Première décennie de Kyoto

2008/08/26 | Par Richard Bergeron

Richard Bergeron est Chef de Projet Montréal et auteur de Le Livre NOIR de l'automobile et de Les Québécois au volant

Si vous avez l'impression qu'il y a toujours plus de véhicules dans nos rues et sur nos routes, vous serez rassuré d'apprendre que vous n'avez pas la berlue. En effet, la publication récente du bilan 2007 de la Société de l'assurance automobile du Québec révèle qu'au cours de cette seule année, 93 745 automobiles et camions légers, 7371 motocyclettes et cyclomoteurs, en plus de 1673 camions lourds se sont ajoutés à la circulation au Québec, pour une croissance globale de 102 789 véhicules. Si l'on mettait ceux-ci l'un derrière l'autre, la file irait de Montréal à Chicoutimi.

L'année 2007 représente la fin de la première décennie de Kyoto, puisque le protocole du même nom fut adopté en décembre 1997. Avons-nous changé au cours de ce premier cycle de dix années, dominé par la problématique des changements climatiques? Aucunement, si l'on en croit l'indicateur de la motorisation.

En dix ans, le nombre d'automobiles et de camions légers a crû de 816 763, celui des motocyclettes et cyclomoteurs, de 83 318, celui des camions et tracteurs routiers, de 16 125, pour une hausse totale de 916 206 véhicules. Mis l'un derrière l'autre, ceux-ci couvriraient la distance entre Saint-Jean (Terre-Neuve) et Vancouver.

Motorisation en croissance

Les sceptiques répondront que cette croissance des véhicules s'explique par celle de la population. De 1997 à 2007, la population du Québec a effectivement crû de 398 204 habitants, ou 5,5 %. Dans le même intervalle, le nombre d'automobiles et de camions légers immatriculés au Québec a enregistré un bond de 22,4 %. Dès lors, le taux de motorisation n'a pu que s'élever.

Effectivement, nous sommes passés de 500 automobiles et camions légers pour 1000 habitants en 1997, à 580 pour 1000 en 2007. Bien sûr, nous sommes encore loin des 800 véhicules ou plus par tranche de 1000 habitants rencontrés aux États-Unis. Il reste que nous paraissons plus déterminés que jamais à combler notre «retard» de motorisation sur ce pays.

Montréal

L'île de Montréal est le seul endroit, au Québec, où il est possible de vivre confortablement sans dépendre de l'automobile. Or, même là, on constate, depuis le début de l'ère Kyoto, une croissance moyenne de 10 355 automobiles et camions légers par année, ce qui a fait passer le taux de motorisation de 388 véhicules pour 1000 habitants en 1997, à 429 en 2007.

Il est étonnant de constater combien l'on parle peu de cet extraordinaire effort de motorisation dans lequel les Québécois sont engagés. Année après année, notre parc automobile s'accroît de 100 000 véhicules sans que personne ne ressente le besoin ni ne juge pertinent de le souligner.

Même les politiques publiques spécifiquement conçues pour favoriser les solutions de rechange à l'auto demeurent muettes sur le sujet. C'est le cas du tout récent Plan de transport 2008 de la Ville de Montréal, du Plan d'action 2006-2012 du Québec relativement aux changements climatiques ou encore de la Politique québécoise du transport collectif, rendue publique en juin 2006.

Politiques publiques

Tout commerçant sait que garder le client que l'on a déjà exige beaucoup moins d'efforts que d'en trouver un nouveau ou que de retrouver celui que l'on a perdu. Les 100 000 véhicules qui s'ajoutent annuellement sur nos routes sont forcément acquis par des personnes qui, jusque-là, se déplaçaient en transport collectif, à pied, à vélo, ou encore qui étaient, sous une forme ou une autre, des adeptes du covoiturage.

En n'abordant jamais le sujet de la motorisation, tout en mettant en oeuvre des politiques visant à convaincre les automobilistes d'utiliser le transport collectif, la marche, le vélo ou le covoiturage, les autorités publiques se trouvent à dire: «Commencez par acheter une auto, puis laissez-la à la maison!»

Dans la foulée de l'analogie marchande, on arrive à cette proposition plus qu'étonnante: «Allez d'abord satisfaire vos besoins chez mon concurrent, puis je tenterai de vous convaincre de continuer à acheter malgré tout mes produits.» Il me semble qu'il serait plus logique et efficace d'oser dire: «Si par bonheur vous n'êtes pas encore dépendant de l'auto, n'allez surtout pas en acheter une!»

Flatter les électeurs

Un tabou est une chose que tout le monde voit mais dont personne n'ose parler. Force est de reconnaître que la motorisation du Québec correspond à cette définition. Comment cela s'explique-t-il? Aujourd'hui, 80 % des Québécois âgés de 18 à 75 ans sont propriétaires d'une auto.

Un gouvernement qui doit se faire réélire aux quatre ans jugera donc avisé de ne jamais montrer du doigt l'automobile, de crainte de déplaire à quatre électeurs sur cinq. Au contraire, il les flattera dans le sens du poil, ces chers automobilistes.

C'est ainsi, pour s'en tenir à Montréal, que l'on sort tambours et trompettes pour prétendre réinventer cette ville par les transports collectifs, tout en s'apprêtant à injecter trois ou quatre milliards de dollars dans la reconstruction de l'échangeur Turcot, dans la tunnellisation de l'autoroute Bonaventure et dans la transformation de la rue Notre-Dame Est en autoroute urbaine.

Reprendre Kyoto

À 8000 $ chacun de coûts annuels, les automobiles et camions légers ajoutés sur les routes du Québec durant la première décennie de Kyoto ont représenté une dépense globale de 35 milliards de dollars. Pour la seconde décennie Kyoto, celle qui nous conduira à 2017 et qui, plus personne n'en doute, sera marquée par l'explosion des coûts du pétrole, je propose que les enjeux soient posés noir sur blanc.

D'un côté, nous pouvons persister à ne pas parler de motorisation, ce qui, implicitement, revient à prendre la décision d'augmenter le parc automobile d'une nouvelle tranche de 750 000 à 1 000 000 de véhicules. Dans ce cas, ce ne seraient pas moins de 50 milliards supplémentaires que, d'ici 2017, nous investirions dans l'auto.

De l'autre côté, nous pouvons briser le tabou de la motorisation en choisissant de plafonner le parc automobile à son niveau actuel, tout en investissant résolument dans les transports collectifs du XXIe siècle. Avez-vous idée de ce qu'on pourrait faire avec un programme d'investissement d'à peine un milliard par année, ou de 10 milliards d'ici 2017?

Nous avons laissé la première décennie Kyoto nous filer entre les doigts et en payons aujourd'hui le prix, par le biais d'un litre d'essence frôlant 1,50 $. De grâce, ne commettons pas la même erreur avec la seconde décennie Kyoto!