La pédagogie des Lucides

2008/04/21 | Par SPQ libre

Le gouvernement Charest ayant décidé de « déterrer le rapport Montmarquette », selon La Presse (17 février 2009), nous trouvons pertinent de ramener dans l'actualité l'analyse qu'en faisait le SPQ Libre lors de sa parution.


Par Marc Laviolette, président
Pierre Dubuc, secrétaire
Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre)

Le Rapport du Groupe de travail sur la tarification des services publics « Mieux tarifer pour mieux vivre ensemble », produit par Claude Montmarquette, Joseph Facal et Lise Lachapelle, n’obtiendrait pas la note de passage dans n’importe quelle faculté universitaire digne de ce nom. Le travail est bâclé, la recherche inexistante et l’argumentaire frôle la fraude intellectuelle. Si les règles d’éthique dont les auteurs se réclament étaient appliquées, il faudrait exiger qu’ils remboursent leurs honoraires car le contribuable-payeur est loin d’en avoir pour son argent.

Personne ne s’objectera à ce qu’on veuille mettre de l’ordre dans les politiques gouvernementales de tarification, mais on serait en droit de s’attendre à autre chose qu’à une étude de la même eau que celles dont nous abreuve l’Institut économique de Montréal avec lequel les auteurs partagent une même idéologie.

Drapés dans les vertus de qualité, efficacité et saine gestion des fonds publics, le trio Montmaquette/Facal/Lachapelle posent en « pédagogues » qui voudraient faire comprendre au bon peuple que les services publics ne sont pas gratuits. « Cette perception de la gratuité serait encore plus forte pour les citoyens qui ne paient pas d’impôts », écrivent-ils, feignant d’oublier leur contribution aux finances publiques par le biais, entre autres, des taxes à la consommation (TPS, TVQ).

Le Rapport compte parmi ses objectifs la poursuite du transfert du fardeau fiscal des épaules des mieux nantis vers les classes moyenne et populaire, avec le remplacement graduel de l’impôt progressif sur le revenu par les taxes régressives sur la consommation et l’élargissement de la tarification des services publics. Bien entendu, les auteurs du Rapport nous disent que les montants perçus par la tarification serviront à améliorer nos infrastructures routières ou d’aqueduc et à financer nos établissements d’enseignement et les autres missions de l’État, sans oublier le soutien aux plus démunis pour compenser les hausses de tarifs. Mais, à l’occasion, le chat sort du sac et ils admettent que leur objectif est de « réduire la charge fiscale globale » pour nous placer « dans une meilleure position pour ce qui est de la concurrence fiscale ». Autrement dit, baisser les impôts.

Selon leur conception, les impôts sont en grande partie des « tarifs déguisés » dont il faut révéler la vraie nature. Pour justifier une approche aussi tordue, ils opèrent un distinguo entre « les biens publics purs » qui seraient financés par l’impôt, les « biens privés » offerts par l’État, en principe financés par la tarification, et les « biens privés collectivement financés », où le mode de financement comprend impôt et tarification. Ils réduisent le domaine public à la portion congrue, le limitant à la protection de l’environnement, la justice et la sécurité (police, défense nationale, etc.).

Tarification et privatisation, des frères siamois

Une telle approche ouvre évidemment la voie à la privatisation et il est bien connu que tarification et privatisation sont des frères siamois. Cela est manifeste dans leur proposition d’installer des péages sur toute nouvelle infrastructure routière et ils se réclament des précédents du pont de l’autoroute 25 et du prolongement de l’autoroute 30. Pour justifier leur proposition, ils ne trouvent rien de mieux que les résultats d’un sondage selon lesquels la population est prête à accepter des tarifs si la hausse améliore la qualité des services. La manœuvre est connue. Laisser se détériorer pendant des années en le sous-finançant un service public comme le réseau routier – ou encore le réseau hospitalier – et vous obtiendrez une réponse favorable à la privatisation si une campagne médiatique bien orchestrée la présente comme la seule solution possible.

Le Groupe de travail propose également la tarification de l’eau avec l’installation de compteurs dans les secteurs résidentiel, commercial et industriel. Une telle mesure réduirait, nous dit-on, « de 15 à 30% la consommation totale ». Mais, encore là, les études les plus élémentaires font défaut. On écrit que « de 35% à 45% de la production est perdue avant même de se rendre aux consommateurs à cause de la désuétude du réseau ». On voit mal comment une éventuelle réduction de la consommation par la tarification remédierait à ce phénomène.

Plus important encore, on sait que le gaspillage de l’eau est principalement le fait des commerces et des industries, mais notre trio de pédagogues ne présente même pas de ventilation entre les différents secteurs. De plus, nombre d’études effectuées dans des pays comme la Grande-Bretagne où l’eau a été privatisée démontrent que la tarification a peu d’effet sur la consommation des classes moyennes, mais affecte grandement les plus démunis.

Bien entendu, notre trio de « nouveaux sociaux-démocrates » n’oublient pas d’affirmer qu’il faut « atténuer ou éliminer l’impact des hausses tarifaires sur les plus démunis en modulant à cette fin l’aide sociale ». Mais ils s’empressent d’en montrer les limites en disant qu’une telle « modulation » doit « tenir compte de l’incitation à travailler », c’est-à-dire que l’aide sociale doit demeurer inférieure au salaire minimum.

Pour « étoffer » leur proposition, les auteurs du rapport ont demandé à Jean A. Guérin de produire une étude sur la faisabilité d’instituer une Régie de l’eau en se basant sur le modèle de la Régie de l’énergie. Guérin connaît manifestement bien la Régie de l’énergie, mais pas grand chose à l’eau. Il avoue d’ailleurs candidement qu’« afin de me familiariser quelque peu avec le secteur de l’eau, j’ai pris connaissance rapidement de quelques documents portant sur le service de l’eau ».

Son copier-coller ne vaut pas grand chose. Il note que l’eau, à la différence de l’énergie, est « une ressource essentielle à la vie pour laquelle nous ne connaissons aucun substitut », mais cette distinction capitale est rapidement mise de côté pour ne retenir que « c’est aussi de plus en plus une marchandise ». Tout son mémoire a pour objet de montrer comment la gestion de l’eau pourrait être soustraite au contrôle public pour être confiée au secteur privé.

Préparer la privatisation d’Hydro-Québec

De la même façon qu’ils ont évité de pointer du doigt les secteurs industriel et commercial pour l’eau, nos pédagogues ne traitent pas des tarifs offerts aux grands consommateurs industriels d’électricité! C’est pourtant 40% de la production qui leur est allouée. Est-ce efficace? Le tarif envoie-t-il un bon signal au consommateur, au producteur? Est-ce une bonne gestion des fonds publics? Nous ne le saurons pas.

Par contre, ils décrètent que la tarification actuelle pour les consommateurs du secteur résidentiel est inefficace, envoie un mauvais signal et représente une mauvaise gestion des fonds publics. Ils proposent donc d’abolir le tarif patrimonial pour réduire la consommation afin de pouvoir augmenter les exportations. Bien entendu, l’État atténuerait les effets de cette hausse chez les bénéficiaires de l’aide sociale, mais en tenant compte « de l’incitation à travailler ».

Nos pédagogues nous lancent à la figure, comme si c’était une tare, que « notre consommation d’électricité est parmi les plus élevées au monde ». Pourtant, il n’y a pas là de mystère. Nous sommes un pays nordique et nous nous chauffons à l’électricité. Une idée qui va apparaître de plus en plus géniale à mesure que la crise pétrolière va s’accentuer et qu’il sera de plus en plus urgent de réduire notre dépendance aux produits pétroliers et au gaz.

Les membres du Groupe de travail comparent l’électricité du Québec au pétrole de l’Alberta, encore là sans fournir l’ombre d’une étude. Mais les deux produits sont fort différents. Par exemple, il y a des limites à la distance à laquelle l’électricité peut être acheminée. De toute évidence, la hausse des tarifs d’électricité, tout comme dans le cas des péages et de l’eau, a pour objectif de préparer une privatisation d’Hydro-Québec. Cela rendra la mariée plus intéressante pour les investisseurs et leur évitera l’odieux d’avoir eux-mêmes à augmenter les tarifs.

Adieu à la démocratisation de l’éducation

Last but not least, nos pédagogues proposent une hausse des droits de scolarité. Mais là, l’argumentaire change du tout au tout. Si la hausse des tarifs du transport routier, de l’eau et de l’électricité a pour but et pour effet de réduire la consommation, une hausse des tarifs universitaires n’affecterait pas la fréquentation !

Pourquoi? Parce que la fréquentation universitaire reposerait sur d’autres facteurs, soit principalement « le statut socio-économique des parents » et « la qualité des écoles fréquentées ». L’université reproduit les classes sociales, mais le phénomène devrait, selon nos trois pédagogues, être accentué sur la base de la discrimination qu’opère de plus en plus le réseau des écoles privées.

Au Québec, actuellement, plus de 20% des élèves du secondaire – 30% dans la région de Montréal – fréquentent des écoles privées financées à plus de 60% par des fonds publics, une situation unique en Amérique du Nord. Cet écrémage des meilleurs élèves auquel s’ajoute l’intégration des élèves en difficultés d’adaptation et d’apprentissage dans les classes ordinaires – un élève sur quatre à la CSDM – plombe vers le fond le secteur public. Il s’en dégage une reproduction de plus en plus marquée des classes sociales. Ainsi, dans 86 % des écoles privées, les revenus des parents sont supérieurs à 60 000 $. Ils sont inférieurs à ce montant dans 75 % des écoles publiques.

C’est ce modèle que nos brillants pédagogues veulent voir fleurir à l’université. Ils proposent, par exemple, de moduler les tarifs, les facultés les plus rentables (pharmacologie, génie, médecine, etc.) imposant des frais plus élevés. Ils le justifient en affirmant que « le critère d’admission le plus déterminant dans celles-ci, ce sont les notes obtenues aux paliers précédents. Or, nous savons que la performance académique est fortement liée aux revenus des parents, à leur niveau d’éducation, ou encore au fait d’avoir, par exemple, fréquenté l’école privée. »

Pour ajouter à la sélection, ils individualisent et privatisent toute l’approche de l’éducation. Il faudrait, selon eux, concevoir « les dépenses privées d’éducation comme un investissement que l’individu fait sur lui et pour lui ». Et on propose l’instauration d’un système de remboursement de prêts étudiants proportionnellement au revenu, sur le modèle de celui qui existe en Australie, un modèle qui est pourtant critiqué de toutes parts pour avoir engendré un monstre bureaucratique.

Nos pédagogues se sont également intéressés aux Centres pour la petite enfance qui représentent, de leur point de vue, une véritable catastrophe. Imaginez, seulement 16% du coût du service est assumé par les parents. Mais le régime est populaire et difficilement attaquable d’un point de vue politique. Alors, les trois pédagogies ne trouvent rien de mieux à dire que « la politique de financement des services de garde devra être revisitée ».

Et la société distincte?

Un des aspects les plus amusants du Rapport est son insistance à vouloir rattraper « la moyenne canadienne » et à n’utiliser comme comparatif et source d’inspiration que les pays anglo-saxons, soit les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. C’est une drôle de perspective pour un souverainiste comme Joseph Facal qui vient de publier un livre d’échanges épistolaires avec André Pratte où toute son argumentation en faveur d’un Québec souverain repose sur le caractère distinct de la société québécoise.

Enfin, soulignons que les auteurs du Rapport mentionnent également avoir étudié « la Finlande où, reconnaissent-ils, l’éducation est gratuite à tous les niveaux, tout comme dans les autres pays nordiques (Danemark, Islande, Norvège et Suède) et en Irlande ». Mais ils ne nous expliquent pas pourquoi ils n’ont pas retenu ces exemples bien que la Finlande – où il n’y a pas d’écoles privées – se classe au premier rang mondial pour la réussite de ses élèves. Pas assez anglo-saxon comme approche, peut-être !?