Nouvelles du Saguenay : La Fabuleuse…arnaque

2008/06/16 | Par Pierre Demers

Vous connaissez le show touristique estival saguenéen le plus couru et le plus connu en ville et ailleurs, la Fabuleuse, copiée par les autres régions (Victoriaville, Shawinigan), comme on dit ici? Et renommée depuis l’an dernier, après son lifting théâtral par un dramaturge «originaire de la région » Michel-Marc Bouchard et le metteur en scène Serge Denoncourt, La Nouvelle Fabuleuse ou Les Aventures d’un Flo.

Il y a de bonnes chances que vos grands-parents, que vos matantes ou mononcles l’aient vue une ou deux fois depuis vingt ans. 90% des spectateurs qui viennent voir ce show boucane vivent à l’extérieur de la région. On attend cet été le millionnième spectateur pour célébrer fabuleusement le vingtième anniversaire de cette réussite… touristique.

La Fabuleuse imaginée et mise en scène par Ghislain Bouchard, un metteur en scène de Chicoutimi fortement inspiré par un modèle de spectacle amateur français et sans doute aussi par les pageants historiques de l’abbé Laurent Tremblay, le frère de l’historien Mgr Victor Tremblay, est devenue depuis le temps une multinationale du tourisme régional entre les mains d’une corporation paquetée par les échevins de la Ville et des amis du régime. Une machine à piastres.

La Fabuleuse est sans nul doute la grande réussite touristique de l’arrondissement de La Baie, plus rentable que le port d’escale pour les bateaux de croisière qu’on construit actuellement au coût de 30 millions $ et qui défigure sensiblement le point de vue que les citoyens de cette ville amochée par les fermetures d’usines avaient sur ce site marin unique.

Des millions qui roulent

La Fabuleuse coûte des millions à faire rouler, des millions en budget publicitaire, des millions en subventions gouvernementales, en opération et en salaires d’administrateurs, de «directeur artistique » (Louis Wauthier qu’il s’appelle, le grand manitou du show qui, récemment, s’est permis la mise en scène d’un show Harley de motards au Palais des sports de Jonquière. Vous voyez le genre), de techniciens et autres spécialistes d’effets spéciaux, de costumiers et de vendeurs de forfaits et de croustilles.

Le remodelage de la Fabuleuse par Michel-Marc Bouchard et Serge Denoncourt a coûté 1 1/2 million $. Ils ont été payés combien les deux pigistes montréalais pour refaire la Fabuleuse au goût du jour et à la sauce Cirque du soleil ? Cher. Vous leur demanderez. La corporation se fait discrète sur leur cachet. Ils n’ont pas réécrit et remis en scène le show bénévolement. Ce sont des professionnels, eux.

Comme les autres à qui on a loué la voix pour la narration ampoulée de circonstance (Michel Dumont, un camarade de théâtre de Ghislain Bouchard à l’époque de la troupe La Marmite de Chicoutimi, fin des années 50) et d’autres originaires bien sûr de la région, Ghislain Tremblay, Germain Houde qui parlent dans la bouche de certains des 200 comédiens bénévoles. Dans cette nouvelle version, certains acteurs ont des textes à réciter. Aucun comédien plus ou moins professionnel de la région n’a le droit de cité là. C’est ça l’arnaque.

Des comédiens bénévoles qui doivent apporter leur lunch

Pendant vingt ans, des comédiens bénévoles (1600 depuis le début, le roulement est plutôt fort) se sont succédés sur les planches du Palais municipal de la Baie, pendant sept semaines (juillet et août) à raison de 5 soirs par semaine pour enrichir la Ville et consolider la réputation touristique d’un show qui n’a jamais voulu payer ceux et celles qui tiennent le fort, portent les costumes d’époque et vieillissent à travers les saisons de ce spectacle plus ou moins théâtral.

Un bénévole anonyme qui désire encore jouer dans la Nouvelle Fabuleuse m’explique le contexte de travail de ces adultes et enfants (plus de la moitié des bénévoles actuels) mobilisés volontairement pour la cause touristique régionale. Ici le travail des enfants est permis…

«C’est sûr qu’ils ne nous gardent pas de force. Il en reste seulement 4 qui étaient là la première année. Régulièrement, les nouveaux qui arrivent, surtout les adultes – les enfants sont plus dociles – demandent pourquoi ils n’auraient pas droit à une certaine rémunération. Après tout, ils passent sur cette scène de quatre heures à minuit, cinq jour par semaine. C’est une semaine de 40 heures comme les vrais travailleurs. Mais, on (La corporation) leur fait comprendre rapidement le mot d’ordre : sur la Fabuleuse, les comédiens sont bénévoles. C’est ce qui fait la beauté et la fierté de l’organisation. Si quelqu’un insiste pour se faire payer quelque chose, il n’insiste pas trop longtemps. On lui montre la porte et on lui répète que la liste d’attente des bénévoles est longue comme ça. »

En plus de ne pas être payés, les comédiens bénévoles doivent apporter leur lunch lors des répétitions. Quand ils jouent, on leur paye le souper. C’est gentil. Mais ils doivent se débrouiller pour se rendre à la Baie. C’est sans doute pour cette raison que les bénévoles de cet arrondissement sont plus nombreux que ceux de Chicoutimi et de Jonquière. Même si Michel Marc Bouchard a garni le nouveau contenu de la Fabuleuse de séquences historiques jeannoises, les comédiens bénévoles du Lac sont peu nombreux. Il y a tout de même des limites à se faire exploiter.

Le même bénévole qui veut conserver sa job pas payante m’a aussi précisé le changement de mentalité et de générosité de la corporation devenue, au fil des années, une multinationale de plus en plus capitaliste et gratteuse.

«Dans les premières années, les bénévoles étaient mieux soignés. On leur payait à la fin de la saison des voyages intéressants (Cuba, Europe) pour les récompenser. Ils avaient droit à certaines faveurs, des remboursements de frais de déplacement, des repas en groupe, des cadeaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maintenant plus rien. Ils nous disent qu’ils n’ont plus d’argent pour ces choses-là, que les frais de rénovation du palais municipal (un aréna converti en une salle de 2500 sièges confortables et une scène grande comme une patinoire) et de technique grugent les profits. »

Où vont ces fameux profits qui doivent être tout de même respectables (55 000 entrées par semaine à 50 $ (25 $ pour les enfants) du billet sans compter les profits des restaurants et des produits dérivés) ? Cette année on vise 61 000 entrées par semaine. Elle doit bien aller quelque part cet argent-là. Quand on leur demande, la réponse est toujours la même : on consolide l’infrastructure. C’est le discours officiel des membres de la corporation et de tout le conseil municipal de Ville Saguenay et de Promotion Saguenay vendus à ce show touristique millionnaire.

La réputation de la Fabuleuse s’est faite en grande partie sur le dos du bénévolat de milliers de personnes et d’enfants de la région qui avaient le goût de monter sur une scène pour porter un costume d’époque et se faire voir par du monde de l’extérieur.

Un comédien ça joue gratis

Mais il y a en plus, à la longue, un effet pervers à cette Fabuleuse présentée comme un spectacle théâtral avec effets spéciaux et grands renforts de publicité nationale. Ce show consolide la vision régionale des bailleurs de fonds municipaux et régionaux qui propagent que le métier de comédien ne mérite pas qu’on le rémunère à sa juste valeur.

Les effets spéciaux, l’éclairage, les décors, les costumes, les accessoires, le côté hollywoodien seuls valent les grosses subventions et les investissements dans la mise en marché. Mal pris, on se paye des professionnels de Montréal ou d’ailleurs pour mieux huiler la machine à touristes. Bref, la culture touristique passe d’abord. Suivent loin derrière les petites troupes de théâtre locales, les comédiens qui s’arrachent la vie avec des contrats de fortune, les créateurs et auteurs d’ici qui végètent sur le b.s. Les dramaturges locaux qui déménagent à Montréal pour espérer se faire engager plus tard sur la version 3000 de la Fabuleuse.

Un exemple de ce regard méprisant parmi tant d’autres porté sur le parcours des comédiens et des danseurs régionaux dans la petite histoire de la Fabuleuse. Une dizaine de danseurs et danseuses du conservatoire ont participé à la Fabuleuse pendant quelques années lors de leur formation. Quand ils ont eu terminé leurs études, ils devaient être rémunérés selon les tarifs des professionnels de leur domaine. La corporation de la Fabuleuse n’a pas pris de chance, elle les a remerciés deux semaines avant la fin de l’année scolaire. C’est ce qu’on appelle un bon timing.

Un comédien professionnel de la région qui désire lui aussi gardé l’anonymat pour continuer de toucher son 1500$ de subvention par année pour faire vivre une troupe de théâtre n’est pas tendre avec la Fabuleuse. Il souligne à sa façon l’effet pervers de ce show touristique qui n’a rien de théâtral.

« Certains comédiens de la région ont essayé sans succès de participer à la Fabuleuse. On leur a refusé parce qu’ils désiraient être payés. C’est un métier celui de comédien et en agissant ainsi avec 200 comédiens en puissance qui sont forcés de rester bénévoles pour jouer on dénature la profession. Les gens ordinaires, le grand public pense ainsi que n’importe qui peut jouer n’importe quoi et monter sur les planches. Ce n’est pas très respectable pour la profession et encore moins pour l’idée qu’on se fait du théâtre et des métiers du spectacle dans la région. Sans compter que l’histoire régionale se résume dans cette Fabuleuse à des anecdotes et à des personnages plus ou moins folkloriques. »

En effet, la vision historique de ce show boucane laisse à désirer. Certains visiteurs de passage qui ont vu La Fabuleuse et qui apprécient autre chose que le théâtre d’été questionnent le côté réducteur de ce spectacle touristique, les effets spéciaux, les jeux de mots faciles, les clins d’œil à l’accent et à la naïveté locale qui sert avant tout à appâter (et à rassurer) le grand public en quête de récit linéaire connu entre deux autobus Voyageur ou entre deux visites chez des parents saguenéens éloignés.

Mais son contenu lyrico-folklorique, c’est une autre histoire. Demeure une chose essentielle : la Fabuleuse et sa corporation municipale se sont enrichies sur le dos de milliers de bénévoles qui doivent apporter leur lunch pour pratiquer leur rôle et s’en retourner sur le pouce à la fin du spectacle, vers minuit. La fierté régionale en prend pour son rhume