Nouvelles du Saguenay : l’homme qui a vu l’ours

2008/06/19 | Par Pierre Demers

Quand, par hasard et sans avertissement, les bêtes sauvages débouchent sur le territoire des hommes et, stressées par leur agitation et leur musique, se mettent à foncer partout et sur tout, les chefs de pupitre des journaux populaires salivent.

C’est encore arriver ce printemps et ce début d’été au Saguenay et ailleurs (La grand-mère pêcheuse dévorée par un ours en Abitibi). Entre deux déluges, une bête sauvage ça peut faire l’affaire. Depuis quelques semaines, les manchettes sur les ours, les orignaux, les loups qui auraient été aperçus près des établissements humains, près des quartiers avoisinants des boisés se sont multipliées.

Certains policiers sont même intervenus pour jouer du fusil, pour nous protéger contre leur envahissement. Sont braves ces flics au lieu de s’occuper des motards sur les pistes cyclables et laisser les bêtes circuler mollo ou de téléphoner aux agents de la faune qui ont plus l’habitude de leur parler sans tirer.

Tout le monde est surpris d’apprendre ici qu’ils vivent dans le bois à deux pas de filières forestières par où peuvent se faufiler à peu près n’importe laquelle petite ou grosse bête. Suffit de traverser le Parc des Laurentides pour s’en rendre compte. Entre deux collisions d’orignaux ou de Hondas civics à calottes.

Un ours dans le parc

Le Progrès-Dimanche a fait sa une, il y a un mois, avec deux madames poursuivies par un ours dans le parc Rivière-du-Moulin de Chicoutimi. Juste avant de les attraper et de les dévorer tout rond, un agent de la faune à vélo a réussi à faire fuir le gros nonours. Les madames ont raconté la peur de leur vie à tous les médias de la région. À la fin de la semaine, elles avaient moins peur…des journalistes.

Depuis, on a vu des bêtes sauvages envahir la région partout. La Ville a tout tenté pour retracer la bête sans succès. On a fermé l’accès au parc situé tout de même en plein milieu d’un quartier, posé des cages à tous les 100 pieds, munis tous les promeneurs d’un vélo et d’un sifflet pour prévenir le coup. Pas de trace de l’ours.

La Ville aurait même songé un temps faire appel à une voyante ou à l’armée. Çà aurait coûter trop cher et le maire avait oublié de le budgéter dans ses prévisions. Un agent de la faune nous a expliqué que les madames ont mal agi dans les circonstances.

L’homme qui a vu l’ours

Claude Dussault, biologiste au ministère des Ressources naturelles et de la Faune à Jonquière, en a vu des dizaines d’ours dans la forêt, surtout quand il préparait sa maîtrise sur l’orignal dans le Parc des Laurentides et ailleurs.

Il met en perspective les derniers évènements concernant la présence des bêtes dans la région. Selon lui, leurs visites correspondent aux autres années. «Dans le journal La Minerve de 1833 à Québec, on signale la présence d’ours près des habitations humaines tout en indiquant que ces bêtes ont l’habitude de circuler davantage au printemps en quête de nourriture.

En changeant quelque peu les dates, on aurait pu publier cet article la semaine dernière. Leur présence près de nous ne date pas d’hier. Surtout si la récolte des petits fruits n’a pas été abondante, les ours vont s’aventurer davantage près des hommes. En plus, les jeunes quittent leur famille et se dispersent à ce moment-là. Comme les jeunes qui quittent la région pour aller voir en ville ce qui se passe.

On n’a pas à s’inquiéter de leur présence momentanée. Les bêtes cherchent de la nourriture et circulent en fouillant partout, surtout dans les poubelles. Ce sont nos déchets qui les attirent. Si on se retrouve par hasard en leur présence,

Quoi faire alors ? Les madames dans le parc de Rivière-du-Moulin ont été mal conseillées. Il faut surtout ne pas se sauver. Leur faire face. Signaler sa présence, faire du bruit, crier fort. Les abîmer de bêtises s’il faut. Ouvrir son manteau, monter sur les épaules de son voisin pour paraître plus grand, faire le Great Antonio, l’intimider. S’il fonce, prendre un bout de bois et frapper dessus. L’ours va foncer, mais à la dernière minute, il s’arrêtera. Si on se sauve, il court plus vite que nous et il nous sautera dessus par derrière. »

Le bal continue

Après l’épisode des deux madames poursuivies par un ours dans le parc de Rivières-du-Moulin, les autres cas d’animaux sauvages plus ou moins envahisseurs se sont multipliés. La semaine dernière, les policiers municipaux ont abattu un ours à Chicoutimi qui rôdait depuis quelques jours autour des poubelles. Ils l’ont attrapé dans un arbre avec un sac vert dans la gueule. On aurait dit une séquence inédite de La petite vie…

Un autre ours noir a été vu près d’une école primaire dans le secteur nord de Chicoutimi, il y a deux semaines. Les parents ne voulaient plus envoyer leurs enfants se faire dévorer. La panique a pris dans le quartier. On a fermé l’école quelques jours en accusant tout le monde d’attirer les bêtes avec des friandises…Les cours d’éducation physique à l’extérieur ont été suspendus.

Pas moins de 14 signalements d’ours ont été recensés depuis le début du mois de mai autant au Lac Saint-Jean qu’au Saguenay. Cette région est devenue un zoo. Sauve qui peut.

Des cerfs de Virginie, des loups et des orignaux ont également été aperçus un peu partout dans la région. Les autorités du zoo de Saint-Félicien se demandent de plus en plus s’ils ne devraient pas modifier leur publicité et attirer les touristes en signalant que, dans la région, les bêtes sauvages courent les rues, dorment sur les galeries et se baignent dans les piscines hors terre …

Le capital touristique de la présence de ces bêtes sauvages en milieu humain mérite d’être mieux exploité. C’est ce que tente de faire une petite PME. de la Baie qui développe depuis quelque temps un centre d’observation des ours pour attirer les touristes qui débarqueront des bateaux de croisières sous peu. Une idée comme une autre d’appâter l’étranger.

Un site de nourrissage à la Baie

On tente d’attirer les ours noirs en leur offrant de la nourriture dans un boisé près de la Baie. On y a aménagé des postes d’observation sécuritaires (J’espère…) et là, on attend que tous les ours du Parc des Laurentides et d’ailleurs s’y donnent rendez-vous. Ils sont surtout attirés par des sucreries. On ne précise pas si on leur refile des petits gâteaux Vachon…

Les biologistes des Ressources naturelles et de la faune sont déjà à l’œuvre pour vérifier si les ours vont tomber dans le piège touristique. Le biologiste Claude Dussault nous explique les raisons d’être de leur travail.

«On étudie leur comportement et leur déplacement. On veut vérifier, entre autres, si ce site va multiplier leur présence en milieu humain. On veut surtout constater à quel point ce site va limiter leur déplacement en les concentrant dans un lieu unique d’approvisionnement. Vont-ils devenir sédentaires ? Notre étude débute ce printemps même. On verra par la suite si ce site a des répercussions sur leur présence en ville. Mais encore une fois, de façon générale, les ours noirs ou autres sont attirés par les déchets humains. Si on ne s’occupe pas de ses poubelles, les ours vont le faire à notre place. ».

Région sauvage

Je persiste à croire qu’on rate, une fois de plus, un potentiel touristique indéniable avec ces bêtes sauvages qui apparaissent et disparaissent chaque printemps. On pourrait, par exemple, laisser croire aux touristes qu’ici, au Saguenay comme au Lac, chaque famille profite sans frais de
son zoo sauvage dans la cour arrière.

Les ours nous accompagnent quand on fait notre jogging dans le parc à côté, les orignaux bouffent notre pelouse et nos mauvais herbes, se baignent avec nous dans notre piscine hors terre et nous réveillent le matin en grattant la porte patio.

Mais je me demande pourquoi ces fameuses bêtes sauvages disparaissent lentement du Parc des Laurentides ? On y a aménagé des passerelles sous les ponts et les viaducs pour leur permettre de circuler sans danger. Des kilomètres et des kilomètres de clôtures électrifiées les empêchent maintenant de se suicider contre les voitures et les camions.

En construisant l’autoroute à quatre voies, on les a forcées à se retrancher ailleurs dans le fond des bois et parfois, sans doute, près des habitations humaines. Elles projettent peut-être de toutes converger vers le site de nourrissage de la Baie pour se faire belles et bêtes devant les croisiéristes qui arrivent de partout à travers le monde. Si je restais à la Baie, je fermerais ma porte patio avant de me coucher. On ne sait jamais.