Haïti

2008/08/30 | Par Pierre Dubuc

Sommaire :

Pierre Dubuc - Coup d’État en Haïti « revisité »
Michel Lambert - Revisite ou rêveries?
Pierre Dubuc - Réplique de l’aut’journal… à la réplique d’Alternatives
Vincent Larouche - Les ONG appuyaient la prise du Parlement haïtien par les armes
Vincent Larouche - Canadiens, Américains et Français ont un point commun


Coup d’État en Haïti « revisité »

Le rôle du Canada, de l’ONG Alternatives et de… Michaëlle Jean

En janvier 2003, au terme d¹un sommet réunissant des diplomates américains, français et canadiens au Lac Meech, le diplomate canadien Denis Paradis déclarait « La communauté internationale ne peut attendre la fin du mandat de cinq ans du Président Aristide en 2005. Aristide doit partir et la communauté internationale doit se préparer à une nouvelle ronde d’aide humanitaire et d’occupation militaire étant donné sa responsabilité démocratique de protéger les habitants vulnérables de cet État en faillite. »

Un an plus tard, le 29 février 2004, des forces d’intervention de ces trois pays investissaient le Palais présidentiel à Port-au-Prince, s’emparaient du Président Aristide, le forçaient à signer une lettre de démission et l’embarquaient dans un avion avec pour destination la République Centre-africaine où il sera tenu incommunicado pendant plusieurs jours.

Une campagne médiatique de grande envergure avait préparé l’opinion publique internationale à voir dans cette opération militaire une action pour libérer le peuple haïtien des griffes d’un président qui aurait dégénéré en dictateur et terroriserait son peuple à la tête d’un mouvement criminel – Fanmi Lavalas – dirigé par des bandes de psychopathes armés, les « chimères ».

Dans un livre qui vient de paraître (Damming the Flood : Haïti, Aristide, and the Politics of Containment), Peter Hallward, professeur de philosophie européenne moderne à l’Université de Middlesex, déconstruit morceau par morceau l’extraordinaire campagne de désinformation menée par les grandes puissances à propos d’Haïti. Il réhabilite Aristide, tout en questionnant certaines de ses décisions, présente Lavalas (« torrent », « raz-de-marée » en créole) comme un véritable mouvement populaire, sans nier qu’on y retrouve des éléments mafieux, mais, surtout, il rend un hommage sans pareil au courage, à la détermination et à la clairvoyance politique du peuple haïtien.

Pour Peter Hallward, le mouvement de masse qui a porté Aristide au pouvoir en décembre 1990 avec 67% du vote populaire, lors de la première élection libre tenue en Haïti, était annonciateur du mouvement démocratique qui a gagné par la suite le Brésil, le Venezuela et l’ensemble de l’Amérique latine. Encore une fois, selon Hallward, Haïti jouait un rôle de précurseur en rompant la chaîne de la domination impériale dans son maillon le plus fort, comme ce fut le cas avec la proclamation d’indépendance du pays en 1804.

La Révolution la plus conséquente

Hallward revient sur les événements de l’histoire d’Haïti essentiels à la compréhension de la situation actuelle et à la destruction de mythes tenaces. Ainsi, il rappelle que Saint-Domingue (Haïti) était une colonie exceptionnellement riche. À la veille de la Révolution américaine, elle générait plus de revenus que l’ensemble des treize colonies américaines. Elle était le principal producteur de café et de 75% de la production mondiale de sucre. Une productivité exceptionnelle qui était le fruit d’une exploitation exceptionnelle.

La Révolution haïtienne, dirigée par Toussaint L’Ouverture et Jean-Jacques Dessalines, a eu le mérite d’être la plus conséquente des trois grandes révolutions de son époque – avec les Révolutions américaine et française – par l’affirmation inconditionnelle des droits naturels et inaliénables de TOUS les êtres humains.

Son existence mettait en lumière l’hypocrisie des pays européens toujours engagés dans la traite des Noirs, constituait une menace pour les esclavagistes américains et une inspiration pour les mouvements de libération d’Afrique et d’Amérique latine. Elle représentait la plus grande menace à l’ordre mondial. Les grandes puissances allaient le lui faire payer cher.

En 1825, la France consentira à rétablir ses relations diplomatiques et commerciales lorsque Haïti acceptera, sous la menace d’une intervention de la flotte française, de verser une « compensation » de 150 millions de francs pour la perte de ses esclaves, soit un montant égal au budget annuel de la France. Haïti dut contracter des emprunts auprès des banques françaises et les remboursements représentaient à la fin du XIXe siècle 80% du budget haïtien. Les paiements ne prirent fin qu’en 1947.

Titid ou Lame

En 1915, les troupes américaines débarquèrent dans l’île et l’occupation dura vingt ans. Washington abolira l’article de la Constitution qui empêchait des étrangers de détenir des propriétés en Haïti, s’emparera de la Banque nationale, réorganisera l’économie pour l’orienter vers le remboursement des dettes, expropriera des terres pour créer de grandes plantations et créera une armée pour faire face à un seul ennemi : le peuple haïtien.

Après le départ des Marines, l’armée, renforcée par les Tontons Macoutes sous Duvalier, deviendra la force dominante du pays. Pour Hallward, l’affrontement entre l’armée et le peuple est la contradiction fondamentale d’un pays où l’élite – 1% de la population possède plus de 50% de la richesse – se résume à une poignée de familles divisées entre un courant conservateur de grands propriétaires terriens duvaliéristes et un courant plus « libéral » formé de quelques industriels, d’hommes d’affaires dans l’import-export et de membres des professions libérales.

Aristide avait bien compris l’enjeu que représentait l’armée. Une des ses premières décisions à son arrivée au pouvoir au début des années 1990 a été d’abolir l’armée pour la remplacer par une force policière rurale. Moins d’un an plus tard, il sera renversé par le général Raoul Cédras qui rétablira l’armée. De retour au pouvoir en 2000, Aristide démantèlera à nouveau l’armée. Le peuple exprimera sa compréhension de cet affrontement crucial dans un slogan : Titid ou Lame. Artistide ou l’armée.

La théologie de la libération

Peter Hallward raconte que les services de renseignement de l’armée américaine avaient identifié, au cours des années 1980, la théologie de la libération comme constituant la plus sérieuse menace aux intérêts américains en Amérique latine, bien avant les groupes marxistes-léninistes ou les organisations syndicales. À Haïti, c’est autour de cette idéologie et des prêtres qui la personnifiaient que s’est constitué un fort mouvement démocratique d’organisations populaires et de groupes gravitant dans l’orbite des églises (ti legliz) qui forcera Bébé Doc à l’exil par un soulèvement populaire en 1986 et culminera avec l’élection d’un théologien de la libération comme président.

L’élection d’Aristide, explique Hallward, déjoua totalement les plans des puissances tutélaires et l’élite haïtienne. Convaincues par la persistance de la mobilisation populaire contre l’armée qu’il fallait remplacer une « force militaire pro-démocratique » par un « démocrate pro-militaire », elles investirent 36 millions $ dans la candidature de Marc Bazin, en prenant soin de mettre sur les rangs Roger Lafontant, un ex-chef macoute, afin qu’il serve d’épouvantail.

La victoire d’Aristide jeta les classes dirigeantes dans un tel état de panique que, le soir même de l’élection, une délégation américaine dirigée par l’ex-président Jimmy Carter chercha à persuader Aristide de renoncer à la présidence et à céder le pouvoir à Bazin, même si celui-ci n’avait récolté que 14% des suffrages contre 67% pour Aristide, dans une élection où s’exprima 80% de la population.

Une mince marge de manœuvre

Aristide se retrouvait dans une position bien fragile à la tête d’un pays dont près de 70% du budget d’opération et 90% du budget des grands projets reposait sur l’aide et les prêts internationaux. Une aide qui n’était pas sans condition. L’exemple du riz est éloquent. En 1995, le gouvernement américain, qui subventionnait son industrie rizicole à hauteur de 40% du prix de détail, obligeait le gouvernement haïtien à réduire à 3% les tarifs sur les importations de riz. Du jour au lendemain, Haïti a été inondé de riz américain qui se vendait à 70% de la valeur du riz haïtien.

De 1995 à 2002, les importations annuelles de riz en provenance des États-Unis ont grimpé de 7 000 à 220 000 tonnes pour un marché total de 350 000 tonnes. La production locale a été presque complètement détruite et la spectaculaire hausse actuelle du prix des denrées alimentaires menace de famine un pays dont les trois-quarts de la population survit avec moins de deux dollars par jour et plus de la moitié avec moins d’un dollar.

La marge de manœuvre d’Aristide était extrêmement mince. Son programme, bien que très prudent, envoyait tout de même un signal sur la direction qu’il entendait prendre avec, en sus de l’épuration de l’armée, la distribution de terres, une campagne d’alphabétisation, la baisse du prix des aliments et une augmentation modeste du salaire minimum.

Un gouvernement parallèle : les ONG

Aristide devait aussi composer avec la présence de plus de 10 000 organisations non-gouvernementales (ONG), selon une évaluation de la Banque mondiale, soit plus per capita que partout ailleurs au monde. En Haïti, plus de 80% de la fourniture de services, souvent de première nécessité, provient des ONG. Certaines ONG ont des budgets plus importants que les ministères oeuvrant dans le même champ de compétence.

La majeure partie de l’aide étrangère va aux ONG sous prétexte que l’argent y est mieux géré que par des « ministères corrompus » et qu’elle va réellement « à ceux qui en ont besoin ». Hallward démolit cette assertion en citant un rapport de l’USAID, l’agence par laquelle transite la majorité de l’aide américaine. Selon ce rapport, sur chaque dollar d’aide à Haïti, 84 cents revient aux États-Unis sous forme de salaires, d’honoraires de consultants et d’achat de services.

Hallward écrit que le terme OAG serait plus juste que ONG, ces organisations soi-disant non-gouvernementales étant plutôt des organisations d’un « autre » gouvernement. Elles établissent un plan de fonctionnement et d’intervention en fonction des intérêts du pays donateur et minent les initiatives du gouvernement légitime.

L’ONG montréalaise Alternatives, grassement financée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI), a participé et participe toujours à cette campagne pour affaiblir le gouvernement central. Bien entendu, cela se fait sous un couvert « progressiste » de décentralisation et de démocratisation, comme en témoignent les textes de François L’Écuyer, le chargé de mission de l’organisme pour Haïti sur le site Internet d’Alternatives.

Le contrôle des médias

Pour Hallward, les ONG constituent la nouvelle forme du contrôle impérial et le principal mécanisme institutionnel et idéologique de reproduction de la classe dirigeante en Haïti. Il donne l’exemple de l’USAID qui se vantait en 2001 d’avoir « formé » avec ses partenaires plus de 11 000 personnes dans presque mille organisations. Pour façonner et consolider cette classe dirigeante, le contrôle des médias est essentiel.

Aussi, il n’est pas étonnant de lire sous la plume de François L’Écuyer, le 6 février 2006, que l’ONG Alternatives « co-gère un programme de la section bilatérale Haïti de l’ACDI en appui aux journalistes et aux organisations de presse » pour la mise en œuvre d’un « vaste programme de renforcement des capacités des médias, particulièrement en vue des prochaines élections ». Rappelons que l’ONG Alternatives publie un supplément mensuel dans le journal Le Devoir.

Aristide a dû faire face à une presse hostile, presque entièrement sous le contrôle de l’opposition. Le journaliste indépendant Jean Dominique, immortalisé par le film « L’agronome » de Jonathan Demme – que l’aut’journal a projeté à Montréal – était le seul à appuyer, non sans critiques, le gouvernement Aristide. Il fut assassiné dans ses bureaux de radio Haïti-Inter en 2000.

Réclamation à la France

Aristide fut accusé dans la presse internationale anglophone mais également francophone de corruption, d’autocratie et de complicité dans les abus commis contre les droits humains. Dans le cas de la France, cela n’est pas étranger à la demande d’Aristide, formulée à l’occasion du bi-centenaire de l’Indépendance en 2004, que Paris rembourse à Haïti la « compensation » versée par Haïti à son ancienne métropole pour la libération de ses esclaves. Calculée à un taux d’intérêt minimal de 5%, la réclamation haïtienne s’élevait à 21 milliards $ !

La presse française se déchaîna contre Aristide et Paris envoya une mission en Haïti dirigée par Régis Debray. Après avoir conclu que le gouvernement haïtien avait été « impeccable » dans ses paiements à la France, il statua qu’il n’y avait pas de « base légale » pour le remboursement. L’intelligentsia française – qui est née, a été nourrie et dorlotée à même les super-profits de l’exploitation coloniale – retournait l’ascenseur à ses maîtres par l’intermédiaire d’un de ses plus illustres représentants, ex-gauchiste comme il se devait.

Avec cette revendication, Aristide redonnait tout son sens politique à cette célébration du bi-centenaire de l’Indépendance. Paris et Washington l’ont très bien compris et multiplièrent les pressions auprès des dirigeants de leurs pays-clients en Afrique pour qu’ils boycottent les cérémonies. Seule l’Afrique du sud y résista.

Le retour d’Aristide

Évincé par un coup d’État militaire en septembre 1990 après moins d’un an à la présidence du pays, Aristide revient d’exil en octobre 1994 avec l’appui de l’ONU et de 20 000 Marines américains. Dans une entrevue accordée à Peter Hallward, Aristide explique qu’à défaut de pouvoir affronter militairement et directement les États-Unis – l’échec des Sandinistes étant éloquent à cet égard – il ne lui restait qu’à utiliser les contradictions au sein de l’administration américaine. Il affirme qu’il doit son retour au besoin de l’administration Clinton d’obtenir un succès diplomatique, d’autant plus que le cas d’Haïti était devenu une « cause célèbre » dans le mouvement noir américain.

Les États-Unis réalisaient que la solution militaire ne pouvait venir à bout de l’opposition populaire. Après avoir lâché Bébé Doc, ils laissaient maintenant tomber Cédras. Cependant, ils obligèrent Aristide, en échange de son retour, à signer un accord qui prévoyait une amnistie pour les auteurs du coup, un contrôle américain sur la formation des nouvelles forces policières, le partage du pouvoir avec les forces de l’opposition et un programme d’ajustement structurel avec son lot de privatisations.

Plus tard, quand Aristide chercha à remettre en question les privatisations, les États-Unis et leurs partenaires suspendirent l’aide et les prêts. En une nuit, la monnaie nationale – la gourde – perdit 20% de sa valeur et les prix des aliments de base d’augmenter d’autant.

Pendant que les forces pro-Aristide transformaient le mouvement Lavalas en parti politique structuré, rebaptisé Fanmi Lavalas, et qui allait leur procurer d’éclatantes victoires électorales, l’élite locale et les puissances étrangères préparaient la contre-insurrection.

Les victoires décisives d’Aristide au scrutin de mai 2000 avec 92% des suffrages, avec une participation de 65% de l’électorat, et de Fanmi Lavalas à la Chambre des députés, au Sénat et aux élections municipales, furent qualifiées par les États-Unis de « coup d’État électoral »! L’aide américaine fut suspendue et redirigée vers les ONG. Le budget gouvernemental était réduit de moitié, à un ridicule 300 millions $.

La préparation du coup d’État

Quelques mois plus tard, lorsque George W. Bush remplace Bill Clinton, l’hostilité fait place à la haine. Des vétérans de la guerre aux Sandinistes comme John Negroponte sont mobilisés. L’ambassadeur Dean Curran, jugé trop mou, est remplacé par James Foley, dont le principal fait d’armes était d’avoir transformé de bande criminelle en force politique respectable la soi-disant Armée de libération du Kosovo.

De 1994 à 2002, Hallward évalue, sur la base de plusieurs sources, à au moins 70 millions $ l’aide américaine aux forces de l’opposition à Aristide regroupées dans des organismes comme la Convergence Démocratique, le Groupe des 184.

Le Canada n’est pas en reste. Hallward raconte que le ministre des Relations étrangères Pierre Pettigrew a rencontré des leaders de l’opposition peu avant le coup d’État et que l’ACDI a accordé une aide financière significative à des organismes comme le Réseau national pour la défense des droits humains et Solidarité Fanm Ayisyen, un organisme féministe. Toujours selon Hallward, d’autres groupes comme Développement et Paix, Droits et démocratie et la Fondation canadienne pour les Amériques ont participé à la campagne de démonisation et de déstabilisation.

Le trio Canada/États-Unis/France ne s’est pas contenté d’organiser l’opposition de droite, mais aussi l’opposition de gauche par le biais d’ONG appuyant la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA) et le groupe syndical semi-trotskyste Batay Ouvriye, deux groupes chéris de l’ONG Alternatives.

Batay Ouvriye, le groupe qui a fait le plus de dommages à la réputation de Lavalas sur la scène internationale, a reconnu, après que les faits furent révélés, avoir reçu en 2005-2006 au moins 100 000 $ - soit beaucoup plus que le budget annuel des organisations syndicales haïtiennes – du National Endowment for Democracy – un organisme reconnu comme étant une société écran de la CIA – par l’intermédiaire de l’AFL-CIO.

Parallèlement à cette campagne de déstabilisation interne et à l’échelle internationale, se préparait une intervention militaire à partir de la République dominicaine dirigée par des gens comme Jodel Chamblain, un criminel reconnu. Mais la contre-insurrection avait besoin d’un pied à terre en Haïti même. Elle réussira à s’implanter aux Gonaïves, une région limitrophe à la République dominicaine, en détournant une organisation pro-Lavalas après avoir assassiné son leader.

Le coup d’État

Mais, contrairement aux attentes des contre-révolutionnaires et de leurs commanditaires, le peuple ne se souleva pas et restait fidèle à Aristide. Les grandes puissances durent elles-mêmes faire le sale travail. C’est ainsi que le 1er mars 2004, les États-Unis, la France et le Canada déposèrent Aristide au cours d’une intervention conjointe, le jour même où un avion en provenance d’Afrique du sud apportait au gouvernement Aristide les munitions que les pays tuteurs lui avaient refusées. Un économiste néo-libéral, ancien fonctionnaire de l’ONU, Gérard Latortue, fut ramené en catastrophe des États-Unis pour occuper la présidence.

Le programme d’alphabétisation fut abandonné. Les subsides pour les livres d’école et les repas aux enfants annulés, la réforme agraire arrêtée, la collecte des impôts suspendue pour trois ans. L’enseignement de l’anglais fut rendu obligatoire dans toutes les écoles. Mission fut donnée au gouvernement de prendre ses distances avec le Venezuela et Cuba. La Havane avait envoyé 800 médecins et infirmières dans un pays qui comptait moins de 1 000 médecins pour une population de près de 9 millions d’habitants.

Une campagne de terreur fut instaurée dans les bidonvilles. On jeta en prison des centaines de militants de Fanmi Lavalas dont le premier ministre Yvon Neptune et le ministre de l’Intérieur Jocelerme Privert. Mais Jodel Chamblain, un criminel notoire, obtint l’absolution pour ses crimes passés. Même l’ambassadeur américain James Foley ne put s’empêcher de déclarer dans son dernier discours avant de quitter Haïti que cet acquittement était un « scandale pour le pays et son image à travers le monde ».

Les hésitations de la MINUSTAH

Pour « pacifier » le pays, on dépêcha en Haïti 9 000 soldats et 6 000 policiers internationaux, ainsi que plus de 10 000 gardes d’agences de sécurité privées. Des centaines de policiers haïtiens jugés trop « politiques » seront congédiés et remplacés par plus de 1 000 anciens soldats. Rapidement, tous les chefs de police seront d’anciens militaires, alors qu’il n’y en avait que deux avant le coup d’État.

Selon Peter Hallward, la répression fut aussi sévère que celle qui suivit le premier coup d’État et se compare à la situation au Chili lors du coup d’État de 1973. Il cite une enquête qui évalue à 8 000 le nombre de morts et à 35 000 les agressions sexuelles.

Les forces policières voulaient terroriser les populations des bidonvilles en se servant des soldats de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) comme couverture. Cependant, pour la plus grande partie de 2004, les soldats de la MINUSTAH résistèrent à ce que leur commandant général Augusto Heleno Ribeiro condamnait comme « les pressions extrêmes exercées par les États-Unis, la France et le Canada à utiliser la violence ».

Quelques mois plus tard, suite à des opérations menées dans l’immense bidonville Cité Soleil, le général Ribeiro démissionne. Il est remplacé par un militaire au cœur moins tendre, un autre général brésilien, Urano Teixera da Matta Bacellar. Six mois plus tard, Bacellar est retrouvé tué par balle dans sa chambre d’hôtel, au lendemain d’une rencontre houleuse avec des membres des familles Boulos et Apaid, la crème de l’élite haïtienne. La théorie du suicide ne convainc personne.

La presque reine

Il est intéressant de noter que c’est au beau milieu de cette campagne de terreur contre les populations pauvres d’Haïti menée avec les encouragements du Canada que le Premier ministre Paul Martin nomme une canadienne d’origine haïtienne au poste de Gouverneur général du Canada. La perspective haïtienne permet également de mieux comprendre l’accueil triomphal réservé par le gouvernement français à la « presque reine » du Canada, descendante d’esclaves de l’ancienne colonie française.

Que ceux qui se sont offusqués que le traitement réservé à Michaëlle Jean ait occulté l’objet de sa visite, soit la célébration du 400e anniversaire de la fondation de Québec, se rappellent qu’au terme de la Guerre de Sept Ans, la France avait préféré la possession de ses colonies antillaises et caribéennes aux « quelques arpents de neige » du Canada.

Toujours vivant

Malgré l’ampleur de la répression, le mouvement démocratique du peuple haïtien est toujours vivant. Il l’a démontré dès le 30 septembre 2004 avec une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes pour commémorer l’anniversaire du premier coup d’État. Il l’a exprimé à nouveau lors des élections du 7 février 2006.

Après beaucoup de débats, Fanmi Lavalas a décidé de participer aux élections et d’appuyer René Préval, l’ancien premier ministre d’Aristide. Bien qu’on ait multiplié les obstacles – par exemple, en réduisant le nombre de bureaux de votation de 10 000 à 500, dont aucun près de Cité Soleil – les gens se sont rendus voter en grand nombre. Même si les « exit polls » attribuaient la victoire à Préval avec de 60% à 70% des suffrages, les premiers résultats de la Commission électorale lui accordaient un peu moins de 50% des votes, ce qui aurait nécessité un deuxième tour de scrutin.

Sentant la magouille, des dizaines de milliers de partisans d’Aristide et de Préval prirent d’assaut les rues de Port-au-Prince. La Commission électorale se ravisa. Préval fut déclaré élu avec 51% des suffrages. Les autres candidats soi-disant « progressistes », chouchous des ONG, durent se contenter de scores tous inférieurs à 3% des suffrages.

Le livre de Peter Hallward deviendra sûrement un classique de l’analyse des politiques et des méthodes de déstabilisation. Il devrait être objet d’étude pour tous ceux qui luttent contre l’empire, particulièrement ceux qui sont dans son voisinage immédiat. Espérons qu’il sera rapidement traduit en français.
Pierre Dubuc



Revisite ou rêveries?

Lettre ouverte à Monsieur Pierre Dubuc du mensuel l’aut’ journal

Monsieur,

Dans un texte paru dans l’édition de l’Aut’ Journal du 12 juin dernier intitulé Coup d’État en Haïti « revisité », vous avez repris pour vous les analyses de Peter Hallward qu’on peut lire dans son plus récent ouvrage Damming the Flood : Haïti, Aristide, and the Politics of Containment. Ce qui a failli n’être qu’une critique littéraire élogieuse du travail de recherche du professeur Hallward sur les machinations impérialistes qui ont mené au départ du président Aristide en 2004 a cependant rapidement dégénéré. Force est de constater que vous être tombé dans les analyses simplistes, les associations légères et possiblement une forme de règlement de compte contre notamment Alternatives, l’organisation que je dirige. Il apparaît évident qu’un coup de téléphone préalable à mon bureau vous aurait sans doute permis de réviser votre texte.

Coup de fatigue?

Je dois préciser de prime abord que je partage une bonne partie des conclusions de Peter Hallward. Il est de notoriété publique que le président Aristide a été victime d’un coup d’État. Alternatives avait d’ailleurs été parmi les premières organisations à le dénoncer par un texte paru à peine une semaine plus tard sous la plume de Pierre Beaudet, alors directeur de notre organisation. Dans ce texte, publié en mars 2004 dans Le Devoir et repris en espagnol par l’Agencia latinoamericana de informacion, nous mettions l’accent sur les rôles des États-Unis, de la France et du Canada dans le renversement d’Aristide de même que sur l’instrumentalisation et l’échec de l’aide internationale en Haïti. Rien de neuf de ce côté.

Mais votre relecture du texte du professeur Hallward additionne bien rapidement pommes et oranges en mettant dans le même panier les milliards de dollars ciblés du Congrès américain canalisés par l’USAID et les bien plus modestes appuis d’une organisation populaire et démocratique de solidarité internationale comme Alternatives.

Alternatives, une organisation du mouvement social québécois

Vous voyez monsieur Dubuc, un peu comme votre journal prétend le faire devant les grands médias de masse, Alternatives, justement, offre une solution de rechange à « l’industrie » de l’aide internationale. Comme vous, nos moyens sont ridicules si on les compare à ceux de l’USAID, mais c’est justement ce qui rend nos objectifs encore plus nécessaires!

Alternatives est une organisation qui regroupe au Québec plusieurs centaines de membres individuels et qui compte sur l’appui de dizaines de groupes populaires. Nous travaillons avec des organisations populaires dans une vingtaine d’États dont notamment certains pays qui traversent des moments très difficiles comme la République démocratique du Congo, l’Irak, le Pakistan, le Soudan… et bien sûr Haïti. Déjà, au lendemain du premier départ d’Aristide, nous appuyions en Haïti les groupes populaires qui réclamaient son retour. Nous avons soutenu leurs efforts afin qu’ils s’organisent, et puissent ainsi faire connaître et reconnaître leur point de vue. L’arrivée d’un nouveau média – Internet – nous a permis d’ouvrir des fenêtres démocratiques avec ces forces progressistes. De plus, nous avons entraîné ces groupes au sein de la mouvance altermondialiste internationale notamment au sein du Forum social mondial.

Laisser entendre que tout ce travail se résume à servir de valet à la politique étrangère du gouvernement canadien relève de la plus pure fantaisie!

Laisser entendre que le seul fait de travailler avec des médias alternatifs serait synonyme de complicité impérialiste équivaut à nier la propre utilité de votre journal.

Votre article enfin contient un nombre important de faussetés. Alternatives, contrairement à ce que vous mentionnez, n’a jamais entretenu de lien avec le groupe Batay Ouvriye. Autre exemple, notre projet d’appuis aux médias haïtiens n’a été conclu qu’en 2005, une année après le coup ! Surtout, il a essentiellement permis la création d’un site Web (www.mediasdhaiti.org), où sont recensés des médias de toutes tendances.

En conclusion, si les impacts dévastateurs de l’impérialisme et des politiques néolibérales sont réels et s’il est vrai que les pays donateurs ont leur ordre du jour, il est tout aussi vrai que les citoyens haïtiens et québécois ne sont pas simplement des marionnettes dans les mains des gouvernements occidentaux. Fort d’un réseau de dizaines d’organisations de par le monde, Alternatives, ses membres et ses partenaires continueront d’analyser et de critiquer les sphères politique, économique et sociale de même que le « monde du développement ». Nous continuerons d’appuyer en Haïti et ailleurs les groupes qui cherchent à bâtir cet autre monde, fondé sur un développement économique et social juste, durable et démocratique.
Michel Lambert
Directeur général
Alternatives


Réplique de l’aut’journal… à la réplique d’Alternatives

Monsieur Lambert,

Vous dites que vous partagez « une bonne partie des conclusions de Peter Hallward ». Vous vous dites d’accord avec le fait qu’Aristide a été victime d’un coup d’État dans lequel le Canada a trempé et vous me renvoyez à l’article de Pierre Beaudet paru sur le sujet.

L’article de Pierre Beaudet ne m’impressionne guère. C’est un « remake » des articles qu’il publie depuis plusieurs années sur différentes situations à travers le monde dans lesquels il admoneste à peu près tout le monde, autant à droite, au centre, à gauche, qu’en haut et en bas, et où la seule « alternative » est toujours un hypothétique « courant démocratique » inexistant ou, nous assure-t-il, en gestation, sans doute grâce aux bons offices d’Alternatives.

C’est facile de dire qu’on réclamait le retour d’Aristide après son premier départ, mais la véritable question est : Êtiez-vous du côté d’Aristide et du mouvement Lavalas AVANT le deuxième coup d’État? Sûrement pas, si l’on se fie à l’article de Pierre Beaudet qui parle de la présidence d’Aristide comme « d'un régime déliquescent, imprévisible et violent, responsable de graves exactions et de constantes violations de droits humains ».

Vous parlez de « l’instrumentalisation et l’échec de l’aide internationale » en Haïti en référence à ce coup d’État. Il serait intéressant de savoir si vous vous sentez concernés par l’analyse de Peter Hallward qui pointe du doigt des organismes comme le vôtre dans cette « instrumentalisation » de l’aide internationale.

Vous sentez-vous interpellés lorsque Hallward dénonce le fait qu’il y ait plus de 10 000 ONG en Haïti, que certaines ont des budgets plus importants que des ministères, que la plus grande partie de l’argent « donné » revient au pays donateur? Ou est-ce que cela ne s’applique qu’aux « méchants » Américains?

Vous m’accusez de faire une relecture du texte de Hallward en associant Alternatives aux milliards « ciblés du Congrès américain canalisés par l’USAID » et vous décrivez plutôt votre organisme comme étant une modeste « organisation populaire et démocratique de solidarité internationale ».

Je m’excuse, mais je ne connais pas beaucoup d’organisations populaires et démocratiques au Québec qui bénéficient d’un budget annuel de 5 millions de dollars comme vous l’écrivez dans votre Rapport annuel 2006 et encore moins dont le principal bailleur de fonds est l’ACDI, une agence gouvernementale qui joue, toutes proportions gardées, le même rôle que l’USAID. J’espère que vous ne vous offusquerez pas que je parle des millions « ciblés par le gouvernement canadien canalisés par Alternatives ».

Que vous osiez vous présenter comme une alternative à « l’industrie » de l’aide internationale comme l’aut’journal le serait face aux grands médias est une insulte ! Monsieur Lambert, la différence entre nos deux organisations est de deux ordres : de nature et de moyens.

Quoique vous en pensiez, vous faites partie de « l’industrie » de l’aide internationale ! Dis-moi qui te finance… Quant à l’aut’journal, il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale, ne compte que sur le soutien financier de ses lectrices et ses lecteurs et peut prétendre, contrairement à vous, être libre et indépendant.

Et j’ose à peine parler des moyens. À votre 5 millions $ de budget annuel, nous ne pouvons opposer qu’un maigre 150 000 $. Par contre, nous pouvons compter sur une véritable équipe de militantes et de militants, personne n’étant rémunéré pour ses articles dans l’aut’journal.

Puisque vous voulez parler de médias et de votre rôle de « formateur » à ce chapitre en Haïti et dans la « mouvance altermondialiste internationale », parlons-en ! Là encore, vous serez peut-être surpris d’apprendre que votre rôle ne se démarque pas de celui de l’USAID.

Journalistes ou mercenaires ?

Selon le site Internet In These Times, (No Strings Attched?) le gouvernement américain subventionne allègrement des médias et des journalistes étrangers. Des organismes gouvernementaux comme le Département d’État, le Département de la Défense, la U.S. Agency for International Development (USAID), le National Endowment for Democracy (NED), le Broadcasting Board of Governors (BBG) et le U.S. Institute for Peace (USIP) soutiennent le « développement de médias » dans plus de 70 pays.

Toujours selon In These Times, ces programmes incluent le financement de centaines d’organismes non gouvernementaux (ONG) (comme Alternatives, ajouterais-je), des journalistes, des associations de journalistes, des médias, des instituts de formation et des facultés universitaires de journalisme. Le montant des subventions varie de quelques milliers de dollars à des millions.

Un porte-parole du USAID s’est défendu de toute malversation en déclarant: « Nous enseignons les techniques du journalisme. Comment raconter une histoire, écrire un texte équilibré… toutes ces choses que vous vous attendez de retrouver dans une publication faisant preuve de professionnalisme. » Vous y reconnaissez, j’en suis sûr, Monsieur Lambert, les grandes lignes de votre propre programme de formation.
Mais, nous dit In These Times, il y a des gens, particulièrement à l’extérieur des Etats-Unis, qui voient les choses différemment. Un haut-diplomate vénézuélien, cité par le site Internet, déclare : « Nous croyons que les véritables enjeux ici relèvent des objectifs de la politique extérieure sous-jacente à ces programmes de développement des médias. Lorsque l’objectif est un changement de régime, il a été prouvé que ces programmes sont des instruments de déstabilisation des gouvernements démocratiquement élus que les Etats-Unis ne soutiennent pas. »

In These Times cite également Gustavo Guzmán, un ancien journaliste qui est le nouvel ambassadeur de Bolivie aux États-Unis. Selon lui, « un journaliste qui accepte de tels cadeaux n’est plus un journaliste, mais un mercenaire ».

Le phénomène n’est évidemment pas nouveau. In These Times rappelle qu’une enquête menée par le Congrès américain a démontré que le financement des médias chiliens par les Etats-Unis avait joué un rôle majeur dans le renversement du gouvernement Allende au Chili en 1973.

Au cas où vous me diriez que le Chili, c’est de l’histoire ancienne, parlons plutôt de la Bolivie. Une enquête de In These Times révèle que le Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor (DRL) américain a commandité 15 ateliers en Bolivie sur la liberté de presse et d’expression. Selon le site du DRL, « les journalistes et les étudiants en journalisme de Bolivie ont discuté d’éthique professionnelle, des bonnes pratiques de reportage et du rôle des médias dans une démocratie » en ajoutant que ces programmes ont été envoyés à 200 postes de radio dans les régions éloignées du pays.

Curieusement, Evo Morales, le nouveau président de Bolivie élu en 2006, fait face à l’opposition de la grande majorité des médias de son pays. Morales et ses supporteurs affirment que le gouvernement américain soutient le mouvement séparatiste des régions riches en gaz du pays. Les ateliers sur le développement des médias font partie de cette campagne anti-Morales, selon Alex Contreras, journaliste et ancien porte-parole de la présidence cité par In These Times.

« Même le don d’équipements, tels des ordinateurs et des enregistreuses par le gouvernement américain affecte le travail des journalistes et des organisations de journalistes, d’ajouter Contreras, parce qu’il entraîne la dépendance et crée des obligations envers les agendas cachés des institutions américaines. »

Mais, bien entendu, le Canada n’a pas « d’agenda caché » en Haïti, Alternatives n’est pas le valet de la politique étrangère du gouvernement canadien et les millions « ciblés par le gouvernement canadien canalisés par Alternatives » le sont pour une bonne cause !
Pierre Dubuc
Directeur
L’aut’journal



Les ONG appuyaient la prise du Parlement haïtien par les armes

Le Canada a financé la minorité anti-Aristide

Il y plus d’un an et demi, aux premières heures du 29 février 2004, les soldats américains « escortaient » le président constitutionnel d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, hors du pays pendant que les forces canadiennes sécurisaient l’aéroport de Port-au-Prince. Si le rôle joué par le Canada dans le « changement de régime » en Haïti à l’hiver 2004 et l’occupation du pays par la suite ont été amplement documentés, sa participation à la campagne préliminaire de déstabilisation n’avait jamais complètement été mise en lumière. C’est une des tâches auxquelles se sont attaqués les auteurs de Canada in Haïti : Waging War Against the Poor Majority, les journalistes Yves Engler et Anthony Fenton.

Le petit livre de 120 pages, dont les auteurs promettent la traduction française pour bientôt, retrace tout l’historique du coup d’État de 2004 et de la répression exercée par le gouvernement de facto contre les partisans du président Aristide et de son parti Lavalas. Toutefois, un des chapitres les plus intéressants concerne l’utilisation par le gouvernement canadien de la « société civile » pour déstabiliser un gouvernement élu et légitimer l’intervention des puissances occidentales dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère. La stratégie reposait sur le financement d’ONG soi-disant progressistes, tant canadiennes qu’haïtiennes, à travers l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Au cours des années précédant le coup d’État, le Canada, les États-Unis et l’Union européenne ont pratiquement annulé toute aide au gouvernement haïtien, pour travailler plutôt directement avec des ONG haïtiennes favorables à la minorité anti-Aristide, expliquent les auteurs.

Les citoyens du Canada n’accepteraient jamais qu’on leur impose pareil modèle de développement, écrivent-ils. « Imaginez un plan pour fournir aux Canadiens leur éducation, leur système de santé, leur eau et leur sécurité sociale au moyen d’organismes de bienfaisance privés (financés par des pays étrangers), de grandes entreprises et de riches individus. Et si ces mêmes organismes de bienfaisance privés finançaient en même temps des partis politiques de l’opposition et appuyaient la prise du Parlement par les armes ? »

Ce changement dans l’attribution de l’aide au développement a contribué à la déconfiture de l’État haïtien, poursuivent Engler et Fenton. « Un rapport de l’ACDI publié en 2005 affirme que, dès 2004, les acteurs non-gouvernementaux (à but lucratif ou non) fournissaient près de 80 % des services de base. Si une école administrée par une ONG est certainement mieux que pas d’école du tout, un essaim d’écoles privées n’est pas un modèle de développement idéal. »

L’Agence canadienne de développement international l’a d’ailleurs admis elle-même, puisqu’elle avoue dans son rapport que le soutien aux acteurs non-gouvernementaux a contribué à la création d’un « système parallèle de fourniture des services » qui a nui aux efforts pour renforcer la bonne gouvernance.

Ottawa a aussi pu compter sur l’aide d’organisations non gouvernementales canadiennes dans sa campagne anti-Aristide. Les ONG canadiennes ont aidé le gouvernement fédéral à se servir de « l’aide au développement » en guise d’outil d’influence politique. Selon l’ACDI, la période 2000-2002 a été caractérisée par un changement vers le soutien à la société civile. « Il semble que pour le gouvernement canadien, “ société civile ” voulait dire l’opposition au gouvernement élu d’Haïti », soulignent les auteurs. « Sans exception, les documents obtenus de l’ACDI révèlent que les organisations idéologiquement opposées à Lavalas étaient les seuls récipiendaires du financement canadien. Les groupes de la société civile favorables à Lavalas ne recevaient aucuns fonds. »

Plusieurs organisations financées par l’ACDI et son équivalent américain, l’USAID, comme la America’s Development Foundation (ADF) et le Réseau Liberté, ont injecté des dizaines de millions de dollars dans la campagne de déstabilisation en Haïti, notamment par des campagnes de propagande (ou « d’éducation civique ») diffusées sur des dizaines de stations de radio haïtiennes.

Le 25 mars 2004, ce sont des ONG canadiennes comme Développement et Paix, Oxfam Québec et pl