Hommage à monsieur Jacques Parizeau

2008/10/20 | Par Louis Bernard

Texte d’une allocution prononcée à l’occasion de la remise à M. Jacques Parizeau par le Mouvement national des Québécois et des Québécoises Photo(MNQ) de la Médaille René Lévesque le 18 octobre 2008.

Je suis à la fois très honoré et très heureux d’avoir été invité à participer à l’hommage qui est rendu, ce midi, à monsieur le Premier ministre Jacques Parizeau et je remercie le Mouvement national des Québécois et des Québécoises de me donner enfin l’occasion de dire publiquement, comme je l’ai souvent fait en privé, ce que je pense vraiment de M. Parizeau – et de le lui dire en face !

Monsieur Parizeau, vous êtes parmi les premiers dans le cercle restreint des grands artisans de la Révolution tranquille et l’un des plus éminents parmi les grands bâtisseurs du Québec moderne. Vous êtes un homme d’idéal, d’une extrême courtoisie et d’un exceptionnel respect de la personne des autres. Vous êtes pour votre peuple, comme vous l’avez été pour moi, un modèle et une inspiration.

Mes chers amis, j’ai eu le grand privilège de travailler auprès et avec M. Parizeau depuis plus de quarante ans. Au début, en 1965, alors que Jacques Parizeau était conseiller économique du Premier ministre Lesage, et que j’étais jeune conseiller juridique à ce qui s’appelait alors le Ministère des Affaires fédérales-provinciales, nous avions nos bureaux presque contigus et travaillions souvent sur les mêmes dossiers.

J’ai vu M. Parizeau partir de Montréal de bonne heure le matin pour tenir une réunion à Québec, puis une autre à Montréal l’après-midi, pour revenir à Québec dans la soirée. Et cela plus d’une fois dans la semaine ! En fait, je crois qu’il était, dans ces années-là, l’utilisateur le plus fréquent du « jet à Lesage » !

Je ne puis pas, dans les quelques minutes qui me sont imparties, faire la nomenclature complète des accomplissements de la Révolution tranquille dont M. Parizeau a été soit l’inspirateur initial, soit l’un des artisans principaux. Tout le monde connait son rôle dans la nationalisation de l’électricité, la création du Régime des rentes et de la Caisse de dépôt et placement, de la Société générale de financement, de la Société de développement industriel, de SIDBEC et de combien d’autres instruments de notre développement collectif.

Mais je voudrais porter à votre attention d’autres gestes qui sont moins connus mais qui ont mené à la mise en place de rouages essentiels du Québec moderne, surtout dans le domaine financier : je parle du Rapport de la Commission qu’il a présidée sur les institutions financières, lequel a conduit à la création du Ministère des institutions financières et de la Régie québécoise de l’assurance-dépôts qui, grâce à une entente négociée par M. Parizeau avec la Banque du Canada, peut garantir les dépôts dans les institutions financières québécoises.

Pour comprendre l’importance de ces arrangements, disons simplement que, sans eux, il en aurait été fait de la juridiction du Québec sur le Mouvement Desjardins. Et, soit dit en passant, on trouve là le modèle des arrangements à venir entre le Canada et un Québec souverain.

Quelques années plus tard, M. Parizeau est devenu ministre des Finances et moi, chef de cabinet du Premier ministre, puis secrétaire général du gouvernement. Sans vouloir porter ombrage à qui que ce soit, je peux dire que Jacques Parizeau a été le plus grand ministre des Finances qu’ait connu le Québec.

Il a présidé à l’émergence d’une classe d’affaires, « la garde montante » qui a permis aux francophones de prendre enfin la place qui leur revient dans la vie économique du Québec.

Ses discours du budget étaient d’ailleurs, comme on le sait, des évènements courus. Ce que l’on sait moins, par contre, c’est la grande réputation qu’il avait dans le monde de la finance, au Canada comme à l’étranger, et qui a permis au Québec de faire son entrée sur la scène financière internationale.

Puis, en septembre 1994, alors que je travaillais à la Banque Laurentienne, M. Parizeau m’a fait l’honneur de me demander de revenir temporairement au Secrétariat général du gouvernement pour assurer la mise en place de son gouvernement et préparer le référendum de 1995.

D’autres souligneront tout à l’heure la contribution de M. Parizeau à la cause nationale. Je me contenterai ici de signaler que, pendant la trop courte année qu’il a passée à la tête du gouvernement, M. Parizeau a non seulement défini le processus juridique et politique devant mener à la souveraineté du Québec – ce qui n’avait jamais été fait – qu’il a réussi à faire la coalition de trois partis sous le parapluie du Oui et obtenir tout près d’une majorité en faveur de l’indépendance, mais qu’il a, en même temps, réussi à faire adopter des lois importantes, notamment sur l’équité salariale et sur la formation en entreprise.

Il a également créé, sur l’inspiration de Lisette Lapointe, le Secrétariat à l’action communautaire qui s’est révélé, avec le temps, l’un des instruments les plus efficaces de la lutte à la pauvreté.

Enfin, il a posé les premiers gestes de la lutte au déficit budgétaire, lesquels ont tracé la voie à l’assainissement de nos finances publiques.

En terminant, je tiens à dire quelques mots sur Jacques Parizeau, l’homme. C’est un aspect moins connu du personnage mais qui n’en est pas moins remarquable.

Tous ceux qui ont fréquenté M. Parizeau, ne serait-ce que brièvement, ont toujours été frappés par sa courtoisie exceptionnelle, par sa politesse, par sa gentillesse, par son savoir-vivre exemplaire.

J’emploie des qualificatifs forts, mais je vous assure que je les ai choisis non pas pour plaire au récipiendaire, mais pour rendre justice à la réalité. Je ne crains pas d’être démenti sur ce point.

Mais je voudrais souligner de manière particulière le trait de caractère de M. Parizeau qui m’a le plus impressionné : c’est son respect absolu de la personne des autres. De tous les autres.

Durant les quelque quarante années où j’ai travaillé avec M. Parizeau, souvent de très près, je n’ai jamais entendu sortir de sa bouche, en aucune occasion, même en période de crise ou de débats intenses, la moindre remarque dérogatoire sur la personne d’un collègue ou même d’un adversaire.

Une critique des idées ou des actions, oui. Mais de la personne, jamais. En politique comme ailleurs, c’est une qualité rare et digne d’éloge.

Monsieur le Premier ministre Parizeau, j’ai connu d’assez près M. René Lévesque pour vous assurer qu’il serait très heureux d’apprendre que vous êtes le premier récipiendaire de la médaille qui porte désormais son nom.