Santé et sécurité au travail

2008/04/28 | Par L’aut’journal 

Dans leur rapport « Mieux tarifer pour mieux vivre ensemble », les commissaires Montmarquette, Facal et Labelle citent la CSST comme « exemple d’une réforme réussie de tarification ».

Ils rappellent qu’à partir « de 1990, la CSST a mis en place une réforme majeure de son mode de tarification, visant à la fois à capitaliser entièrement le régime d’assurance, à inciter les entreprises à investir dans les mesures favorisant la sécurité au travail et à diminuer le nombre et la gravité des lésions professionnelles. »

La réforme serait une réussite parce que, selon eux, « entre 1989 et 2006, le nombre de lésions a diminué de près de 48 %, alors que le nombre de travailleurs couverts a augmenté de 25 % ».

Les travailleurs sur le terrain et leurs organisations ont une autre appréciation de la situation, comme en témoigne le bilan 2007 qu’en tire Richard Goyette, le directeur adjoint de la FTQ-Construction. Nous reproduisons l’éditorial qu’il publie à l’occasion du Jour de deuil national du 28 avril.


Éditorial - Le bilan 2007 en matière de lésions et de décès à survenir en raison du travail est clair: la situation se détériore

Le nombre de décès à survenir en raison du travail a encore crû cette année pour atteindre le nombre record de 207. L’industrie de la construction en compte à elle seule 54 représentants, soit 26% de tous les décès à survenir pour une tranche de population occupant de 4% à 5% du total de la main-d’oeuvre.


La CSST, reine de l’euphémisme


Qu’à cela ne tienne, il y a toujours une bonne façon d’interpréter les statistiques et de démontrer que tout va pour le mieux. Dans ce contexte, la CSST est passée maître dans l’art de la mystification et, plutôt que de donner un portrait réel de la situation, elle préfère camoufler les faits, entretenir un discours qui ne colle pas à ce qui se vit sur le terrain. Est-ce une question d’image? Désire-t-elle justifier son mandat? Il serait important de connaître ses objectifs afin de comprendre son comportement.

Mais voyons voir de quelle manière elle opère afin d’en arriver à ce haut niveau de désinformation.

«Le nombre d’accidents est en baisse», affirme la CSST. Vraiment?

Il est faux de prétendre que le nombre d’accidents est en baisse. Ce qu’il faut dire, c’est que le nombre de réclamations à la CSST est en baisse. Cependant, nous savons qu’il n’y a pas de relation étroite entre les deux. En effet, une lésion professionnelle n’est pas nécessairement déclarée à la Commission.

À titre d’exemple, pour les lésions professionnelles entraînant une assignation temporaire ou dont la conséquence se résume en la perte de travail de quelques jours de travail, des «trous» dans la Loi permettent l’omission de la déclaration à la CSST. Est-on surpris d’apprendre que ces trous n’ont jamais été bouchés par le législateur?

La Commission favorise d’ailleurs largement ce genre de pratiques très mauvaises pour la clientèle mais profitables à son image.

Exemple: le transfert vers les assurances

Qui ne connaît pas une personne qui, plutôt que d’adresser une réclamation à la Commission, n’opte pas pour une réclamation au régime d’assurance de l’entreprise? Quand on évite de présenter une réclamation à un organisme parce que c’est plus simple avec l’assurance, ce n’est certes pas en raison de son haut niveau de performance.

Exemple: la multiplication des litiges et les complexités administratives découragent les travailleurs et les travailleuses qui ont subi une lésion professionnelle de la déclarer.

Le rapport de la Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale du Québec, produit en décembre 2006, appuie nos prétentions :

«Tout d’abord, il semble que la structure actuelle du régime québécois de santé et de sécurité du travail favorise la contestation systématique.» (1)

L’une des principales causes de cet état de fait, ce sont les mutuelles de prévention mises en place par la CSST elle-même. À croire que cette dernière est passée maître dans l’art de saborder son mandat.

Deuxième discours entretenu par la CSST afin de nous mettre en présence de son monde idyllique:

«Le nombre de décès en raison des accidents est en baisse, c’est le nombre de décès en raison des maladies qui est en hausse»

L’excuse de la CSST à ce sujet, c’est d’affirmer qu’il faut de 25 à 30 ans à ce type de maladies pour se développer. Comme si mourir d’un cancer du poumon en raison d’une exposition à un produit toxique est moins terrible qu’un décès survenu en raison d’une chute en hauteur.

Il semblerait que la compassion et la connaissance de base en matière d’anxiété et d’angoisse ne sont pas le propre de cette administration. Mais, si on se souvient bien, la Commission a été créée en 1980. N’y a-t-il pas 27 ans bien sonnés qu’elle est en place? La silice et l’amiante sont-ils de nouveaux produits sur le marché? Répondre à ces questions démontre encore une fois de manière non équivoque la philosophie qui habite l’administration.

Pire encore, comme nous ne cessons de le répéter, la CSST reconnaît de plus en plus de décès en raison de maladies pulmonaires attribuables à des contacts avec des produits qui sont pourtant dans nos milieux de travail depuis des années.

Cela veut dire, tout simplement, que dans le passé, en plus de mourir en raison du travail, les travailleurs et les travailleuses, de même que leurs bénéficiaires, ne touchaient pas les indemnités auxquelles ils avaient pourtant droit.

La Commission est sur la voie de la déraison

Nous en avons ras le bol du discours de laisser-aller de la CSST, plus préoccupée par son image que par l’obtention de résultats. À ce jour, seulement 13% de la population active est couverte entièrement par les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Peut-on alors s’étonner des piètres performances du Québec en ce domaine?

Comment se fait-il que la Commission ne soit pas en mesure de faire le constat que, sans la mise en vigueur de l’ensemble des disposions de la Loi, toute avenue de solution est bouchée? L’expérience, autant ici qu’ailleurs dans le monde, démontre que la prise en charge de l’organisation du travail par le milieu est «LE» moyen afin de mettre un terme au carnage qui sévit dans le monde du travail.

Pourquoi n’affirme-t-elle pas haut et clair qu’il lui est impossible de rencontrer son mandat si le régime juridique demeure tronqué de ses principales composantes. Arpenter les couloirs de la Commission est pourtant des plus révélateurs à ce sujet, car bon nombre d’intervenants de la CSST qui ont à couvrir le terrain au quotidien sont en accord avec nous.

Reste que, dans le passé, la CSST a procédé à plusieurs demandes auprès du gouvernement afin de faire modifier la Loi en matière d’indemnisation et elle les a obtenues. Ces modifications visaient essentiellement à réduire les prestations ou en rendre leur obtention plus complexe.

Étrange tout autant que surprenant que la CSST mette autant d’énergie à convaincre un gouvernement à sabrer dans les bénéfices alors qu’elle est si timorée au moment de sauver des vies. Relire les objectifs de la Loi à l’occasion serait bien utile à certains, de manière à ce que la haute direction de la Commission réalise qu’elle n’est pas à la tête d’un organisme à vocation économique.

D’ailleurs, la CSST ne dépose-t-elle pas son rapport annuellement au président de l’Assemblée nationale du Québec ainsi qu’au ministre du Travail. Qu’attendent-ils pour agir? Plus de décès?

Pendant que rien ne se fait, par lâcheté, par paresse, par intérêt ou pour on ne sait quoi d’autre, nous devons nous rendre à l’évidence que, selon la loi de la moyenne, en ce jour du 28 avril, le Québec compte déjà 48 décès à survenir en raison du travail depuis le début de l’année.


Le directeur général adjoint
Richard Goyette


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1
Commission de l’économie et du travail, Examen du rapport d’évaluation du bureau d’évaluation médicale et du document d’actualisation de ce rapport. Décembre 2006, page 11.

Source: FTQ-Construction