La Reine de carreaux

2008/07/03 | Par Michel Rioux

Rien n’étant plus vieux, paraît-il, que le journal de la veille, il s’en trouve sans doute très peu pour se souvenir de cette soirée au cours de laquelle, à l’occasion d’un banquet de la Tribune de la presse à Ottawa, en octobre 2005, la représentante de la reine d’Angleterre en terre canadian, son Excellence Michaëlle Jean, s’était présentée au micro, visiblement sous influence, pour annoncer tout de go : « Ce soir, les autres, on s’en fout ! Je vais faire une folle de moi. » Elle devait ajouter, la bouche un brin pâteuse, mais l’œil plutôt guilleret : « Je n’ai pas été nommée gouverneure générale parce que je suis une femme, ou parce que je suis immigrante ou parce que je suis Noire. Non. Mais parce que je suis hot…»

Même sa soeur Nadèje ne l’avait pas trouvée drôle et s’en était ouvert dans une lettre à la presse. « Par certains des propos que tu as tenus, tu as fait fi de ton devoir de respecter le caractère strictement symbolique de ta fonction. Tu as eu la triste maladresse de mettre tes deux pieds sur le terrain politique. Ainsi, la prochaine fois que tu auras à porter un toast afin de clore l'un de tes discours, évite donc de bégayer... Se moquer aussi subtilement de tous ceux et de toutes celles qui aspirent à faire du Québec un pays souverain, n'y a-t-il pas là une intention politique à peine dissimulée ? »

Faire une folle d’elle, avait-elle dit en cette soirée qui n’en devint pas pour autant un événement d’octobre... Elle a tenu parole. Au-delà même de toute attente.

Car pour son propre malheur – et un peu pour le nôtre aussi –, elle ne s’est pas arrêtée dans sa course incandescente et a poursuivi allègrement pour nous faire revivre, ici comme en France, la transe transcanadienne.

Bien sûr que cela peut vous monter à la tête, surtout si on l’a légère, de se faire dire qu’on est le successeur de Samuel de Champlain. Ou encore de lire dans Libé qu’on serait un heureux mélange de Lady Di et de Nelson Mandela. On en a connu d’autres qui n’ont pas survécu au king size ego trip sur lequel ils s’étaient engagés, confirmant à nouveau cette règle d’airain suivant laquelle la roche Tarpéienne est bien proche du Capitole. Pensons ici à cette étoile très filante que fut Maximus 1er Bernier et à son égérie aux multiples relations, Julie Couillhard.

Mais quant à savoir si la vice-reine du Canada est ou non une reine-nègre, cela dépend de la réponse qu’on apporte aux deux questions qui suivent.

* Ou bien la vice-reine du Canada n’est qu’une potiche attirée par les ors et les velours qui viennent avec la fonction, à quoi il faut ajouter l’aisance matérielle assurée pour ses vieux jours, auquel cas elle ne sait pas au juste ce qu’elle fait ni ce qu’elle dit, et on aura compris pourquoi Radio-Canada l’avait tablettée avant qu’elle ne reçoive l’appel de Paul Martin.

* Ou bien la vice-reine du Canada sait très bien, au contraire, ce qu’elle fait et saisit tout le sens de ce qu’elle dit, auquel cas, en reniant les convictions qu’elle avait souventes fois affichées, elle accepte volontairement de contribuer à une opération de nation building canadian et se met résolument au service du pouvoir fédéral.

Si, ce qui semble bien être le cas, c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne, les personnes qui, dans le temps, mettaient leur réputation et leurs compétences au service du dominateur et du colonisateur, cela s’appelait en Afrique des rois-nègres. Il y en eut aussi en Asie, de ces rois. Et on a connu ici même au Québec des rois-nègres qui n’étaient même pas Noirs. C’étaient des Blancs qui se mettaient au service du pouvoir central pour mieux étouffer les volontés d’émancipation du peuple québécois.

Le Québec a toujours compté un certain nombre de rois-nègres. Vous voulez des noms ?

Dans un documentaire tourné en 1991 et portant le titre La manière nègre, le prince-consort, Jean-Daniel Lafond, présentait la future vice-reine en compagnie de poètes engagés dans la lutte pour l’indépendance du Québec, les Chamberland, Godin, Ferretti, Vallières, Laferrière et autres alors qu’ils levaient ensemble leurs verres « à l’indépendance et aux indépendances ».

Face à pareille trajectoire, quelque chose reste sur le cœur et provoque la nausée : voir cette petite vice-reine d’opérette accepter ainsi, avec le sourire, de frotter les carreaux du boss fédéral, à Ottawa.

Cet article paraît dans l'édition de juillet du Couac