De la survivance à la lutte pour l’indépendance

2008/06/04 | Par Alain Dion

«Qui ne fait pas l’indépendance, la combat.» C’est avec ces mots de Gaston Miron que Mme Andrée Ferretti lançait à Rimouski, le lundi 19 mai dernier, une conférence/débat ayant pour thème : La lutte patriote d’hier à aujourd’hui. Un projet d’indépendance nationale progressiste, toujours aussi nécessaire.

Invitée dans le cadre de la Journée nationale des Patriotes par le Parti québécois du comté de Rimouski, Mme Ferretti, écrivaine et militante indépendantiste de la première heure, prenait la parole au café La brûlerie d’ici devant un auditoire de plus d’une cinquantaine de personnes rassemblées à cette occasion pour réfléchir et échanger sur la lutte historique des Patriotes de 1837-1838, mais surtout pour analyser la situation actuelle du mouvement indépendantiste québécois.

Celle qui a entre autres milité dans les années 60 au R.I.N. (le Rassemblement pour l’indépendance nationale) dont elle devient la vice-présidente en 1967 aux côtés de Pierre Bourgault, profitait également de l’occasion pour soumettre quelques réflexions pouvant permettre à la fois de sortir le milieu indépendantiste de son immobilisme actuel et relancer ce grand projet d’indépendance nationale.

Courage et détermination

À l’évidence très heureuse de renouer avec les gens de Rimouski, Mme Ferretti, a salué d’entrée de jeu «le courage et la détermination des Patriotes de 37-38, qui, pour certains, ont payé de leurs vies, qui, pour d’autres, ont vécu l’exil afin de défendre un idéal national et démocratique reposant sur la revendication d’un gouvernement responsable élu par le peuple.»

Soulignant dans un bref tour d’horizon historique le mépris affiché par le pouvoir anglais de l’époque, qui renversait une à une les décisions d’une Chambre d’assemblée pourtant élue, elle évoquera avec émotion le travail parlementaire acharné des députés à majorité francophone du Parti canadien (devenu par la suite le Parti patriote) qui revendiquaient en ces moments de grandes tourmentes le simple pouvoir de contrôler les finances et les différentes législations régissant la vie au Bas Canada d’alors.

Elle rappellera que c’est face à l’arrogance du pouvoir anglais et la négation de la voix du peuple, que la rébellion s’organise. Puis c’est la répression, sauvage et sans merci. La rébellion écrasée, la nation canadienne française devrait vivre par la suite une série d’humiliations. «Des écrits de Durham à l’Acte d’union en passant par la confédération, toutes ces attaques ne poursuivaient qu’un seul objectif : mettre la nation canadienne-française en situation de minorité et chercher à en forcer l’assimilation à la majorité anglaise», tranchait la conférencière.

Recréer un vaste mouvement

«Depuis, nous avons su résister à toutes les manigances du fédéral, installés dans une patiente survivance. Mais nous avons quand même remporté certaines batailles», poursuit d’un même souffle l’oratrice qui gagna rapidement l’attention de la foule. «Nous avons fait de grandes avancées, entre autres dans la bataille de l’identité. Peut-être la plus importante. Contrairement aux années 50 ou 60, personne aujourd’hui n’oserait nous traiter de pea soup ou de french frog à Montréal. Nous sommes enfin fiers de ce que nous sommes. Mais il faut maintenant faire le dernier pas, celui qui nous mènera à l’indépendance. Celui qui permettra au peuple québécois de véritablement se libérer de toutes les aliénations héritées par tant d’années d’humiliation. Il faut maintenant passer de la résistance à la lutte finale.»

Répondant à une question de la salle au sujet de la lutte à mener et de la division actuelle du mouvement indépendantiste, Andrée Ferretti affirme sans hésiter que cette lutte devra nécessairement s’ancrer dans l’unité des forces indépendantistes de toutes tendances. Elle souligne au passage qu’«au-delà de la partisanerie, les anglophones forment un bloc homogène quand vient le temps d’enrayer toute tentative du Québec de progresser. Il faut donc nous assurer nous aussi d’unir les forces indépendantistes, d’éviter la prolifération de groupuscules et de petites formations politiques qui nous divisent et nous affaiblissent politiquement. »

Afin de faciliter le dialogue et surtout identifier une tribune libre et non partisane qui permettrait à tous les indépendantistes de débattre ensemble, Andrée Ferretti propose la tenue prochaine d’États généraux des mouvements indépendantistes.

Réaliste, elle souligne l’urgence de développer une stratégie commune, même si dans une certaine mesure elle menait à moyen terme à appuyer le Parti québécois. Ainsi précise-t-elle « il ne faut pas nécessairement adhérer au Parti québécois, mais il faut créer autour du PQ un mouvement indépendantiste dynamique, qui occuperait l’espace public. Car il faut l’avouer, malheureusement peut-être, le PQ est encore notre meilleure arme. Mais il faut rapidement le redresser, car il est présentement dans une position de faiblesse politique et surtout d’impuissance idéologique.»

Insistant ensuite sur notre état de minorité non seulement au Canada et en Amérique du nord, mais à Montréal même, où les francophones ne représentent plus que la moitié de la population, Andrée Ferretti revient à la charge : «Ne perdons jamais de vue l’objectif et soulignons clairement sur toutes les tribunes le prestige de l’indépendance. Il faut parler de l’indépendance partout, tout le temps. Organiser des manifestations, des réunions, des grandes assemblées. Il n’y a pas un être humain sur la terre qui ne désire pas être libre. La servitude n’est pas un choix. Mais la démocratie exige que tout changement radical ne peut venir que dans l’adhésion consciente du peuple. Et ça, ça ne se fait pas avec des prières. Il faut donc avoir de la détermination et du courage, la même détermination et le même courage que les Patriotes de 37-38. C’est comme ça qu’on secouera le PQ et qu’on le poussera à s’appuyer sur une base militante indépendantiste résolument engagée à construire le pays. »

Quatre générations d’indépendantistes

Optimiste face à l’avenir, Mme Ferretti rappelait en terminant son exposé que, depuis la Conquête anglaise, le mouvement indépendantiste a connu au cours des deux cents dernières années divers épisodes plus ou moins malheureux. Souvent l’apanage d’un seul groupe ou d’une seule génération, ces mouvements ont vite été réprimés.

Pour elle, la situation est tout autre aujourd’hui. « Nous pouvons présentement construire notre mouvement sur quatre générations d’indépendantistes actifs. Il faut donc travailler rapidement à rassembler toutes ces forces dans un seul mouvement. Il faut sortir du cercle des convaincus et tout faire maintenant pour convaincre nos concitoyens qui hésitent toujours à faire le choix de l’indépendance. Bon an mal an, nous sommes 60% de francophones à adhérer au projet d’indépendance nationale. Il reste donc 40% de Québécois francophones à convaincre de la légitimité et de l’urgence de l’indépendance. Alors, si l’on en convainc 10 ou 15 %, nous avons de grandes chances de réussir.»

C’est sous les applaudissements nourris de la foule que Mme Ferretti terminait sa présentation en lançant d’une voix assurée : «J’ai 73 ans, et je milite maintenant depuis 45 ans pour l’indépendance et je suis certaine que je ne mourrai pas avant d’avoir vu l’indépendance du Québec.» Souhaitons-nous de la vivre avec elle.