La protection animale

2008/09/29 | Par Charles Danten

Avis aux lecteurs : l’ensemble des chroniques de Charles Danten se trouvent dans la section « société ».

UNE COMÉDIE DE L’INNOCENCE

Le mouvement de libération animale, le végétarisme, l’action des refuges et des sociétés humanitaires comme la Société Québécoise pour la Défense des Animaux (SQDA), le cinéma et la littérature animalière—voire l’écologisme ou le mouvement vert en théorie sympathiques à la cause des animaux—s’inscriraient dans une quête d’innocence qui serait plutôt une comédie de l’innocence répondant à des ambitions purement égocentriques.

Ainsi, selon l’ethnologue Italien Sergio Dalla Bernardina l’action « animalitaire », servirait à soulager la mauvaise conscience de l’organe social en montrant aux autres par l’engagement et l’indignation de ses disciples que tout le monde n’est pas d’accord et qu’un jour : « ça va changer! »

En échange, les militants y gagnent en estime de soi—et la collectivité aussi car ce sont ses émissaires—dans l’esprit de ce texte de Friedrich Nietzsche extrait de L’Antéchrist:

« Lorsqu’on est chargé de tâches sacrées. Comme par exemple, d’amender, de sauver, de racheter les hommes, lorsqu’on abrite la divinité dans sa poitrine, lorsqu’on est le porte-parole d’impératifs de l’au-delà, du seul fait de cette mission, on se trouve d’emblée hors des évaluations purement intellectuelles—soi-même déjà presque sanctifié par cette mission, soi-même déjà l’archétype d’un ordre supérieur! »

LE SENTIMENTALISME

La protection animale serait donc une forme de sentimentalisme à la Oscar Wilde où l’enjeu est moins le changement que l’espoir du changement avec la sensation éphémère de bien-être qu’il procure à petit prix. Les cyniques du 18e siècle comme La Rochefoucauld étaient fort conscients de cette machination culturelle qu’ils définissaient comme le tribut que le vice paie à la vertu.

LE PARCOURS DU COMBATTANT

Au départ, le militant bien intentionné s'identifie à ceux qui souffrent; ses efforts quoique sincères pour changer leur condition sont en fait une tentative indirecte pour mettre fin à sa propre souffrance (voir Fausses allégations de la zoothérapie II et IV). Or, au fur et à mesure qu'il s’oublie dans l’action, qu’il forge des amitiés parmi les autres militants, qu’il obtient certains résultats en termes de capital de sympathie, qu’il gravit les échelons du pouvoir, son amour-propre, un anxiolytique reconnu, s’améliore au détriment de sa cause.

L’OMBRE DE LA SAGA HUMAINE

Pour mieux comprendre le phénomène, voyons à titre d’exemple le parcours du groupe People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), le groupe animalitaire le plus important au monde avec 1.6 millions de membres et 25 millions de dollars en dons par année.

Je laisse au lecteur perspicace le soin de transposer cet exemple à sa propre vie ou sphère d’activité en présupposant naturellement que le rapport aux animaux soit bel et bien une projection inconsciente du rapport à soi, et plus précisément du rapport à sa propre animalité (voir Fausses allégations de la zoothérapie IV).

Dans cette version des choses, la condition animale serait non seulement l’ombre de la saga humaine mais un révélateur, d’une précision redoutable, des mécanismes psychologiques qui se cachent derrière nos actions en apparence les plus lumineuses (ce sujet sera traité plus en détail dans une prochaine chronique où j’essaierai d’étoffer cette théorie davantage).

L’HISTOIRE DU VOLEUR QUI CRIE : « AU VOLEUR! »

Au début donc, PETA un organisme à vocation humaniste fondé en 1980 par Ingrid Newkirk et son associé Alex Pacheco, était abolitionniste pur et dur, radicalement contre toutes formes d'exploitation animale sans exception. Comme en font foi les citations suivantes, ils étaient dans les premiers à dénoncer ouvertement l'exploitation des animaux de compagnie:

« Le fin mot de la chose est que les gens n'ont pas le droit de manipuler ou d'élever des chiens et des chats. S'ils veulent des jouets qu'ils s'achètent des objets inanimés. S'ils ont besoin de compagnie, ils devraient essayer de la chercher avec ceux de leur espèce. »
Animals, mai-juin 1993

« Vous n'avez pas besoin de posséder un écureuil ou un étourneau pour les apprécier. Un jour nous voulons mettre fin au petshop et à l'élevage des animaux. »

Chicago Daily Herald, mars 1, 1990

« Au fur et à mesure que le nombre de chiens et de chats (artificiellement créé par des siècles de reproduction forcée) diminuerait, les animaux de compagnie disparaîtraient éventuellement en fade-out, et nous reviendrions à une relation plus symbiotiques — l'appréciation à distance des animaux. »

Ingrid Newkirk, Just Like Us.

LES BONNES INTENTIONS

Dès sa fondation, PETA multipliait les actions d'éclat qui ne manquaient pas d’attirer l’attention des médias toujours à l’affût d’une bonne affaire. Son terrain de prédilection était les laboratoires de recherche où se pratique la vivisection et les tests d'innocuité des produits destinés à la consommation humaine.

Avec l'aide du Front de Libération Animale qu'il endossait pleinement à cette époque, PETA a réussi à infiltrer et à faire fermer temporairement plusieurs centres de recherche opérant dans des conditions atroces.

Ces résultats lui ont valu une couverture médiatique très importante qui s'est traduite par une augmentation substantielle de nouveaux adhérents et naturellement, de dons.

LES COMPROMIS D’APPAUVRISSEMENT

Mais petit à petit, plus ils gagnaient de visibilité et de pouvoir, les dirigeants de PETA ont commencé à manger dans la main de ceux qui les nourrissaient. En d'autres mots, alors qu'au début, PETA refusait de négocier sur les principes, au fur et à mesure qu'ils gagnaient de la notoriété, ils se sont mis à chuter dans la dépendance et à faire des compromis d'appauvrissement.

Lorsqu'ils se sont aperçus que leurs plus fidèles donateurs étaient des propriétaires de chiens et de chats, Pacheco et Newkirk ont très vite éliminé de leur agenda cette catégorie d'animaux. Ils ont aussi coupé les ponts avec l’infâme Front de Libération Animale devenu soudainement trop encombrant. Bien vite, grâce à cet ajustement politique bienheureux, ils se sont attirés un large public.

UNE INSTITUTION D’UTILITÉ PUBLIQUE

Depuis, Ingrid Newkirk, la directrice générale bien en vue de cette multinationale devenue en un temps record une institution d'utilité publique, sillonne inlassablement le globe terrestre, multipliant les interventions sensationnalistes mais sans aucune portée réelle. De radical révolutionnaire, Newkirk est devenue une de ces personnes politically correct qui font l'opinion.

Pas un média digne de ce nom oseraie désormais organiser un débat sur la malheureuse condition animale sans inviter Ingrid qui joue son rôle à merveille sous ce chapiteau de la divine comédie.

Bien articulée comme tout bon militant engagé, elle a réponse à tout et son avis est désormais respecté par les courants bien-pensants de la société. Elle a acquis une notoriété et un capital de sympathie énorme. Un revirement spectaculaire récompensé d'ailleurs par des dons corporatifs juteux et un tas de bénéfices marginaux qui ne se mesurent pas uniquement en argent sonnant.

L’ÉTAPISME

Mine de rien, de fil en aiguille, par effet domino, PETA a adopté la politique des petits pas ou le réformisme. L'objectif désormais est de s'asseoir avec les autorités et de trouver des solutions pour améliorer la condition animale.

Récemment par exemple, à la suite de très longues négociations, PETA a réussi à obtenir des éleveurs industriels de poulets, la promesse, je dis bien la promesse, que le périmètre des cages en batterie serait augmenté de 2 pouces! Ou est-ce 2 cm?

Ainsi, PETA, un organisme à vocation abolitionniste s'est muté en mouvement pour la défense du bien-être animal. Derrière une rhétorique plus musclée, on retrouve les mêmes objectifs que les welfaristes: améliorer la condition animale, mais à l'intérieur du statu quo.

Désormais, lorsqu'on entend « libération animale » on doit comprendre « amélioration du bien-être animal » ; « mettre fin à la souffrance » signifie « réduire la souffrance », terme vague sans substance qui peut vouloir dire n'importe quoi ; et « droit des animaux » veut dire « bien-être animal. »

UN AGENT DE PROMOTION ULTRA SOPHISTIQUÉ

Ce qui est moins connu par contre, c'est le fait que PETA soit devenu l'agent de promotion le plus ultrasophistiqué de l'industrie des animaux de compagnie. Son alibi: la défense des autres catégories d'animaux.

Allez sur leur site Internet par curiosité, tapez « www.peta.org », vous trouverez en vente dans leur magasin virtuel, une ribambelle d'accessoires de toutes sortes : des ticheurtes, des livres d’instructions, d’alimentation, des tasses, des broches, des bracelets, des médailles qui n'ont qu'une fonction: pincer le cœur des adhérents et attirer des dons, et éventuellement, promouvoir la consommation des animaux de compagnie.

LA FACE CACHÉE

Ces organisations ont quatre soucis majeurs: garder le secret sur leurs activités réelles, cacher leurs multiples connivences avec le milieu corporatif qui exploite à grande échelle les animaux, trouver des moyens de soutirer de l'argent à leurs sympathisants et contrôler l'information donnée aux journalistes pour mieux manipuler l'opinion publique.

« Pris à leur propre jeu, explique le journaliste d’enquête Olivier Vermont, l’auteur du livre La Face Cachée de Greenpeace, ces organismes doivent conserver à tout prix leur façade d'efficacité et dorer leur blason en orientant notamment leurs activités vers le sensationnel et le court terme pour bluffer non seulement leurs propres militants mais ceux qui les soutiennent financièrement. Opérant souvent dans le plus grand secret [cachés derrière une charte quelconque de règlements], ils peuvent même aller jusqu'à tromper les gens sur les résultats véritables de leurs campagnes en se couronnant de lauriers factices. »

Ainsi, il est important de créer l'illusion de rigueur et de démontrer un certain panache, voire une certaine insolence, qui donne à penser que la fonction est authentique et légitime, mais sans remettre en question les sacro-saints dogmes sous-jacents.

Voici en quelques mots leur devise cachée : Indignez-vous suffisamment pour être crédible, les gens ne sont pas si crétins que ça toute de même, mais de grâce, ne touchez pas aux questions de fond.

LE CRÉDO FONDATEUR

De fait, jamais on ne questionne les présupposés ou les non-dits, le credo fondateur, c’est-à-dire les valeurs essentielles sous-jacentes qui sont aussi le moteur de cette industrieuse militance (voir Fausses allégations de la zoothérapie (IV).

Or, les présupposés implicites qui échappent à la conscience et donc à la révision sont beaucoup plus persuasifs que s'ils étaient explicitement exprimés. L'attention étant canalisé vers le posé, les vrais enjeux restent toujours hors de question.

C'est sûrement l'aspect le plus démoniaque de cette logique : nous faire réagir aux conséquences suscitées par ses causes pour les faire admettre ipsi facto. En disant par exemple dans un slogan promotionnel « Adopter un animal c'est pour la vie! » ou « Faites stériliser vos animaux », La Société québécoise pour la Défense des Animaux (SQDA)—dont le fondateur est Frédéric Back, un féru amateur de chiens pure race—cautionne vicieusement les valeurs enfouies et la consommation, annulant du même coup l'effet recherché.

Dans ces conditions, ce sont les protecteurs des animaux qui donnent ses lettres de noblesse à cette barbarie à visage souriant. Leur implication à l'intérieur du paradigme fondamental, l’exploitation des animaux pour son seul confort et son seul plaisir et la logique du consumérisme, qu'ils ne contestent pas, au contraire, puisqu’ils en sont les promoteurs, les défenseurs et les adeptes les plus assidus, renforcent ce style de vie.

« Il en est mille, dit Thoreau dans Walden, pour massacrer les branches du mal contre un qui frappe à la racine, et il se peut que celui qui consacre la plus large somme de temps et d’argent aux nécessiteux contribue le plus par sa manière de vivre à produire cette misère qu’il tâche en vain à soulager. »

Ainsi, paradoxalement, les portes du château fort des traditions les plus funestes sont protégées par ceux-là mêmes que la collectivité a délégué pour les ouvrir et laisser pénétrer le vent du changement.

LE MASQUE DE LA VERTU

En général, ceux qui jouent à l’Homme meilleur sont de bonne foi, mais incapables de réfléchir en dehors de cette logique, leur conscience « faussée » par un mode de pensée qui déforme la réalité.

Comme ces mères qui laissent le père violer ses propres enfants, il arrive pourtant que quelques uns savent mais ne veulent pas savoir ce qui se cache sous le masque trompeur de l’engagement, certains poussant l’odieux à son comble en se nourrissant de cette ignominie déguisée en humanisme.

Par peur du vide que pourrait laisser la perte de leurs certitudes, par un procédé de dissonance cognitive*, ils réussissent à occulter la vérité, refusant d'en prendre conscience, exactement comme l’on fait par exemple les Allemands à propos des camps de concentrations pendant la seconde guerre mondiale :

« Dans l’Allemagne hitlérienne, les règles du savoir-vivre étaient d’un genre tout particulier : ceux qui savaient ne parlaient pas, ceux qui ne savaient pas ne posaient pas de questions, ceux qui posaient des questions n’obtenaient pas de réponse. C’était de cette façon que le citoyen allemand type conquérait et défendait son ignorance, ignorance qui lui apparaissait comme une justification suffisante de son adhésion au nazisme : en se fermant la bouche et les yeux, en se bouchant les oreilles, il cultivait l’illusion qu’il ne savait rien, et qu’il n’était pas complice de ce qui se passait devant sa porte. »
Primo Lévi, 1976

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* Dissonance cognitive: Quand une personne est confrontée à une vérité qui va à l’encontre de ses croyances ou de sa propre vérité, il en résulte un état de dissonance cognitive ou d’inconfort psychologique (état de contradiction). Il existe trois façons d’y remédier : 1) Changer sa conception des choses dans le sens de la nouvelle information qui vient d’être reçu 2) Faire changer l’opinion de celui qui informe pour qu’elle rejoigne notre propre opinion 3) Rejeter tout simplement l’information en l’attribuant aux croyances, aux expériences, frustrations et autres mobiles bien personnels de l’autre personne.

Pour ceux qui voudraient approfondir la question :

Bernardina, Sergio Dalla, Bernardina, L’éloquence des bêtes, Métaillé, 2006 ; L’utopie de la nature: chasseurs, écologistes et touristes, Paris, Imago, 1996 ; « Une personne pas tout à fait comme les autre : L’animal et son statut », L’Homme 120, octobre décembre, XXXI 94, pp.33-50 ;

Boltanski Luc, La souffrance à distance : morale humanitaire, médias et politique, Métaillé, 1993 ;

Conan Éric, « La zoophilie, maladie infantile de l’écologisme », Esprit, no 155, p.124-126 ;

Francioni Gary, Rain without thunder: the ideology of the animal rights movement, Temple University Press, 1996 ;

Greenberg Jeff et al, «Why Do People Need Self-esteem? Converging Evidence That Self-Esteem serves an Anxiety-Buffering Fonction»; Journal of personality and social psychology, Dec 1992 ; Vol.63, Iss.6; pp.913 ;

Hoffer Eric, The true believer: Thoughts on the nature of mass movements, Perennial Classics, 1952 ;

Reboul Olivier, Langage et Idéologies, PUF, 1983 ;

Thoreau Henry David, Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, 1922, p.75 ;

Vermont Olivier, La face cachée de Greenpeace: infiltration au sein de l’internationale écologiste, Albin Michel, 1997 ;

Vilmer, Jean Baptiste Jeangène, Éthique animale, PUF, 2008 ;

West Patrick, Conspicuous Compassion: Why sometimes it really is cruel to be kind, Civitas, 2004, p.VII and 27.