La Coupe Grey

2008/06/02 | Par Michel Rioux

Il n’est pas ici question d’une coupe comme celle qui a encore une fois échappé cette année aux Canadiens, la Coupe Stanley. Ni de ce qu’on appelait la coupe à blanc à l’époque où les compagnies forestières n’avaient qu’à se pencher pour couper tout le bois qu’elles pouvaient, sans égard au respect de la ressource. Ni non plus de la fameuse coupe de cheveux Longueuil, adoptée par plusieurs pour, espèrent-ils, produire l’effet sur le sexe dit faible.

Non. Il s’agit plutôt d’un Grey, prénommé Julius, avocat de gauche, à ce qu’il dit de lui-même…

Tout entier consacré à la mise en valeur de sa propre personne, le Maître recherche constamment le moyen d’apparaître dans une posture idéologique et intellectuelle susceptible d’amener quiconque ne prête pas suffisamment attention à ses arguments à conclure que voilà, en effet, un homme de progrès.

Mais quand on y regarde de plus près, on constate au contraire que le Maître est passé…maître dans l’art de flasher à gauche pour mieux virer à droite.

Et quand on regarde l’ensemble de son œuvre, on ne peut que s’écrier, comme Madame Roland avant d’être guillotinée : Ô Liberté ! Que de crimes on commet en ton nom !

Car le Maître n’en a que pour cela, la liberté, qui ne peut se concevoir qu’individuelle et qui doit se traduire en droits encore là individuels. Une espèce de liberté menacée, on s’en serait douté, par des droits collectifs qui ont l’heur de provoquer chez lui des poussées d’urticaire. Dans une récente chronique publiée dans le Journal de Québec, le Maître s’en est désolé. « Une société où le concept douteux de « droit collectif » non seulement remplace la solidarité entre individus qui était à la base des grandes réformes des grandes réformes au 20e siècle, mais obtient une préséance sur les libertés individuelles. Bref, une démocratie totalitaire. »

Quelques précisions s’imposent.

Ce que décrit le Maître, ce n’est pas la solidarité, c’est la charité qui était érigée en système jusqu’au 20e siècle. C’est plutôt le concept de justice qui a amené la collectivité à prendre solidairement des mesures pour protéger les moins bien nantis.

Et parlons un peu du Journal de Québec, où le Maître continue de tenir chronique en dépit d’un lock-out qui y sévit depuis un an. Il dit ne pas voir pourquoi, à l’instar de Lise Payette, il cesserait sa collaboration en appui aux travailleurs mis à la rue par Quebecor. « Au contraire, il est important que des idées de gauche continuent de circuler », a affirmé, de ses quartiers de Westmount, le Maître thuriféraire de la Charte de Trudeau, si assidu à la Cour suprême qu’on le soupçonne d’y louer une suite à l’année.

Idée de gauche, celle de déplorer que Lord Black doive faire de la prison ? « Je suis soulagé qu’il n’ait pas eu 20 ans. Mais six ans et demi, ça reste trop. Il est regrettable d’utiliser le système carcéral pour des gens qui ne sont pas dangereux. » Dixit Churchill : « Si vous volez un rail, vous êtes un voleur et on vous fout en prison. Si vous volez la compagnie de chemins de fer, vous êtes un homme d’affaires et on vous nomme au Sénat.»

Idée de gauche, celle de défendre l’Association des garderies privées qui voulait imposer une surfacturation aux parents ?

Idée de gauche, celle de soutenir le droit de travailler dans la construction sans carte de compétence, en combattant l’obligation d’être membre d’un syndicat.

Idée de gauche, celle d’accepter à l’école un kirpan dont le port est pourtant interdit dans les avions et…dans les cours de justice ?

Idée de gauche, celle de se porter à la défense des tenanciers de bars, dont le Maître dit, dans le Journal du Barreau, que la liberté est au centre du débat et que leur volonté de dénoncer la loi interdisant de fumer dans les lieux publics est « très importante pour toute la société », dans la mesure où elle pose des questions fondamentales sur la liberté, sur le droit légitime de faire des affaires, sur la vie quotidienne des citoyens, sur les limites de la réglementation et sur les exigences de la santé publique » ?

Idée de gauche, celle de faire parvenir en décembre 2007 un SLAPP de 100 000 $ et d’accuser d’antisémitisme un citoyen coupable d’avoir demandé la destitution du richissime Michael Rosenberg de la Commission sur les relations intercommunautaires d’Outremont, qu’il accusait de « bafouer allègrement les règlements municipaux » ? Ce même Rosenberg qui, le 24 décembre 1993, avait mis à la rue les employés du Holiday Inn Crown Plaza de Montréal pour se défaire du syndicat CSN. Il aura fallu 43 mois pour que ces travailleurs retrouvent leur emploi. La compagnie 2028107 Canada Inc. avait cédé l’entreprise à la compagnie 2985420 Canada Inc. Rien de rien n’avait changé, sauf qu’il n’y avait plus de syndicat et que d’autres employés avaient été engagés.

Idée de gauche, celle de porter jusqu’en Cour suprême la décision de la Cour d’appel sur l’illégalité de la synagogue et de l’école hassidiques construites illégalement à Val-Morin ?

Spécialiste des droits individuels, il arrive même au Maître d’en inventer de toutes pièces. Ainsi, dans une émission diffusée à Radio-Canada récemment, il proclamait péremptoirement le « droit au bilinguisme » pour les immigrants. Rien de moins. Jusqu’à ce qu’il s’étouffe quand Josée Legault lui fit comprendre l’inanité de son propos.

En janvier, le magazine Réussir Ici Montréal consacrait un article dithyrambique au Maître, le qualifiant « d’avocat des nobles causes ».

Ah oui ! Nobles causes ? Vraiment ?

Cet article paraît dans l'édition du mois de juin du journal Le Couac.