Eau secours! 10 ans de lutte

2008/06/11 | Par Maryse Pelletier

Le curieux qui entreprendrait naïvement la lecture du livre « Eau Secours! », qui relate les dix années d’existence de la coalition du même nom, n’en sortira pas indemne. C’est que l’histoire de la lutte qui a mené à la formation de la coalition, ainsi que quelques autres auxquelles la coalition a participé durant ses dix ans d’existence, est tout sauf simple, et qu’elle met en scène des acteurs dont on découvre avec effarement les intérêts et les tactiques pour s’approprier l’eau, sa gestion et sa commercialisation. Une histoire à laquelle nous sommes tous liés, de quelque façon que ce soit, où que nous demeurions au Québec.

Il faut dire que l’eau, enjeu de ces batailles, est essentielle à la vie, que le Québec en possède en abondance – mais peut-être pas tant que ça - , et que, plus le temps passe, plus le monde entier s’y intéresse aussi.

Tout a commencé en 1996, quand le Maire Pierre Bourque a voulu privatiser l’eau potable de Montréal; vous en souvenez-vous? Des syndicalistes, des artistes, des scientifiques et des élus se sont réunis et, appuyés par un fort courant populaire, ont fait échouer le projet. Puis il y a eu, en 2002, la campagne « Adoptez une rivière » qui a, mais seulement temporairement semble-t-il, mis un frein à la construction de barrages privés sur nos cours d’eau. Et d’autres problèmes, et d’autres urgences...

Dans tous les combats relatés par l’auteur, on retrouve trois groupes en présence : les citoyens, les intérêts privés et les gouvernants – locaux ou provinciaux. Et les trois dansent. Le plus souvent, le gouvernement est partenaire du privé, qui le fait tourner au pas de sa valse, pendant que les citoyens, qui croyaient être les premiers sur le carnet de bal, ne vont sur la piste que pour faire trois pas de temps à autre, en solitaires. Et pourtant, ils sont collectivement propriétaires de la piste.

Quand on se retrouve avec un puits contaminé par une compagnie, et un gouvernement qui ne veut pas faire payer la compagnie, mais qui nous facture, nous, les victimes de cette contamination, on sait pas comment c’est venu; on ne sait pas non plus pourquoi une compagnie française et son associé québécois se retrouvent tout à coup en tête pour décrocher un gros contrat de la gestion de l’eau montréalaise, reconnue pour sa qualité. En bien, quand on lit Eau Secours!, on en a une bonne idée. Une très bonne.

Tout cela, et bien plus, est raconté dans un style enlevé, imagé, au rythme soutenu, au ton ironique, sarcastique, non dénué d’humour. Il le fallait. Entre le cheminement de l’eau potable dans l’aqueduc de Montréal, la contamination de la nappe phréatique de Roxton Pond et les effets du niobium d’Oka sur la santé humaine, il fallait une pensée claire et une connaissance intime des enjeux – politiques, économiques et sociaux – pour faire digérer au lecteur, qui y reste accroché, le récit des luttes autour de la propriété et de la gestion responsable de l’eau.

Eau Secours! est un livre d’étape. Il ne faut pas surtout s’imaginer que la bataille de la gestion responsable de l’eau est gagnée. Pierre-Louis Trudeau aura de quoi écrire un autre livre dans dix ans, puisque les intérêts privés sont toujours là, actifs, grugeant autant qu’ils le peuvent, dans le silence et loin du débat public, notre richesse collective pour se l’approprier. Les lois que les gouvernements successifs adoptent leur donnent bonne bouche mais n’ont pas encore de dents, étant donné que les budgets, les règlements et les inspecteurs qui devraient les faire respecter ne viennent pas avec.

À cet égard, ce qu’écrivait Le Devoir, en 2002, au moment de la bataille contre les barrages privés, reste d’actualité : « Entre des intérêts privés, des politiciens en mal de visibilité et des élus municipaux en mal de budget, un joli mensonge est en train de se tisser. »

Un livre à boire à petites gorgées, si on veut tout absorber. Pour la prochaine bataille.

EAU SECOURS!
Pierre-Louis Trudeau
Les éditions Michel Brûlé