, Mouche sera très attentif à la tristesse d’Élise.

Laurent Lucas dans le rôle du père et Céline Bonnier dans celui de la mère complètent une distribution forte.

Un triste été où tous les membres de la famille chercheront à reconstruire le casse-tête dans lequel il manquera dorénavant une pièce maîtresse.

Maman est chez le coiffeur sort en salle le 2 mai.