Le testament politique d’Ehoud Olmert

2008/10/16 | Par Uri Avnery

A LA FIN de sa carrière politique, après sa démission du poste de Premier ministre, alors qu’on attend la mise en place d’un nouveau gouvernement par Tzipi Livni, [Ehoud Olmert] a fait des déclarations stupéfiantes – pas stupéfiantes en elles-mêmes, mais certainement stupéfiantes venant de sa bouche.

EN ISRAEL, quand on découvre quelque chose que tout le monde sait déjà, on dit familièrement en hébreu : Bonjour, Elijahu ! Pourquoi Elijahu ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, on pourrait dire : Bonjour, Ehoud !
C’est ce que je me suis dit lorsque j’ai lu l’extraordinaire interview qu’Ehoud Olmert a donnée cette semaine, à la veille du Nouvel An juif, au journal Yediot Aharonot.

A LA FIN de sa carrière politique, après sa démission du poste de Premier ministre, alors qu’on attend la mise en place d’un nouveau gouvernement par Tzipi Livni, il a fait des déclarations stupéfiantes – pas stupéfiantes en elles-mêmes, mais certainement stupéfiantes venant de sa bouche. Pour ceux qui l’ont manquée, voici ce qu’il a dit :

* Nous devons parvenir avec les Palestiniens à un accord dont l’essence est que nous nous retirerons effectivement de presque tous les territoires, si ce n’est de tous les territoires. Nous garderons en mains un pourcentage de ces territoires, mais nous serons contraints de donner aux Palestiniens un pourcentage semblable, car sans cet accord, il n’y aura pas de paix.

* ...y compris Jérusalem. Avec des solutions spéciales, que je peux imaginer, pour le Mont du Temple et les lieux saints historiques ... Quiconque veut conserver l’ensemble du territoire de la ville devra mettre 270 000 Arabes derrière des barrières à l’intérieur d’un Israël souverain. Cela ne fonctionnera pas.

* J’ai été le premier à vouloir imposer la souveraineté israélienne sur toute la ville. Je le reconnais ... Je n’étais pas prêt à examiner la réalité sous tous ses aspects.

* En ce qui concerne la Syrie, nous avons avant tout besoin de décision. Je me demande s’il existe une seule personne sérieuse en Israël qui croit possible de faire la paix avec la Syrie sans finir par abandonner le Plateau du Golan.

* L’objectif est d’essayer de fixer pour la première fois une frontière précise entre nous et les Palestiniens, une frontière que le monde entier [reconnaîtra].

* Supposons que dans un an ou deux une guerre régionale soit déclenchée et que nous ayons une confrontation militaire avec la Syrie. Je ne doute pas que nous les frapperons à la hanche et la cuisse (allusion à [Juges 15:8]) ... ( Mais) que se passera-t-il lorsque nous aurons gagné ? ... Pourquoi partir en guerre avec les Syriens pour parvenir à ce que nous pouvons de toute façon obtenir sans payer un prix aussi élevé ?

* Quelle fut la grandeur de Menahem Begin ? [Il] envoya Dayan rencontrer Tohami [l’émissaire de Sadate] au Maroc, avant même de rencontrer Sadate... Dayan dit à Tohami, au nom de Begin, que nous étions prêts à évacuer tout le Sinaï.

* Arik Sharon, Bibi Netanyahou, Ehoud Barak et Rabin – de glorieuse mémoire... chacun a fait un pas qui nous conduisait dans la bonne direction, mais à un moment donné, à un certain croisement, au moment où il fallait une décision, la décision n’est pas venue.

* Il y a quelques jours, j’ai eu une discussion avec les personnes-clés dans le processus de décision. À la fin [je leur ai dit] : en vous écoutant, je comprends pourquoi nous n’avons pas fait la paix avec les Palestiniens et les Syriens au cours des 40 dernières années.

* Nous pouvons peut-être faire un pas historique dans nos relations avec les Palestiniens, et une étape historique dans nos relations avec les Syriens. Dans les deux cas, la décision que nous devons prendre est la décision que nous avons refusé de regarder en face pendant 40 ans.

* Quand vous êtes à ce poste, vous devez vous demander : où diriger l’effort ? Pour faire la paix ou juste pour être plus forts et plus forts et encore plus forts de façon à gagner la guerre ?... Notre pouvoir est assez grand pour faire face à tout danger. A présent, nous devons essayer de voir comment utiliser cette infrastructure de pouvoir pour faire la paix et non pas pour gagner des guerres.

* L’Iran est une très grande puissance... Présumer que l’Amérique et la Russie et la Chine et la Grande-Bretagne et l’Allemagne ne savent pas comment agir avec les Iraniens, et que nous, Israéliens, nous savons et ferons ce qu’il faut est un exemple de la perte de tout sens de la proportion.

* Je lis les déclarations de nos ex-généraux et je dis : comment se peut-il qu’ils n’aient rien appris et rien oublié ?
MA PREMIÈRE réaction, comme je l’ai dit, a été : Bonjour, Ehoud.

Je me souviens de mon ami disparu, le poète qui a pris le nom de Yebi. Il y a quelque 32 ans, après que des douzaines de citoyens arabes israéliens eurent été tués en manifestant contre l’expropriation de leurs terres, il vint vers moi complètement excité et s’écria : nous devons faire quelque chose. Nous avons donc décidé de déposer des couronnes de fleurs sur les tombes des tués.

Nous nous sommes trouvés à trois : Yebi, moi et le peintre Dan Kedar, qui est décédé la semaine dernière. Le geste a soulevé contre nous une tempête de haine, d’un genre que je n’ai pas connu ni avant ni depuis.

Après cela, à chaque fois que quelqu’un en Israël disait quelque chose en faveur de la paix, Yebi s’exclamait : Où était-il quand nous avons déposé les couronnes de fleurs ?

C’est une question normale, mais assez peu pertinente. Olmert, qui a combattu toute sa vie contre nos conceptions, semble maintenant les adopter.

C’est cela qui est important. Je ne dirais pas Bonjour, Ehoud, mais Bienvenue, Ehoud.

Il est vrai que nous l’avons dit il y a 40 ans. Mais nous n’étions pas Premier ministre en exercice.

Il est vrai aussi que ces choses ont été dites et précisées en détail par beaucoup de gens bien, comme ceux qui ont rédigé le projet de Traité de Paix de Gush Shalom, le document Nusseibeh-Ayalon ou l’Initiative de Genève. Mais aucun d’eux n’était Premier ministre en exercice.

Et c’est cela l’essentiel.

ON NE DOIT PAS oublier que, pendant la période où ces idées étaient en train de se cristalliser dans l’esprit d’Olmert, celui-ci autorisait l’extension des colonies, notamment à Jérusalem-Est.

Cela fait surgir une question inévitable : est-ce qu’il pense vraiment ce qu’il dit ? Ne triche-t-il pas , comme il a coutume de le faire ? N’est-ce pas là une sorte de manipulation, comme d’habitude ?

Cette fois, j’ai tendance à le croire. On peut le dire : les mots sonnent vrai. Non seulement les mots eux-mêmes sont importants, mais aussi la musique. L’ensemble sonne comme le testament politique d’une personne qui remet sa démission à la fin de sa carrière politique. C’est un son philosophique – la confession d’une personne qui a passé deux ans aux plus hautes responsabilités du pays, qui a assimilé les leçons et tiré des conclusions.

On peut se demander pourquoi de telles personnes n’arrivent à leurs conclusions qu’à la fin de leur mandat, quand elles ne peuvent plus faire grand chose de leurs sages propositions ? Pourquoi Bill Clinton ne s’est-il mis à formuler ses propositions pour une paix israélo-palestinienne qu’au cours de ses derniers jours au pouvoir, après avoir passé huit ans en jeux irresponsables dans ce domaine ? Et pourquoi, d’ailleurs, Lyndon Johnson n’a-t-il admis que la guerre du Vietnam avait été dès le début une terrible erreur qu’après avoir lui-même conduit à la mort des dizaines de milliers d’Américains et des millions de Vietnamiens ?

A première vue, la réponse réside dans le caractère de la vie politique. Un Premier Ministre court de problème en problème, de crise en crise. Il est exposé à des tentations et à des pressions de l’extérieur et au stress de l’intérieur, aux chamailleries de coalition et à des intrigues internes au parti.

Il n’a le temps ni de prendre du recul ni de tirer des conclusions.

Les deux ans et demi du mandat d’ Olmert ont été pleins de crises, de la seconde guerre du Liban, dont il était responsable, aux enquêtes pour corruption qui l’ont poursuivi tout du long. Ce n’est que maintenant qu’il a le temps, et peut-être le calme philosophique, de tirer des conclusions.

Telle est l’importance de cette interview : celui qui s’exprime est une personne qui s’est trouvée pendant deux ans et demi au centre des prises de décisions nationales et internationales, une personne qui a été soumise aux pressions et aux calculs, qui a eu des contacts personnels avec les dirigeants du monde et ceux des Palestiniens. C’est une personne normale, pas brillante ; ce n’est pas un grand penseur en quoi que ce soit ; mais c’est un homme de la pratique politique, qui voyait à partir de là des choses qui ne peuvent pas être vues d’ici.
Il a livré une sorte de rapport sur l’état de la nation au public, un résumé de la réalité d’Israël, après 60 ans de l’Etat et après 120 ans de l’entreprise sioniste.

ON PEUT souligner les énormes lacunes dans ce résumé. Il n’y a pas de critique de la politique sioniste sur cinq générations – mais c’est quelque chose que l’on ne peut pas vraiment attendre de lui. Il n’y a pas d’empathie avec les sentiments, les aspirations et les traumatismes du peuple palestinien. Il n’est fait aucune mention du problème des réfugiés (on sait qu’il est prêt à reprendre seulement quelques milliers de personnes dans le cadre du regroupement familial). Il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité pour la désastreuse extension des colonies.. Et la liste est longue.

Les fondements premiers de sa vision du monde n’ont pas changé. Cette étonnante déclaration l’indique clairement : Chaque grain de poussière de la zone qui va du Jourdain à la mer auquel nous renoncerons brûle nos cœurs ... Lorsque nous creusons dans cette zone, que trouvons-nous ?

Des discours du grand-père d’Arafat ou de l’arrière arrière grand-père d’Arafat ? Nous y trouvons la mémoire historique du peuple d’Israël !

C’est un non-sens total. Il n’est absolument pas étayé par les recherches historiques et archéologiques. L’homme ne fait que répéter ce qu’il a
assimilé dans sa prime jeunesse et ce qu’il exprime est instinctif. Quiconque reste attaché à cette idéologie aura du mal à démanteler les colonies et à faire la paix.

Tout de même, qu’y a-t-il dans ce testament ?

C’est un divorce sans équivoque et définitif avec Eretz Israël tout entier d’une personne qui a grandi dans une maison au-dessus de laquelle flottait le drapeau de l’Irgoun : la carte d’Eretz Israël sur les deux rives du Jourdain. Pour lui, le slogan de l’Irgoun Uniquement cela s’est transformé en Tout sauf cela.

Il apporte un soutien sans équivoque à la partition du pays. Cette fois-ci, son adhésion au principe de deux Etats pour deux peuples semble beaucoup plus authentique, et non pas de pure forme ou comme une manœuvre. Sa demande de fixer les frontières définitives de l’État d’Israël représente une révolution dans la pensée sioniste.

Olmert a déjà dit dans le passé que l’État d’Israël est fini s’il n’accepte pas la partition, en raison du danger démographique. Cette fois, il n’invoque pas que le diable. Maintenant, il parle comme un Israëlien qui pense à l’avenir d’Israël en tant qu’Etat progressiste, constructif, pacifique.

Tout ceci est présenté non pas comme une vision pour un avenir lointain, mais comme un plan pour le présent. Il demande qu’une décision soit prise maintenant. Cela semble presque signifier : Permettez-moi de continuer pour encore quelques mois, et je vais le faire. L’hypothèse tacite est que les Palestiniens sont prêts pour ce tournant historique.

Et il a fixé une position israélienne à partir de laquelle il ne peut y avoir de retour en arrière dans toute future négociation.
C’EST LE TESTAMENT du Premier ministre, et il est évidemment destiné au prochain Premier ministre.

Nous ne savons pas si Tzipi Livni est prête à mettre en application un tel plan, ou ce qu’elle pense de ce testament. Certes, elle a récemment exprimé des idées assez semblables, mais elle entre maintenant dans le chaudron de la fonction de Premier Ministre. On ne peut pas savoir ce qu’elle va faire.

Je lui souhaite une chose par-dessus tout : qu’ à la fin de son mandat de Premier ministre, elle n’ait pas à donner une interview dans laquelle elle aussi demanderait pardon pour avoir raté une occasion historique de faire la paix.

Tiré de Association France-Palestine Solidarité

Article écrit le 4 octobre 2008, publié en hébreu et en anglais le 5 octobre sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais Summing Up pour l’AFPS : LG/SW