Nouvelles du Saguenay : l’état du syndicalisme

2008/04/21 | Par Pierre Demers

Photo
Propos recueillis par Pierre Demers auprès de Jean-Marc Piotte lors d’une journée syndicale du SPECJ, le syndicat des profs du cégep de Jonquière le 9 avril.

Jean-Marc Piotte est politicologue et philosophe, prof au département de science politique à l’UQAM de 1970 à 2003, collaborateur de nombreuses revues dont Parti Pris, Chroniques, À Bâbord et le dernier numéro de Relations sur le syndicalisme. Derniers ouvrages parus, Au bout de l’impasse, à gauche. Récits de vie militante et perspectives d’avenir, Lux, 2007; ADQ : à droite toute! Le programme de l’ADQ expliqué, HMH, 2003 et Les neufs clés de la modernité, Québec Amérique, 2007.

Comment survivent les syndicats ailleurs et ici par les temps qui courent?

Ils résistent, plus ou moins bien, mais ils résistent, sans doute mieux au Québec, grâce aux protections apportées par la formule Rand et la loi anti-scab. S’il n’y avait aucune résistance, on reviendrait au pouvoir absolu du Capital tel qu’il s’exerçait au début du XIXe siècle. Mais cette résistance cherche à protéger des acquis, à ne pas trop en perdre, au lieu d’imaginer des moyens de passer à l’offensive.

Quel jeu politique assurent les centrales syndicales qu’on a connues plus agressives?

Les centrales syndicales s’opposent à l’ADQ, négocient avec le Parti libéral du Québec et appuient officiellement ou non le Parti québécois. Elles négligent le pouvoir fédéral, se contentant le plus souvent d’un appui mou au Bloc québécois.

Les centrales syndicales renoncent à développer une véritable alternative politique au néo-libéralisme, se contentant de faire du sur-place, en se cachant derrière le Parti québécois qui ressemble de moins en moins à un parti social-démocrate.

Comment pourrait-on intéresser les nouveaux syndicalistes à l’action syndicale?

Il faut les réunir par petits groupes, autour d’un repas par exemple, et leur demander ce qu’ils pensent du syndicalisme et pourquoi. Lorsque les vieux syndicalistes sauront ce qu’ils ont dans la tête, la discussion, le débat pourra commencer sur ce qu’a été le syndicalisme, ce qu’il est devenu et ce qu’il pourrait être. Vaste programme qui urge.

Si tu retournerais avec Gilles Groulx le film 24 heures ou plus (1973) aujourd’hui, tu filmerais qui et quoi?

Des travailleurs d’Abtibi -Bowater à qui les patrons demandent d’accepter, après bien des concessions, une réduction de $2,00 l’heure, alors qu’ils se partageront plus de $30 millions. (En parallèle, interviews de ses patrons devant leurs riches maisons.)

Interview d’enseignants précaires de CEGEP auxquels on demande l’exclusivité de l’emploi. (En parallèle, interview du DG.) Interview de soldats québécois qui reviennent de la guerre en Afghanistan. Etc. L’ère du temps suggère automatiquement les sujets, les points de vue à une caméra critique qui veut aller au-delà des images du téléjournal.

Comment comparer la négociation dans le secteur public et dans le secteur privé aujourd’hui?

Dans le secteur public, la loi des services essentiels limite le droit de grève et le supprime presque complètement dans les services hospitaliers. Le gouvernement par des lois spéciales peut toujours décréter le retour au travail et les conventions collectives. Les syndicats n’arrivent pas à alerter les citoyens contre ce despotisme gouvernemental. Le travail de contre information ne se fait pas. Ils ont pourtant les moyens et la nécessité de le faire pour changer les choses. Assurer leur raison d’être.

Dans le secteur privé, trop souvent les syndicats doivent accepter de faire des concessions, devant les menaces de transférer la production ou de sous-traiter des parties de la production là où les travailleurs sont moins bien protégés. Les syndicats, sur la défensive, mettent la priorité sur la défense de l’emploi, y subordonnant leur rôle traditionnel : la défense des salaires et des conditions de travail.

Comment distinguer Harper, Dumont, Charest et Marois?

Harper et Dumont sont, au plan économique, des néo-libéraux. Dumont adopterait aussi le conservatisme moral (ce n’est peut-être pas le mot juste) de Harper, s’il pensait qu’une bonne partie des Québécois le suivrait sur cette voie.

Charest et Marois ne sont pas disciples du conservatisme moral. Sur le plan économico-social, Charest cherche à être moins à droite que Dumont et Marois moins à droite que Charest. Le PQ ne se distingue donc pas vraiment du Parti libéral du Québec sur le plan de justice sociale et de redistribution de la richesse.

Pourquoi le mouvement syndical n’est pas couvert par les médias officiels?

Auparavant, lorsque les syndicats étaient combatifs et engrangeaient des victoires, les médias leur faisaient une place congrue, mais plus grande que de nos jours. Aujourd’hui, l’accent est mis sur les entreprises, leurs résultats boursiers et leurs dirigeants, évêques de notre temps. Jadis, tous les grands quotidiens avaient un journaliste consacré aux affaires syndicales. Je n’ai pas fait de recherches sur le sujet, mais il me semble que ce type de journalistes a disparu ou est en voie de disparition.