Conséquences de l'échec du cycle de Doha

2008/10/07 | Par FNEEQ-CSN

En juillet dernier à Genève, les négociations en vue de relancer le cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) échouent. Les États ne parviennent pas à s’entendre sur la question vitale de l’agriculture. Le désaccord se maintient entre l’Europe et les États-Unis d’une part, qui tiennent à préserver leur agriculture largement subventionnée, et des pays émergents, qui cherchent à intégrer leur agro-industrie dans un marché mondial ouvert et déréglementé. Avec cette nouvelle suspension du cycle de Doha, peut-on espérer que les négociations en vue de libéraliser à grande échelle le secteur de l’éducation soient enfin neutralisées?
Photo : Pascal Lamy, directeur de l'OMC

Tant le secteur des services en général que celui de l’éducation en particulier restent des points de mire pour les négociateurs de l’OMC. Dès qu’il y a relance des négociations, les jeux de coulisses s’activent et les pressions se font fermes pour que le plus grand nombre d’engagements soient pris.

Lors des dernières négociations à Genève, l’Australie et la Nouvelle-Zélande se sont montrées particulièrement actives pour ouvrir leur secteur de l’éducation à la concurrence étrangère. Selon David Robinson, consultant de l’Internationale de l’éducation (IE) pour les questions commerciales : « Les prétendues entraves aux échanges dans le secteur des services de l’éducation que ces pays veulent lever ou atténuer incluent des mesures telles que l’obligation de recruter le personnel local ou des restrictions en ce qui concerne le nombre d’écoles étrangères ».

Ces pays et tous les autres souhaitant une plus grande libéralisation des services se sont cependant heurtés au groupe formé par Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua, partisans de l’exclusion des services publics essentiels — dont l’éducation — des négociations.

L’échec des négociations de juillet dernier à l’OMC bloque toute avancée des libéralisations envisagées dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Le climat de tension et les désaccords profonds qui ont marqué la rencontre de Genève ne permettent pas d’envisager une reprise rapide des négociations à l’OMC. Certains observateurs prévoient même l’enterrement définitif de ce « cycle du développement », conçu en fait à l’avantage des pays les plus prospères.

Les accords bilatéraux à la rescousse

Faut-il donc se réjouir de voir l’éducation échapper enfin aux marchands, pour lesquels l’AGCS demeurait le cadre rêvé, leur offrant l’accès à d’immenses marchés? Certes, les échecs successifs de l’OMC viennent sérieusement entraver le plan initial esquissé lors de la fondation de cette organisation. Et la vision d’une éducation largement marchandisée — avec un marché international des écoles, des tests, et une circulation sans restriction des enseignantes et des enseignants qui se livrent une concurrence — semble s’éloigner un peu plus de nous.

La suspension des négociations dans le cadre de l’AGCS permettra donc de faire une pause dans l’instauration d’une éducation libéralisée, de stopper temporairement des mécanismes qui n’attendaient qu’une entente sur l’agriculture et sur les tarifs douaniers pour se mettre en place.

Les échecs à l’OMC n’ont cependant pas entraîné une mise en cause sérieuse des libéralisations dans le domaine de services. L’immense toile des négociations entreprises à l’OMC a favorisé la création de nombreux réseaux, ce qui permet aux projets soumis de trouver de nouveaux canaux pour se transmettre.

Le débouché le plus évident semble être les accords bilatéraux qui se négocient à l’échelle de la planète et qui se multiplieront suite aux échecs de l’OMC.

Selon Oxfam international, « en 2006, plus de 100 pays en développement se sont engagés dans plus de 67 négociations commerciales bilatérales ou régionales et ont signé plus de 40 traités bilatéraux d’investissements. Plus de 250 accords commerciaux régionaux et bilatéraux gouvernent aujourd’hui plus de 30 % du commerce mondial » .(1)

Le Canada a négocié ou s’apprête à boucler des accords bilatéraux avec le Costa Rica, le Chili, Israël, la Jordanie, le Pérou, la Colombie, la Corée du Sud, la République dominicaine, Singapour et le groupe des quatre de l’Amérique centrale et cherche à mettre sur pied un important accord avec l’Union Européenne.

Des accords de type TILMA(2) se négocient entre les provinces canadiennes, entre autres le Québec et l’Ontario, permettant à des sociétés de poursuivre les gouvernements si ceux-ci adoptent des réglementations qui limitent leurs profits.

Qu’en sera-t-il de l’éducation dans ces accords bilatéraux? Jusqu’à maintenant, ceux-ci ne semblent pas tous contenir des clauses significatives concernant le secteur, le milieu des affaires ayant surtout misé sur l’AGCS.

Mais elles demeurent malgré tout présentes dans certaines ententes, et selon David Robinson, se négocient dans des rapports profondément inégalitaires qui opposent des pays très développés à d’autres beaucoup plus fragiles : « Nous l’avons déjà observé dans un certain nombre d’accords bilatéraux récents où des concessions importantes ont été faites dans les services d’éducation. » Par leur ubiquité, leur multiplicité et leur complexité, les accords bilatéraux deviennent beaucoup plus difficiles à surveiller. Ils demandent pourtant une grande vigilance et plus de ressources pour les comprendre dans leur diversité.

Une remise en question nécessaire

Malgré l’échec des négociations à l’OMC, la longue marche en faveur de la privatisation de l’éducation ne semble donc pas véritablement entravée. Plusieurs décisions prises par les gouvernements des pays occidentaux, à l’échelle nationale ou internationale, favorisent la privatisation progressive et l’import/export dans le domaine de l’éducation : par exemple, le recours aux PPP et l’uniformisation des diplômes universitaires.

Au Québec, la loi sur la gouvernance, qui permettra l’établissement de nouvelles politiques budgétaires « entrepreneuriales », ouvre la porte à une marchandisation des études supérieures. Ces mesures faciliteraient, par la suite, la mise en place d’accords commerciaux, qui renforceraient les mécanismes mis en place.

Pourtant, les crises qui se superposent présentement — crise des prêts hypothécaires à risque, crise alimentaire, pétrolière, écologique — devraient nous prédisposer à repenser l’économie et à revoir, une fois pour toutes, le rôle des services publics, donc de l’éducation, dans la société.

Les événements actuels confirment la prémonition de l’économiste François Morin, qui affirmait : « Notre village planétaire a besoin d’être reconstruit sur d’autres bases que celles de la financiarisation globale de nos activités économiques. À défaut, c’est toute la société qui risque d’être prise dans le tourbillon des valeurs financières » .(3)

La trêve provoquée par la suspension des négociations à l’OMC et la gravité des crises économiques qui nous secouent devraient permettre de revenir sur les orientations données à l’éducation ces dernières années, alors qu’on cherchait à satisfaire le marché, sans se préoccuper de ce que pensaient les principaux intéressés, soient les enseignantes et les enseignants et les étudiantes et les étudiants.

Aux États-Unis, le candidat à la présidence Barack Obama a fait de l’éducation un de ses thèmes majeurs. Au Québec cependant, bien peu de signaux rassurants nous sont envoyés, alors que notre premier ministre reste toujours un grand défenseur du libre-échange et se propose d’adopter une loi sur la gouvernance à l’encontre des souhaits du milieu universitaire. Suite à toutes les transformations qui nous affectent, il faut donc espérer qu’une large réflexion sur l’éducation et son orientation puisse bientôt se développer au Québec.

(1) Dans un document intitulé L’avenir hypothéqué : comment les accords commerciaux et d’investissement conclus entre les pays riches et les pays pauvres sapent le développement, www.oxfam.org/fr/policy/briefingpapers.

(2)Le TILMA est un accord commercial signé entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, qui sert maintenant de modèle aux accords interprovinciaux. Il est un puissant instrument de déréglementation et permet à des parties privées de poursuivre les gouvernements si ceux-ci, par des règlements, entravent le commerce, l’investissement ou la mobilité de la main d’œuvre.

(3) Dans Le nouveau mur de l’argent, Seuil, 2006.