Victoire d’Evo Morales en Bolivie

2008/08/25 | Par André Le Corre

Le 10 août dernier, au soir d’un référendum gagné avec 67,41% des voix, le président bolivien Evo Morales s’est adressé, du balcon du palais Quemado, à une foule en liesse assemblée sur la place Murillo de La Paz. Dans son discours il a déclaré « Sœurs et frères, ce qui s’est passé aujourd’hui en Bolivie est quelque chose d’important non seulement pour les Boliviens mais aussi pour tous les Latino-Américains (…) ce triomphe de la révolution démocratique et culturelle du peuple bolivien nous le dédions à tous les révolutionnaires de l’Amérique latine et du monde.»

Ce référendum a été très peu couvert par la presse internationale polarisée en ce moment par le conflit en Géorgie et par les Jeux olympiques. Les rares commentateurs qui ont écrit sur cet événement ont qualifié, pour la plupart, ce résultat de statu quo. Cela paraît une opinion à bien courte vue.

La formule de ce référendum « révocatoire», tel que prévu dans la nouvelle constitution bolivienne, est simple. Comme dans tous les référendums une question est posée à laquelle les électeurs doivent répondre par un oui ou par un non.

Pour la présidence et la vice-présidence, si le non dépasse de 0,1% le résultat obtenu à la dernière élection les deux gouvernants sont considérés comme révoqués. Pour les préfets de chacun des neuf départements (provinces), il suffit que le non recueille une voix de plus que lors de leur élection pour entraîner la perte de leur poste.

Dans le cas présent la question était simple : « Êtes-vous d’accord avec la continuation du processus de changement conduit par le président Evo Morales Ayma et le vice-président Àlvaro García Linera?»

Les résultats

Au moment où ces lignes sont écrites les résultats complets et définitifs ne sont pas tous connus à cause d’un problème dans le département d’Oruro où une reprise partielle du vote était en cours le dimanche 24 août. Cependant, les chiffres que nous possédons parlent d’eux-mêmes.

Au niveau national: 67,41% du vote en faveur du oui avec une participation de 83,33%. La répartition de ce vote dans chaque département n’est pas encore connue, mais il semble que dans les trois département où résident une majorité d’indigènes, soit La Paz, Oruro et Potosi, le oui ait obtenu plus de 83%.

Dans ceux de la Media Luna (Demi-lune) où se sont tenus récemment des référendums autonomistes illégaux, le oui a gagné dans Pando, égalisé dans Tarija et a augmenté son pourcentage dans Beni et même Santa Cruz.
En ce qui concerne les quatre préfets de la Media Luna, ils ont tous été confirmés dans leurs postes. Les préfets des deux départements dirigés par des élus du parti au pouvoir, le MAS (Movimiento al socialismo), ont été également confirmés.

Les deux cas les plus intéressants sont ceux de Cochabamba et La Paz. Dans Cochabamba, le préfet Manfred Reyes, ex-capitaine du temps de la dictature et agent probable de la CIA, a été révoqué. Dans La Paz, José Luis Paredes, un social démocrate égaré dans le mouvement autonomiste a été également révoqué.

Ces chiffres montrent bien que l’on ne peut parler de statu quo. Le peuple bolivien dans son ensemble a apporté son soutien à Evo Morales et approuvé les réformes mises en œuvre depuis son élection en décembre 2005, comme le démontre l’augmentation du vote en sa faveur de 54% en 2005 à 67% lors de ce référendum.

Bientôt, un référendum sur la Constitution?

Un processus est en cours visant à la récupération des richesses naturelle mises au pillage par les multinationales : eau, mines, pétrole et surtout gaz naturel. L’entreprise de télécommunication Entel a été nationalisée. Au plan social une diminution importante de l’analphabétisme, une meilleure assistance médicale, des prêts sans intérêt pour les petits producteurs agricoles etc.

Au plan politique, les deux préfets révoqués pourront être remplacés par des substituts par le gouvernement (de nouvelles élections devant avoir lieu dans ces départements d’ici trois à six mois). Mais c’est surtout le pourcentage élevé de votes recueilli par le Président et le Vice-président qui permettra maintenant d’organiser un référendum sur la Constitution alors qu’il n’avait pas été possible d’obtenir jusqu’à présent un vote des 2/3 du Congrès, nécessaire pour son adoption.

Cela permettrait de définir et encadrer le degré d’autonomie acceptable pour les départements et mettre à moyen terme fin à la tendance sécessionniste des préfets de la Media Luna. Tous ces événements ont aussi mis en valeur les qualités exceptionnelles d’Alvaro García Linera, mathématicien et sociologue dévoué depuis toujours à la cause indigène.

L'opposition de « ceux de toujours »

Il y a donc des avancées incontestables, mais il reste aussi des obstacles très importants à franchir. Le premier et le plus important est évidemment celui que présente l’oligarchie blanche et métis concentrée dans les riches provinces de la Media Luna. « Los de siempre » (ceux de toujours) comme les appelait Gabriel García Márquez, ces descendants de la colonisation espagnole qui ont régné sans partage sur toute l’Amérique latine pendant 500 ans et qui voient maintenant leur hégémonie menacée et sont prêts à la défendre par tous les moyens.

Dans le cas de la Bolivie cela prend la forme de Comités civiques et de milices de jeunes comme l’Union juvénile de Santa Cruz à tendances racistes et fascistes. Pour donner un exemple, un groupe de ces jeunes a le 25 mai dernier, à Sucre capitale administrative du pays et du département de Chuquisaca, fait déshabiller un groupe d’indigènes en costumes traditionnels, leur a attaché les mains derrière le dos, les a fait tourner en rond, puis mettre à genoux sur la place principale. (Dans les rues de Sucre les costumes indigènes sont interdits par la municipalité). En représailles, l’Union paysanne a organisé récemment un blocus total des routes menant à Sucre.

La dernière menace en date de la part des extrémistes est de fermer les valves et de s’attaquer aux gazoducs qui approvisionnent le pays et assurent l’exportation vers les pays voisins du gaz naturel. En réponse, le vice-président Linera a riposté que les mesures nécessaires seraient prises pour protéger ces installations. Ici, il faut se poser la question; quelle sera l’attitude de l’armée que l’on a vu aux côtés du Président lors de la nationalisation des champs pétrolifères?

Une présence suspecte

L’autre ennemi, encore plus dangereux comme partout dans le monde, ce sont les Etats-Unis, leur CIA et les agences bidons qui lui servent de couverture : USAID, IRI (Institut Républicain International), NED (National Endowment for Democracy).

En Bolivie, il y a aussi la présence suspecte de leur ambassadeur Philip Goldberg, un de ceux qui a le plus contribué à l’éclatement de la Yougoslavie. Et, pour tout le continent, il y a la IVième flotte qui revient à la vie! Nous recommandons à nos lecteurs et lectrices la lecture sur Internet d’un article de CEPRID en date du 1er juillet 2008 intitulé « La CIA et l’oligarchie, Conspiration contre la Bolivie » (www.rebelion.org/noticia).

Tout cela n’empêche pas qu’un mouvement puissant est en marche dans toute l’Amérique latine et que ce référendum gagné y aura partout des répercussions positives, autant dans les pays amis, le Venezuela de Hugo Chavez, l’Équateur de Rafael Correa, (25% d’indigènes) et le dernier venu, le Paraguay où le 16 août a été intronisé le nouveau président l’ex-évêque Fernando Lugo, que dans les pays encore opprimés comme le Pérou (46% d’indigènes).

Il y a toujours une fin à l’injustice et à l’oppression et nous ne voudrions pas terminer cet article sans citer un passage d’un très beau poème d’Eduardo Galeano, grand poète uruguayen, qui apparaît en espagnol dans un article d’Ariel Ogando sur le réseau Internet Rebelion (traduction libre) :

Ce qui est arrivé en Bolivie nous enseigne que cette peur
d’être ce que nous pouvons être n’est pas un ennemi invincible;
le racisme n’est pas une fatalité du destin
nous ne sommes pas condamnés à répéter l’histoire. (…)
Nous avons été conditionnés pour aller en fauteuil roulant et maintenant
nous récupérons la possibilité et l’énergie en Amérique latine
de cheminer avec nos propres jambes, penser
avec nos propres têtes et ressentir avec nos propres cœurs.