Un zoo, ça trompe énormément

2008/05/27 | Par Charles Danten

Charles Danten est l'auteur d'Un vétérinaire en colère publié chez VLB en 1999.


Dans la plus pure tradition capitaliste, les zoos sont devenus récemment des commerces qui servent à divertir le publique, à créer des emplois et gonfler l’amour-propre non seulement de sa clientèle mais de ses employés. La matière première de cette exploitation subtilement perverse est l‘animal sauvage. Mais il ne faut surtout pas le dire tout haut au risque d’écorcher la fierté de l’organe social qui n’apprécie pas de se faire traîner dans la boue. Noblesse oblige.

Comme les zoos sont foncièrement illégitimes - nous le savons désormais même si ça n’a pas toujours été le cas -, des prétextes sont inventés – comme on fait avec la guerre par exemple - pour augmenter leur valeur perçue et justifier leur raison d’être. L’argument de la nécessité a bien sûr bon dos. Une nécessité invoquée pour des raisons pédagogiques et pour protéger et sauvegarder les espèces en danger. Malheureusement, aucune de ces raisons n’est valide.

CES ZOOS QU’ON DONNE EN EXEMPLE

Pour donner du poids à leurs arguments, pour démontrer à quel point leurs pensionnaires sont bien traités, les porte-parole de ces institutions vénérées se réfèrent toujours aux zoos les moins sordides de la Terre, comme celui du Bronx ou de San Diego. Or, ces hauts lieux du pastiche sont loin d'être représentatif. L’équivalent serait de se servir des conditions de vie du Canada par exemple pour définir ceux de l'ensemble de la planète. Ce serait non seulement mensonger mais cynique alors que seulement un tiers de la population mange à sa faim et vit dans des conditions adéquates.

Je vous invite à visiter le zoo de New Delhi par exemple ou celui de Granby, voire le Biodôme de Montréal, et vous verrez à quel point. Évidemment, en vous gardant bien de les évaluer selon nos propres critères anthropocentriques. Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire récemment à l’émission Découverte de Radio Canada, il n’y a pas un seul bassin au monde assez grand pour une raie géante par exemple. Sa maison c’est l’océan. Rien de moins. Alors un espace de 15 000, voire 125 000 m3 qui peut sembler extravagant pour un être humain est dérisoire du point de vue de l’animal qui vit la mort tous les jours dans ce hangar à bestiaux déguisé en crèche. Un éclairage tamisé et quelques plantes tropicales en plastique, un peu de bleu marin sur les parois en ciment de sa prison, sont sans doute de bon ton pour nous, les humains, mais pour l’animal, lui, ces accessoires n’ont aucune valeur.

LE FAUX ARGUMENT DE LA SURVIE DE L’ESPÈCE

Quoi qu’on puisse dire, la diversité génétique et la vitalité des quelques spécimens qui sont reproduits en captivité sont insuffisantes pour assurer la survie de l’espèce. Comme les animaux qui sont accouplés ne sont plus soumis à la sélection naturelle, après seulement quelques générations, il se produit chez les descendants une dérive génétique qui se traduit par une foule d’anomalies psychologiques, anatomiques et physiologiques. Des défauts parfois d’une subtilité impossible à déceler même par les yeux les plus avertis.

L’alimentation artificielle et la captivité ont un effet délétère sur le poids, la vitalité et la longévité d’un nouveau-né. Selon les spécialistes, ces changements physiologiques marqués sont attribuables au stress lié à la captivité et aux perturbations hormonales associées à un état de dépendance psychologique et physiologique anormale. L’augmentation de la fréquence des maladies dans un milieu carcéral comme le zoo et la diminution de la mobilité et de l’activité générale ont aussi une forte incidence sur la grosseur et la vigueur des petits.

En d’autres mots, aucun de ces piteux-petits-Frankenstein peut assurer la survie à long terme de l’espèce tellement ils sont dénaturés. La survie dans la nature tient à des détails infimes que personne n’est en mesure d’évaluer avec précision. Les espèces se modèlent sur des millions d’années en fonction des conditions du milieu. Or, non seulement les zoos sont des milieux artificiels, mais personne ne connaît le mode d’emploi de la plupart des espèces emprisonnées par ces institutions rebelles au changement. On impose des mâles aux femelles qui en temps normal, dans des conditions naturelles, ne les auraient pas choisis pour des raisons qui échappent même aux vétérinaires, aux zoologistes et aux biologistes qui jouent aux apprentis sorciers.

Il faut dire aussi, fâcheux petit détail, que les rares sujets réintroduits dans la nature agissent comme des «cheval de Troie» porteurs de nombreux microbes étrangers capables d'anéantir une population indigène jamais exposée et donc très vulnérable. Or, cette hécatombe post-coïtal est rarement prise en compte par les spécialistes concernés.

UN COMMERCE MÉCONNU

En outre, les animaux de zoo en surnombre subissent les effets d'un commerce méconnu du grand public. L'essor de ce commerce a débuté, il y a une trentaine d'années, lorsque les zoos ont instauré des programmes d'élevage. Or, ils se sont vite trouvé aux prises avec une surproduction d'animaux qui les a obligés à en faire le commerce. Ces surplus d’animaux se retrouvent sur le marché très prospère des animaux exotiques. Il est possible d’acheter par catalogue ou dans des encans spécialisés, n’importe quelle espèce pourvu qu’on y mette le prix. Ce qu’on fait d’elle par la suite n’intéresse personne. Ainsi, avec l’Internet, grâce à un système de caméra et de fusil commandé électroniquement à distance, les sportifs du dimanche peuvent chasser virtuellement n’importe quel animal de leur choix, du confort de leur maison. L’animal un collier émetteur au cou est introduit dans un petit territoire clôturé où il sera facilement localisé puis abattu à distance.

L’EXEMPLE DES PIGMÉS

Et que penser de cet autre argument qui consiste à dire que les zoos, les Biodômes, les aquariums et les parcs safari, nous offrent l'occasion d’admirer de près des espèces qu’on ne pourrait jamais observer autrement. Un tas de gens n'ont jamais la chance de voir un pygmée. Est-ce une raison pour en capturer un ou deux et de les enfermer au zoo pour que tout le monde se rince l’œil? À bien y penser, pourquoi pas. Nous l'avons déjà fait d'ailleurs. Vous ne me croyez pas? Et bien, au siècle dernier, au zoo de Bronx à New York, il y avait un pygmée nommé Ota Benga. Capturé en Afrique avec cinq autres membres de sa tribu, on le transporta en Amérique pour l'exposer à l'Exposition Universelle de St Louis. En 1906, on l’exposa en vitrine avec un orang-outan dans une cage pour primate au zoo de Bronx. Dix ans plus tard, une fois libéré, incapable de s’adapter, complètement déboussolé, Ota Benga se suicida.

UNE MAUVAISE FAÇON D’APPRENDRE À RESPECTER LA NATURE

Au bout du compte, le manque d’authenticité est une mauvaise façon d'apprendre à respecter et à aimer les autres espèces et la nature. Les zoos, quel que soit le nom qu’on leur donne, ne font que transmettre tout ce qui ne va pas dans notre monde : un égocentrisme et une myopie maladives. Un zoo «sauvage» ou «naturel», un biodôme, la nouvelle formule à la mode, est un contresens. Aucun zoo par définition ne peut être naturel, voire biologique au sens propre. Dans la racine du mot biologique, il y a la notion de vie et non de mort. Que les barreaux de la prison soient visibles ou non, un zoo est un zoo, et ses habitants sont tous des otages enlevés à leur communauté biologique pour des raisons uniquement idéologiques.

Ce qui surprend dans cette histoire, c’est que nous trouvions cela beau et digne d’être montré aux enfants pour des raisons pédagogiques, pour les aider par exemple à mieux respecter la nature et les autres espèces! Alors que le problème des espèces en voie de disparition se situe principalement au niveau de la perte d’habitat et des comportements humains, notamment ceux qui viennent d’être décrit. Dans ces conditions, les zoos ne font que donner à notre arrogance légendaire une occasion en or de se fortifier. On ne peut pas en effet enrayer la perte de biodiversité avec les mêmes valeurs qui l’ont engendré.

Quant à moi, le meilleur zoo serait celui où les cages sont vides. Comme ces camps de la mort préservés en témoignage des atrocités passées, nous pourrions nous en servir comme rappel douloureux d'une époque révolue où nous pensions avoir tous les droits sur cette planète.