Le Brésil et l’Argentine à la rescousse

2008/09/22 | Par André Maltais

Jusqu’à maintenant, le président de la Bolivie, Evo Morales, priorisait la voie du dialogue avec les forces de la droite bolivienne même si, depuis plus de deux ans, celles-ci ignoraient complètement ses appels et faisaient tout pour paralyser son administration.
Pourtant, dans n’importe quel autre pays du monde, les agissements des médias privés, des préfets, des grands propriétaires terriens et de leurs milices seraient venus à bout de la patience des gouvernants et auraient depuis longtemps été réprimés politiquement sinon militairement.

Imaginons la réaction du gouvernement canadien si les souverainistes québécois avaient posé seulement une infime partie des actes commis par les élites des départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija, dans l’est du pays!

Rappel

Pour bien mesurer cette patience du gouvernement bolivien, il est bon de rappeler ces actes posés par une minorité répudiée par les urnes qui prépare minutieusement un coup d’état civil contre un gouvernement appuyé par plus de 67% de la population lors du référendum révocatoire du 10 août dernier :

• Ignorance délibérée de l’existence du gouvernement central, humiliations publiques (insultes, blagues racistes, etc.), prise d’aéroports pour empêcher le président ou ses ministres de voyager et les ridiculiser en montrant leur incapacité à gouverner dans leur propre pays;

• Rédaction unilatérale de statuts d’autonomie tellement amples qu’ils sont impossibles à accepter par le président, tenue de référendums locaux sur ces mêmes statuts, création d’une confédération indépendante des provinces autonomistes;

• Campagne continuelle de désinformation médiatique : on ne parle pas des réussites du pouvoir central, on lui attribue plutôt chaque problème et on prédit toutes les catastrophes imaginables pour le pays;

• Saisies d’entités d’État (douanes, bureau de perception des impôts, entreprises nationalisées, instituts régionaux de réforme agraire, etc.), établissement de barrages routiers, attaques d’ONG communautaires ainsi que de sièges d’organisations populaires, paysannes et indigènes;

• Menaces personnelles à ceux qui ne pensent pas comme les groupes autonomistes (leur nom parait sur des listes publiques de « morts civils »), coups, incendies, attaques à la bombe, tirs d’armes à feu sur des voitures de ministres;

• Organisation, entraînement et financement de groupes de choc pour intervenir (armées de battes de baseball et de barres de fer) dans les manifestations et faire respecter par intimidation les ordres de « grèves civiles »;

• Blocage complet des pouvoirs judiciaires locaux et des cours électorales départementales pour les soumettre aux élites locales;

• Appels publics aux forces armées à déposer le président;

• Coordination visible avec l’Ambassade des États-Unis et les fonctionnaires de l’USAID (l’ambassadeur, Philip Goldberg, a participé ouvertement à des réunions périodiques avec les leaders de la droite malgré sept avertissements officiels du gouvernement Morales!);

Même au lendemain de l’appui massif reçu par le président (élu avec 54% des voies, en 2006, Evo Morales se voit reconfirmé avec 67% des voies), les sécessionnistes n’ont rien trouvé de mieux que d’intensifier la violence et le chaos.

Se disant « sur le pied de guerre », les élites locales réclament l’autonomie, l’annulation du référendum (7 décembre) sur la nouvelle constitution et la gestion d’une partie de l’impôt sur les hydrocarbures que le gouvernement Morales affecte à un modeste revenu de retraite donné à toutes les personnes âgées.

Les élites menacent de saboter les usines de traitement du gaz en plus de fermer définitivement les postes frontaliers avec le Brésil et l’Argentine pour empêcher la livraison de ce même gaz aux deux plus grands clients de la Bolivie.

Selon l’agence argentine DyN, en août et septembre, les moyens de pression réduisent de moitié l’approvisionnement en gaz du Brésil et presque complètement celui de l’Argentine, faisant perdre à la Bolivie des revenus quotidiens de huit millions de dollars.

Malgré tout, au soir de sa victoire, le président Morales parle encore de « dialogue » avec l’oligarchie! Mais la foule de ses partisans l’interrompt pour exiger la ligne dure.

Intervention du Brésil et de l’Argentine

Selon Raquel Gutierrez, chercheure au Centre d’études andines et centroaméricaines (CEAM), les actions spectaculaires de la droite, amplifiées par les médias, créent une commotion dans la population et laissent, chez plusieurs partisans du gouvernement, l’impression que celui-ci manque de direction et de force.

Touchés dans leur économie, le Brésil et l’Argentine comprennent enfin que ce qui se passe en Bolivie menace la paix et la sécurité du continent et donnent leur appui au gouvernement d’Evo Morales qui, quelques jours plus tard, expulse l’ambassadeur états-unien, imité aussitôt par le président vénézuélien Hugo Chavez.

Menacée d’isolement, la droite bolivienne cafouille. Le massacre de 14 paysans et l’enquête qui s’ensuit mènent à l’emprisonnement du préfet du département de Pando, Leopoldo Fernandez, accusé d’avoir contracté des tueurs à gage péruviens et brésiliens, et à l’imposition de l’état de siège dans ce dernier département.

Le 15 septembre, la présidente chilienne, Michelle Bachelet, convoque d’urgence une rencontre de la nouvelle Union des nations sud-américaines (UNASUR, fondée en mai dernier) au cours de laquelle ses 12 membres se prononcent formellement en faveur du gouvernement légitime d’Evo Morales et de l’intégrité territoriale de la Bolivie.

Devant cette nouvelle manifestation de solidarité continentale, les préfets d’opposition, réunis dans le CONALDE (Conseil national démocratique), acceptent soudainement l’appel au dialogue tant de fois renouvellé par le gouvernement bolivien.

Pour Victor Ego Ducrot, directeur de l’observatoire des médias argentins, cet appui à Morales de la part des pays les plus puissants du continent est vital : « Il n’y aura, écrit-il, ni Mercosur ni politique d’intégration régionale si les éléments les plus agressifs du bloc hégémonique imposent leur projet sécessionniste aux Boliviens ».

Si la partition de la Bolivie a lieu, la droite qui s’essaie déjà aussi au Venezuela (État pétrolier de Zulia) et en Équateur (État de Guayaquil) aura le vent dans les voiles.

Le Brésil et l’Argentine, poursuit Ducrot, n’ont d’autre choix que « d’incorporer de manière urgente dans leur programme de défense commun basé sur la protection des ressources naturelles, les forces armées boliviennes encore toutes fidèles à Evo Morales ».

Ils doivent aussi empêcher « les consortiums pétroliers privés ou déguisés en sociétés d’état, comme Petrobras, de jouer leur carte parce que, comme c’est le cas pour le complexe corporatif du soja, ces pétrolières sont compromises avec la stratégie séparatiste en Bolivie ».

Le président Lula, avertit Ducrot, doit choisir entre deux types de discours : celui qui relie les récentes manoeuvres navales états-uniennes au sud-est de la côte brésilienne à la découverte, au même endroit, par Petrobras, d’importantes réserves pétrolières; et celui qui met sur un même pied les volontés du gouvernement bolivien et de « l’opposition ».

Quant à la présidente, Cristina Fernandez, « elle doit bien voir que le rapprochement de la droite politique argentine avec le cartel agro-patronal du soja n’est rien d’autre que le chapitre local d’une stratégie qui a son épicentre le plus dramatique en Bolivie ».

Il n’y a pas d’alternative possible : ou on défend Evo Morales et l’intégrité territoriale bolivienne, ou un avenir des plus sombres menace toute la région.