Le role de l'art et de l'artiste

2008/10/07 | Par Claude Philippe Nolin

Avant de couper des programmes et d'imposer de nouvelles orientations en matière de politiques culturelles, ne serait il pas important pour notre gouvernement de réfléchir sur les rôles respectifs de l'art et de l'artiste dans la société et de la place qu'il convient de leur donner?

J'aimerais bien que Monsieur Harper et sa ministre de la Culture, Madame Josée Verner, répondent à cette question : Quel est le rôle de l’Art dans la société? Et tant qu'à y-être, pourquoi ne pas la poser à tous les chefs des différents partis politiques du pays?

Je crois que peu de citoyens comprennent réellement ce rôle. Même pour plusieurs artistes, cela reste plutôt vague. Pour la majorité des gens, l'utilité de l'Art se limite au tourisme, au développement personnel, à la décoration, aux loisirs et au divertissement.

Pour les politiciens, il semble être davantage un outil de propagande ou de séduction qu'il faut bien contrôler. Au plus sont-ils conscients de l’apport économique du milieu culturel. On reçoit un dirigeant étranger? Et hop! Une petite troupe de danse par ici, un grand spectacle de musique par là; folklore et avant-gardisme confondus, évidemment.

Pourtant, sa véritable mission est toute autre. L’Art est essentiel à la santé de la société. Selon le philosophe Jean-Paul Sartre, son rôle est de proposer au spectateur un portrait de sa société, de sa réalité, afin que celui-ci puisse développer une conscience de sa propre condition et des multiples réalités de son environnement. L’artiste n'a pas à proposer de réponse, parce qu'alors son travail deviendrait propagande. Son rôle est plutôt de poser des questions.

L'Art n'est pas un service de marketing qui doit fournir une image du Canada en accord avec les valeurs du gouvernement en place ou même celles de la majorité des citoyens du pays.

Au contraire, l'art est subversif parce qu'il nous amène à remettre en question notre compréhension de la réalité. S'il est parfois politique au grand dam des gens de pouvoir, il peut-être aussi beaucoup plus. L'Art interroge le spectateur dans tous ses rapports avec l’univers. Il est amené à se remettre en question, à revoir ses pris pour acquis. L’art est une sorte de catalyseur qui peut initier les changements et les ajustements nécessaires pour la continuité de la société.

Chaque artiste est une éponge qui s'imbibe de son environnement. Il est le résultat d’interactions complexes entre le génétique, le biochimique et le psychologique, combinées à d’autres interactions sociales, culturelles et environnementales.
Il évolue donc au gré de ses expériences personnelles, des événements et des changements sociaux. De plus, d’autres facteurs entrent en jeu : l’état et la qualité de la connaissance, l’accession et la circulation de l'information, les possibilités et/ou limites technologiques de son époque. De tout cela déterminera le potentiel de ses champs personnels d’action et d’investigation. Comme chacun de nous, me direz-vous...

Certes oui, mais par sa pratique, l'artiste transpose sa perception de l'univers en une proposition qu'il soumet à la société. Parfois, cette proposition trouve un large écho chez ses concitoyens, parfois non. Il arrive même que sa proposition ne soit pas comprise de son vivant. D’autres, après un succès fulgurant, retomberont dans l’oublie aussi vite. Certaines propositions ne s'adressent qu'à une petite minorité, une élite spécialisée parce que certaines clés sont requises pour déchiffrer le message. Elles n'en sont pas moins utiles à l'ensemble de la société, car si elle trouvent le moindre terreau fertile, elles seront peut-être ultérieurement traduites, vulgarisées ou transposées dans d'autres productions. C’est ce que nous enseigne une des grandes théories fonctionnalistes des communications d’Abraham Moles (La sociodynamique de la culture ou cycle socioculturel, avec ses concepts de micromilieu et de macromilieu).

L’individu, dans sa société, vie le nez collé sur son quotidien. L’artiste perçoit au delà de ce quotidien. L'art offre donc à la société le recul nécessaire pour conforter ou corriger ses valeurs, ses choix et ses actions.

Alors, qui sommes-nous donc pour décider quel artiste ou quelle forme d'art sera ou non pertinent pour notre avenir?

Bâillonner les artistes, c'est condamner certainement la société à une asphisie sinon une sclérose mortelle.

Les politiques culturelles se doivent donc de favoriser l’expression artistique sous toutes ses formes et dans toutes ses tendances.

Seul le temps décidera de ce qui sera véritablement signifiant pour les générations futures et ce qui se retrouvera dans les oubliettes de l’histoire.

Quant au gouvernement Conservateur, ne faut-il pas être dangereusement amateur ou fin manipulateur pour agir comme il l’a fait? Il faudra bien qu’il nous explique quelle sont les valeurs supérieures et la mission qui justifient ses décisions aberrantes, sinon il risque de se retrouver lui aussi dans ces oubliettes…