Tasse-toi ma tante !

2008/09/04 | Par Michel Rioux

Comme la cigale de La Fontaine, elle a batifolé de Moscou à Caracas : « Parcourir le monde est très formateur et enrichissant (tant sur les plans personnel que financier) et surtout permet de s’affranchir de ce trop lourd monde syndical québécois… »

Et comme dans la chanson de Jean-Pierre Ferland, elle annonce aux quatre vents : Je reviens chez nous… Elle est maintenant dans la quarantaine et, forte de ses expériences étrangères et enrichie par ses pérégrinations, elle prétend qu’à son arrivée, tout le monde devrait se tasser pour lui faire une place. Rien de moins.

Cette lettre publiée dans Le Devoir, qui commençait ainsi : « Je veux approuver la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec, qui propose de rafraîchir les institutions syndicales du Québec », me semble l’exemple parfait de ce culte du Moi, haissable à l’extrême, qui a inspiré les délibérations (vaste mot pour si peu) des jeunes libéraux réunis en congrès le mois dernier.

Cette dame, outrée qu’on ne lui déroule pas le tapis rouge pour cause de compétence extrême acquise un peu partout, s’en prend aux syndicats qui l’empêcheraient, estime-t-elle, de faire étalage de ses qualités. De retour de voyage, la cigale constate qu’il n’y a plus rien dans son grenier et ne trouve rien de mieux que de crier haro sur le baudet syndical.

Voyons cela de plus près.

Pendant que la cigale en question était en balade, d’autres, des fourmis peut-être, humblement et avec abnégation, commençaient leur carrière dans l’enseignement au bas de l’échelle, accumulant année après année une ancienneté qui finira par les mettre à l’abri des coups du sort et des aléas des changements de programmes et des déménagements.

Et ce serait une avancée de civilisation de tasser cette femme qui a bossé quinze ans dans le système, qui a pris son mal en patience, qui a fait son boulot consciencieusement pour, finalement, acquérir un certain nombre de droits qui lui assurent une certaine sécurité dans son emploi ? Pour faire de la place à l’autre? Phoque ! Ce Tasse-toi ma tante ! n’est pas mieux inspiré que le tristement célèbre Tasse-toi mon oncle ! de Wolkswagon

« Avec ma maîtrise et ma dizaine d’années d’expérience, il me semble que je méritais mieux », ajoute la cigale. Me semble qu’à 40 ans, on pourrait commencer à assumer ses choix, non ?

C’est Péguy qui a dit qu’il n’y a rien de pire que des jeunes prématurément vieillis. Les jeunes libéraux en sont un exemple confondant. À lire leurs propositions et à entendre leurs porte-parole, on serait amené à croire que les finances des organisations syndicales sont dans un état de délabrement et l’objet de prévarications et d’actions proprement frauduleuses comme on en voit tous les jours dans ces grandes entreprises capitalistes comme Enron, Bear Stearns et autres banques privées sauvées de la faillite par l’argent public.

À les lire et à les entendre, les syndicats devraient prendre exemple, en matière de démocratie, auprès de ces entreprises privées où tout est décidé dans le silence feutré des conseils d’administration où, en l’espace de quelques minutes, on décide à douze que 12 000 travailleurs perdront leur emploi.

Quelques jours après le congrès, et après, faut le faire, que Jean Charest et André Pratte aient tapé sur les doigts de ces jeunes libéraux, un de leurs anciens présidents livrait son indignation à La Presse : « Ce qui agace les jeunes, c’est peut-être aussi l’omniprésence des syndicats dans les débats politiques et la facilité avec laquelle ils rejettent du revers de la main certaines idées (on n’a qu’à penser aux PPP) alors qu’ils devraient plutôt se concentrer sur l’amélioration des conditions de travail de tous leurs membres ». Mais, à vrai dire, comment en vouloir à cet ancien jeune à qui l’école n’a rien appris des luttes syndicales historiques et qui ne sait rien de l’époque où les syndicats prenaient véritablement part aux débats publics. Quel avenir se prépare avec des jeunes de cet acabit ?

Serait-il permis de remercier le ciel d’avoir passé le cap de la soixantaine et de se retrouver dans un meilleur état que celui de ces jeunes libéraux ? À voir la manière dont ils appréhendent la société aujourd’hui, c’est un cauchemar de penser à ce que seront ces jeunes vieillards dans quarante ans…

Cet article est paru dans l'édition de septembre du journal Le Couac