Le besoin de deux CHU provoque ma colère

2008/10/16 | Par Claude G. Charron

Çà fait un bout de temps qu’elle m’habite, la Colère. C’est que «chu pu capable» d’entendre ânonner qu’il nous faut 2 CHU!

Mon sang bouille à penser que le regretté docteur Lazure ait tout fait pour nous alerter. S’étant écrié: «Il y a assez de béton à Montréal et le Québec n'a pas les moyens de se payer deux Baie James de la santé», mais rien n’y fit. On est encore à se demander où planter le CHUM. Au lieu de se questionner s’il nous faut deux méga-centres hospitaliers. De cela, chez nos politiciens, motus et bouches cousues.

Quelques fois, une voix s’élève. Comme celle de Jean Dorion profitant de la traditionnelle réception du 24 juin du maire de Montréal et de la Société Saint-Jean-Baptiste, le président de cette dernière a osé frotter les oreilles des élus présents: «Si je deviens député, j’observerai la ligne de parti, mais en toute liberté actuellement de dire ce que je pense, je dénonce tous les partis pour avoir cautionné le projet de deux CHU à Montréal.» Pauline Marois a manifesté son désaccord. Et a rassuré Dorion que la langue de travail sera le français au CHU-McGill.

Sept experts se prononcent contre

Le 25 septembre dernier, la réplique de la cheffe péquiste a bien fait rire les cinquante personnes réunies à la Maison Ludger-Duvernay dans le cadre des Jeudis le la Langue. Rien pour améliorer la cote de popularité de Pauline tant les faits et arguments apportés par les sept experts invités contredisaient l’optimisme béat de la politicienne.

Sept panelistes qui ont réussi à démontrer l’aberration de deux mégaprojets qui coûteront plus de cinq milliards aux contribuables. Sept experts scandalisés par la lâcheté de nos politiciens, des politiciens prêts à plonger la population dans un gouffre financier, à fragiliser davantage Montréal sur le plan linguistique, à encore plus siphonner nos rares ressources médicales vers Montréal.

Et c’est Robert Laplante qui a le plus fait mouche. Le directeur de L’Action nationale a d’abord fait une mise en contexte afin «de mieux faire comprendre la lâcheté de l’élite politicienne dans le dossier ». La Loi 101 de 1977 était un premier geste d’affirmation de la majorité française sur le territoire du Québec. Pour que cela se produise réellement, il aurait fallu repenser les rapports majorité/minorité par une reconfiguration totale des institutions. On a pensé régler le problème en ne s’attaquant qu’aux écoles pour les immigrants. Nos politiciens, a dit Laplante, n’ont pas eu le courage d’aller plus loin. La reconfiguration a été littéralement mise de côté. Ne s’est jamais faite.

Un régime de double majorité

À son avis, cela a abouti à un régime de double majorité. Nous avons des institutions françaises qui fonctionnent comme si nous étions majoritaires, et des anglaises fonctionnant comme si les Anglais étaient majoritaires. Et cette double majorité est maintenant au cœur des décisions politiques.

Dans ce contexte, les allophones sont considérés comme des anglophones, ce qui revient à dire que l’on a cédé tout le centre-ville à ces derniers. Et la majorité de langue française est maintenant refoulée dans l’est d’une ville qui lui ressemble de moins en moins.

Par la lâcheté de nos politiciens, nous serions donc revenus à la pensée du « Nés pour un p’tit pain». Le centre-ville de Montréal est littéralement occupé par le cégep Dawson et par deux universités anglophones qui progressent constamment et dont, d’année en année, les inscriptions s’accroissent pendant que, dans l’est évidemment, l’UQÀM périclite.

L’Université McGill, ironise Laplante, se donne une stature internationale, se flatte d’établir des liens avec les grandes universités du monde, alors que ses chercheurs ne tiennent pas à collaborer avec ceux de l’U de M.

50% du budget pour 17% de la population

Ce fait ne semble en rien déranger nos élus. Le CHU-McGill recevra un égal montant que le CHUM, même si la population anglophone de Montréal ne représente que 17% de la population montréalaise. Part égale, alors que la moitié des étudiants de McGill ne prennent pas le temps d’accrocher leur diplôme au mur, trop pressés qu’ils sont de quitter le Québec pour aller pratiquer sous un ciel moins frenchy ce qu’on leur a enseigné, à grands frais des contribuables d’ici.

La chape de plomb est tombée sur nos politiciens: part égale entre le CHUM el le CUSM alors qu’en sus, McGill recevra cent millions du Canadian Innovation Found. Et, depuis que l’ex ministre Couillard a fait partir en fumée le rêve de technopole à Outremont des Desmarais, stagne la contribution du grand capital qu’on avait planifié pour le CHUM alors qu’au CUSM, des centaines de millions de dollars viennent garnir les coffres de la McGill Foundation.

En ce matin du 25 septembre, les journaux nous annonçaient que le docteur Michel Lallier venait de démissionner de son poste à l’Hôpital Sainte-Justine. «Il ira offrir son savoir-faire ailleurs dans l’Anglosphère. «Ou peut-être à McGill», ironise Laplante. Seul médecin parmi les panelistes, Amir Khadir a déclaré que nombre de spécialistes d’hôpitaux anglophones lui ont confié qu’ils seraient enchantés de pratiquer sous un même toit que leurs confrères francophones. Le refus d’un seul CHU viendrait plutôt du corps professoral de McGill.

Si c’est le cas, comment se fait-il alors que ne haussent pas plus la voix ces chercheurs de l’U. de M., eux qui, de ce marché de dupes ne recevront que des miettes? Comment se fait-il qu’ils ne font aucun effort pour alerter la population ? «Le premier qui jouera au Dom Quichotte, verra sa subvention de recherche couper», nous dit Robert Laplante.

Gouffre financier et louisianisation tranquille du Québec sont donc les effets pervers à prévoir et nos élus n’agissent point. Ils n’agissent point parce que rien ne bouge. Rien ne bouge parce que les premiers concernés restent cois, tenus en laisse qu’ils sont par les subventions de papa Ottawa. On ne peut pas donc pas compter sur eux. Ni sur les journalistes de Gesca. Ni sur ceux de Quebecor. Ni sur ceux de Radio-Can. Feu la Révolution tranquille!

Comprenez-vous pourquoi, tout au tréfonds de moi, entre la chair et l’os, je sens toujours en moi s’installer…la colère ?