Enquête à Washington sur Reporters sans frontières

2008/10/02 | Par Jean-Guy Allard

Alors que son organisation, Reporters sans Frontières, se trouve sous la loupe du Government Accountability Office (GAO), à Washington, pour être un des principaux bénéficiaires du Center for a Free Cuba impliqué dans une fraude gigantesque, Robert Ménard annonce à Paris qu'il abandonne son poste de secrétaire général parce qu'il a «envie de faire autre chose».

«Je vais trouver une autre façon de continuer le combat que je mène pour les droits de l'Homme», déclare Ménard dans une dépêche complaisante de l'AFP.

Le collaborateur assidu du renseignement américain ajoute avoir préféré partir une fois la campagne sur la Chine terminée – une référence aux campagnes qu'il a menée au cours des derniers mois pour le compte du gouvernement de Taiwan.

Ménard laisse son poste quelques semaines à peine après que le Congrès nord-américain ait ordonné à l'Agence de développement international (USAID) de congeler les fonds du Center for a Free Cuba, une créature de Freedom House, gérée par l'agent CIA Frank Calzón. Cette situation sera maintenue jusqu'à la fin de l'audit des opérations de son Programme Cuba.

USAID dispose cette année d'un budget de 45 millions de dollars pour effectuer son travail de propagande et d'espionnage, par le biais d'un réseau de prétendues ONG, toutes liées d'une façon ou d'une autre au dispositif anti-cubain des services spéciaux étasuniens.

Depuis la publication en 2004 du Plan Bush d'annexion de Cuba, RSF (identifiée dans le document) n'a eu d'autre choix que de reconnaître sa collaboration avec le Département d'État, fortement rémunérée non seulement par l'intermédiaire de Calzón mais également par le National Endowment for Democracy (NED), et par un de ses subsidiaires, l'Internacional Republican Institute (IRI).

Le lien économique considérable entre RSF et le gouvernement nord-américain a été l'objet d'un travail de recherche important de la journaliste californienne Diana Barahona qui a obtenu des autorités, grâce à la loi sur l'accès à l'information (FOIA), des preuves irréfutables de cette confabulation jusqu'à ce que les organismes fédéraux cités refusent illégalement leur collaboration.

Il est intéressant d'observer qu'au cours des dernières années, c'est le nouveau patron de RSF désigné par Ménard, Jean-François Julliard, qui s'est consacré au nom de l'organisation (avec des lettres ouvertes et des déclarations scandalisées) de nier catégoriquement de tels liens entre le groupe parisien et les fonds gouvernementaux nord-américains mis à la disposition d'opérations de la CIA. 

Silence de la presse française 

La fraude à la USAID a provoqué la démission du chef de cet organisme pour l'Amérique latine, le fonctionnaire mafieux Adolfo Franco, et de Felipe Sixto, le principal collaborateur du patron du Center for a Free Cuba, qui a confessé avoir détourné un demi million de dollar.

Curieusement, Ménard a aussi perdu il y a quelques mois son bras droit, Régis Bourgeat, qui a géré de façon très particulière les opérations de RSF contre Cuba, au point d'accompagner son maître à Miami durant une visite aux cabecillas de la mafia cubano-américaine. Un voyage dont n'a jamais parlé la presse française, très compromise avec les principaux parrains parisiens de Ménard, plusieurs d'entre eux impliqués dans le monde de l'édition et de la publicité.

Dans le cas de Calzón, l'audit non seulement du GAO mais aussi des inspecteurs assignés par la loi à la USAID pourrait provoquer un scandale majeur dans lequel RSF pourrait être tenu de révéler sa comptabilité secrète, pour laquelle Ménard dispose d'un cabinet comptable et d'un compte bancaire en Virginie, à quelques kilomètres du quartier général de la CIA.

Si Julliard et son chef ont finalement dû confesser en 2006 les revenus illégitimes qu'ils ont perçu des Etats-Unis par le biais du Center for a Free Cuba et de l'International Republican Institute, ils n'ont pas parlé jusqu'à maintenant de leur connexion avec Freedom House, un autre mécanisme secret d'aide économique pour les collabos de l'empire.

Freedom House ne se soumet par à la loi FOIA pour être techniquement une organisation privée, bien qu'elle reçoive 75% de son budget du Département d'État et seulement 25% de contributions privées.

Cette organisation répète dans ses rapports qu'elle distribue ses fonds aux «journalistes, activistes des droits de l'homme, et autres associations». RSF s'insère totalement dans ces prétentions.

Mais la USAID et la NED sont des organisations de l'État et ont, d'une façon ou d'une autre, l'obligation légale de rendre des comptes au sujet de l'argent du contribuable, bien qu'elles ne s'y conforment pas à moins d'y être contraintes.

L'homme à Merces d'or

Chose certaine, la dernière campagne de Ménard contre la Chine n'aura pas été déficitaire: il y a quelques mois, le gouvernement de Taiwan, férocement anticommuniste, annonçait qu'il lui faisait cadeau de 100 000 dollars. Le 28 janvier 2007, Ménard a voyagé jusqu'au pays de Tchiang Kai-shek pour recevoir son prix des mains du président taiwanais Chen Shui-bian.

Le 8 septembre dernier, les services d'information de Taiwan annonçaient cette fois que Ménard avait signé un appel à l'intention de l'ONU pour que l'on accrédite des journalistes taiwanais à l'organisation internationale.

Les dernières nouvelles au sujet de Ménard, qui prétend vouloir se consacrer désormais «à autre chose», révèlent qu'il a accepté un poste de chef du «Doha Centre for Media Freedom» dans les émirats arabes. Au début du mois, il a effectué une visite au Bahrain où il a eu des conversations cordiales avec le ministre de l'Information Jehad Bu Kamal.

Le modeste activiste des droits de l'homme, louangé par la presse de droite mondiale, n'a jamais dissimulé son faible pour l'argent.
Il y a quelques années, il a tenu un encan très couru dans la grande salle dorée de l'un des hôtels de Paris réservés aux privilégiés de la planète, où on a fait le tirage d'une Mercedes dernier modèle couverte de feuilles d'or.

On suppose que l'active collaboration de Ménard avec l'empire lui aura laissé, l'essentiel pour jouir d'un niveau de vie correspondant à son zèle, quelque soit le sort de l'organisation qu'il a géré, dont le véritable objectif, tôt ou tard, sera connu du public qu'il a trompé.