Loterie éolienne

2008/05/08 | Par Roméo Bouchard

Roméo Bouchard est directeur et coauteur de Pour qui souffle le vent?
(Écosociété) et coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions.


Comme dans toute loterie, le dernier tirage de la loterie éolienne a fait quelques gagnants et beaucoup de perdants. Une fois retombée la poussière des déclarations triomphales du Gouvernement et d’Hydro-Québec, du silence des promoteurs en compétition, de la déception des agriculteurs et des maires qui n’auront pas leur Extra et des citoyens qui n’ont pas été entendu, du désaveu à peine voilé de certains écologistes à l’égard des contestataires qui cherchent à retarder sans discernement l’avènement d’une énergie propre, quelles leçons tirer?

L’éolien ne devrait pas être une loterie, encore moins une loterie truquée

Pendant qu’on s’entredéchire sur les projets éoliens soumis et sélectionnés, on oublie l’essentiel : le modèle d’appel d’offres fait sur mesure pour les grandes compagnies privées n’est pas un modèle acceptable pour développer l’éolien au Québec. C’est un modèle de colonisés.

On est loin de l’époque de la Manic. L’éolien, comme toutes nos ressources naturelles, ne devrait pas être une loterie, encore moins une loterie truquée, mais un projet collectif. C’est un investissement rentable, plus même que prévu en raison de la qualité de nos gisements de vent. La ruée des promoteurs en fait preuve.

Au lieu d’interdire à Hydro-Québec de produire de l’éolien et de permettre à des grosses compagnies étrangères de se l’approprier en fonction de leurs intérêts, on devrait, de pair avec les collectivités et les instances publiques concernées, planifier nous-même ce développement nouveau, la localisation des parcs, l’encadrement de leur implantation, la répartition de leurs revenus, la gestion des investissements et approvisionnements requis, et l’utilisation locale, régionale et nationale de cette nouvelle source d’énergie. Alors seulement on pourrait demander à des entreprises privées de sous-contracter.

Au contraire, on a laissé tout le champ libre à des promoteurs qui ont cherché par tous les moyens à minimiser leurs coûts et donc leur soumission, pour augmenter leur chance de gagner le gros lot. Les joueurs communautaires ont été désavantagés au départ dans un modèle d’appel d’offres où le prix du kilowatt n’est pas fixé d’avance, ce qui rend très difficile la mise de fond collective.

Les quelques éléments d’encadrement apportés, comme le contenu québécois, la redevance minimale aux propriétaires et l’encadrement municipal, l’ont été tardivement pour la plupart et de telle façon qu’ils ont été facilement contournés.

Les gagnants du gros lot

Le gagnant du gros lot est une entreprise dont on n’avait pratiquement pas entendu parler, St-Laurent-Énergie, qui a obtenu 954 des 2000 MW accordés (5 projets). Les autres gagnant sont Kruger-Énergie (2), Boralex-Gas-Metro (2), Venterre (2), 3CI (1), Enerfin (1), Invenergy (1), VDK (1). Soit quinze sur un total de 66 concurrents.

Il est bien difficile de savoir comment a fonctionné la sélection et Hydro-Québec s’est bien gardé de soulever le voile. Le pointage officiel accordait 45 points pour les critères monétaires (prix du KWh) et 55 points pour les critères non-monétaires, soit 20 points pour le contenu régional dépassant 30%, 15 points pour le contenu québécois dépassant 60%, 11 points pour la solidité du projet, 9 points pour l’aspect développement durable et acceptabilité sociale, pour un total de 100 points.

On constate dans les faits que la plupart des projets qui ont suscité des mécontentements importants de la population, à l’exception des projets de Charlevoix et de Montérégie, ne sont pas sur la liste des gagnants. Encore que les régions où il n’y a pas eu de protestations semblent très rares dans les faits. En tous cas, les promoteurs qui ont fait le trouble un peu partout dans l’Est, Cartier, Innergex, Northland, Skypower, Transcanada ne sont pas là. Dans la mesure où il y a un lien, c’est une bonne nouvelle pour les citoyens et un encouragement à continuer à s’exprimer.

Mais il ne fait aucun doute que le critère monétaire explique en grande partie le palmarès. Les entreprises gagnantes ont tous les reins solides financièrement et une garantie particulière d’approvisionnement en génératrices qui sont très rares par les temps qui courent.

En regroupant Énergie-France et le géant allemand constructeur d’éoliennes (RES), avec la couverture du producteur privé d’électricité québécois Hydromega, St-Laurent-Énergie a réuni les conditions parfaites de financement, d’approvisionnement et de contenu québécois lui permettant d’offrir le prix le plus bas et la sécurité financière la meilleure.

Les autres gagnants se sont assurés un approvisionnement sécuritaire et «québécois» avec Enercon, un autre géant allemand qui, comme par hasard, vient d’annoncer qu’il ouvre une usine à Matane. Quant à AAER, le seule entreprise québécoise de génératrices éoliennes, tous les projets qui avaient retenu ses services ont été écartés. Faut croire que les Allemands sont plus forts!

Hydro-Québec ou Loto-Québec

L’ultime gagnant, c’est Hydro-Québec, le promoteur de la loterie. En procédant par appel d’offres destiné à des promoteurs privés, il n’a pas à s’occuper de rien, il laisse les gens, les MRC, les agriculteurs se débrouiller avec les prospecteurs de vent des compagnies, il laisse le marché organiser un pillage supplémentaire de nos ressources, il s’assure que les compagnies vont soumettre au plus bas prix, même si, pour y parvenir, elles n’hésiteront pas à donner le moins possible aux communautés concernées et à implanter leurs parcs là et de la façon qui leur coûtera le moins cher, donc des mégaparcs, en milieu habité, où ils peuvent utiliser les infrastructures existantes et la cupidité des gens.

Résultat : 2000 MW éolien à 10.5 cents du KWh tout compté (8.5 environ pour le premier 1000 MW compte-tenu des augmentations annuelles). C’est plus cher bien sûr que le tarif patrimonial de 2.79 cents dont nous a fait cadeau René Lévesque, citoyens et entreprises du Québec, mais beaucoup moins cher que le prix payé ailleurs dans le monde (proche de 15 cents) et sensiblement le même que le coût des KWh qui seront produits par les barrages hydroélectriques en chantier et à venir au Québec.

Thierry Vandal ne souriait pas pour rien. Ce sont ces nouveaux KWh post-patrimoniaux qui provoquent la hausse de nos tarifs d’électricité, car la stratégie énergétique du Québec 2006-2015 a décidé de maintenir le bloc patrimonial de 165 TWh à 2.79 cents le KWh.

Et en prime, Hydro-Québec se réserve une redevance de 3% sur les revenus de tous les contrats accordés : un chausson avec ça!

Les grands perdants : les citoyens du Québec

Et qui paie pour cette aubaine que récolte Hydro-Québec et les promoteurs?

Les régions où s’établissent ces parcs à rabais, avec des redevances à rabais, des dommages sociaux et environnementaux qui auraient pu être évités si on avait planifié ce développement de façon responsable et démocratique, en respectant les populations. Mais on ne l’a pas fait.

Les redevances ne représentent même pas 1% des profits dans la plupart des cas. À Murdochville, un exemple de réussite paraît-il, bien qu’elles encerclent la ville, elles sont de zéro, mais ce n’est qu’une ville sinistrée saupoudrée d’arsenic. C’est pourquoi on a tort de reprocher aux citoyens de protester contre une énergie propre en théorie. En pratique, dans le modèle actuel, elle n’est pas propre.

Les régions périphériques, qui auraient pu faire de cette industrie un levier de développement économique. Pour cette raison aussi, dans le modèle actuel, ce n’est pas un développement durable économiquement, socialement et environnementalement.

Le Québec tout entier, qui laisse aller à des multinationales étrangères d’énormes profits qui auraient pu servir à son développement et au développement d’une filière complète d’énergie éolienne. On est loin du Maîtres chez nous qui nous a donné Hydro-Québec et le Québec de la Révolution tranquille.

Le Joker : Jean Charest

Le cynique joker qui se frotte les mains : Jean Charest, qui encaisse les surplus d’Hydro-Québec, se fait de précieux amis de tous les promoteurs privés à qui il a offert une poule aux œufs d’or et se glorifie d’avoir fait du Québec le champion de l’énergie éolien en Amérique. Et vive la cohabitation!