Réforme du régime forestier québécois

2008/11/02 | Par Coalition pour un Québec des régions

Mémoire concernant la réforme du régime forestier
présenté à la Commission de l’économie et du travail
par la Coalition pour un Québec des Régions
Octobre 2008


La Coalition pour un Québec des Régions est un regroupement de citoyens des 17 régions du Québec pour une décentralisation politique
et la mise en place de gouvernements territoriaux démocratiques.

La Coalition compte présentement 200 membres, répartis dans chacune des 17 régions du Québec.

Elle invite les régions à un exercice citoyen devant culminer, au moment opportun, dans des États généraux constituants du Québec des Régions, en vue de définir les pouvoirs, les moyens et les instances démocratiques autonomes qu’elles estiment avoir besoin pour se développer.
La Coalition est libre de toute allégeance politique et institutionnelle.

Le Livre vert et le Document de travail sur la réforme du régime forestier

L’intérêt de la Coalition pour un Québec des Régions envers le régime forestier vient du fait que la forêt est une ressource vitale dans plus de la moitié des régions du Québec, particulièrement dans les six régions périphériques dites régions-ressources, qui subissent présentement les conséquences du pillage et de la mauvaise gestion de cette ressource dans le passé.

Le Livre vert intitulé La forêt, pour construire le Québec de demain nous avait paru ouvrir la voie à une ré-appropriation collective de notre forêt et à une décentralisation régionale de sa gestion. Mais le Document de travail qui a suivi, intitulé L’occupation du territoire forestier québécois et la constitution des sociétés d’aménagement des forêts, nous paraît marquer un recul sur le double plan de la ré-appropriation et de la décentralisation.

Au lieu de préciser et consolider le modèle de décentralisation avancé dans le Livre Vert, le Document de travail opte pour une simple déconcentration administrative sous contrôle de l’État et réduit presqu’à néant l’élimination progressive des CAAF envisagée dans le Livre Vert.

La raison invoquée pour ce recul nous paraît peu vraisemblable, soit le peu d’intérêt qu’auraient manifesté les instances régionales, lors des consultations sur le Livre vert, face à la prise en charge de la gestion de la forêt.

Le modèle de décentralisation de la gestion de la forêt proposé

Le Livre vert proposait de confier la gestion de l’exploitation et de l’aménagement de la forêt aux régions. Une responsabilité considérable compte tenu de l’état lamentable de notre forêt après des années de surexploitation et de mauvaise exploitation.

Malheureusement, il ne précisait guère quelles instances régionales seraient chargées de cette responsabilité, quelle imputabilité devraient avoir ces instances face à la population et à l’État et de quelles ressources financières et humaines elles disposeraient pour s’acquitter de cette tâche. Il ne précisait guère non plus le rôle d’orientation et de contrôle que conserverait l’État.

La Coalition pour un Québec des Régions, qui propose la gestion de nos ressources naturelles par des gouvernements régionaux élus, mieux à même de les préserver et de les faire profiter à leur population, ne pouvait que ce réjouir de ce transfert de la gestion de nos forêts des compagnies forestières aux populations régionales.

La Coalition a cependant insisté publiquement sur la nécessité que l’instance régionale qui serait appelée à gérer la forêt publique de sa région soit une instance élue, imputable et autonome, ce que ne sont présentement ni la Conférence régionale des élus, ni les Commissions régionales des ressources naturelles et du territoire qui en dépendent, ni les MRC, toutes étant composées d’élus municipaux délégués ou d’intervenants nommés par eux n’ayant donc aucun mandat de la population régionale, et donc, aucun compte direct à lui rendre.

La Coalition considère que la gestion de la forêt devrait être confiée aux CRÉ et aux CRRNT qui en dépendent, et que la démocratisation des CRÉ, et des CRRNT qui en dépendent, est incontournable si on veut leur confier une responsabilité de cette importance

La Coalition considère également que ce transfert majeur de responsabilité doit être accompagné d’un transfert de ressources financières autonomes et de ressources humaines correspondantes.

Les revenus de l’exploitation forestière constituent sans doute un élément essentiel, mais il faut s’assurer qu’ils suffisent, particulièrement pour garantir l’emploi d’experts appropriés.

Dans son mémoire remarquable, que nous appuyons, le Syndicat de la Fonction publique a insisté pour sa part sur la nécessité pour le Ministère concerné de mettre son expertise au service des instances régionales responsables, sans paternalisme ni ingérence, tout en assurant le respect des orientations et politiques du Ministère.

Dans ce contexte, il va de soi que la Coalition s’oppose vigoureusement à la création des Sociétés d’aménagement des forêts proposée dans le Document de travail, dans la mesure où ces Sociétés, dont les membres seraient bénévoles et nommés par le Gouvernement, ne constituent d’aucune façon une véritable décentralisation politique mais tout au plus une régionalisation administrative sous contrôle direct du Ministère, par le biais d’ententes.

Le Document de travail les définit d’ailleurs explicitement comme des «personnes morales mandataires de l’État» qui ne dépendent pas des instances régionales (CRÉ et CRRNT) et ne sont même pas tenues de tenir compte des priorités établies par la CRÉ et les CRRNT.

Ce modèle de décentralisation administrative est une injure à tous ceux qui réclament une décentralisation politique et démocratique des pouvoirs et des ressources. La Coalition estime que les populations régionales doivent être consultées concernant le modèle de décentralisation politique qu’elles souhaitent, et invitées, lors d’éventuels États généraux du Québec des Régions, à définir elles-même les grandes lignes des instances, des pouvoirs et des moyens dont elles ont besoin pour prendre en charge leur développement.

Le modèle d’exploitation forestière proposée

La Coalition adhère pleinement au modèle d’exploitation durable, multifonctionnelle et écosystémique proposé par le Rapport Coulombe. Or ni le Livre vert ni le Document de travail n’offrent de garanties concrètes que ce modèle sera appliqué.

On y renvoie aux calendes grecques l'élaboration d'une stratégie de développement écosystémique et multifonctionnelle de la forêt, tout comme la désignation des aires à protéger, le contenu et la nature du zonage forestier proposé .

La Coalition estime qu’un développement écosystémique et multifonctionnel de nos forêts exige une stratégie globale et précise, la mise en œuvre de ressources financières et humaines appropriées et une représentation équilibrée de tous les acteurs impliqués dans les organismes de gestion.

Le zonage forestier proposé - aires protégées, zones d’exploitation écosystémique, zones de sylviculture intensive, forêts de proximité - est un outil important de gestion, mais il n’est qu’un élément dans une gestion durable, multifonctionnelle et écosystémique de la forêt.Le Fonds d’investissement sylvicole proposé n’est aussi qu’une pièce du puzzle.

L’implantation d’une véritable écoforesterie dans nos forêts publiques et privées exige une stratégie et des moyens beaucoup plus élaborés et encadrés que ce qui est proposé.

Nous déplorons également qu’on ne semble pas se soucier de voir ces objectifs s’appliquer également dans la gestion et la mise en valeur des forêts privées.

Le modèle de mise en marché du bois proposé

Le Livre vert avait le mérite à nos yeux d’ouvrir la voie à la disparition des CAAF au profit d’une gestion régionale de la forêt ainsi qu’à la création d’un marché du bois.

Certes les étapes proposées étaient encore limitées, puisqu’un droit de premier preneur équivalent à 75% de l’approvisionnement garanti était réservé aux détenteurs de CAAF pendant cinq ans.

Dans le Document de travail, suite aux pressions de l’industrie sans doute, cette ouverture vers un marché du bois est considérablement restreinte.
Les garanties d'approvisionnement (ou droit de premier preneur) des ex-détenteurs de CAAF sont si larges et le pourcentage réservé au marché libre si imprécis (le 25% initial est complètement disparu!), qu'on peut se demander ce que ça va changer, à part soulager les grandes compagnies des coûts de gestion et ajouter une bureaucratie importante, notamment le Bureau de mise en marché du Bois, situé au ministère, dont le mandat, assez imprécis, serait de fixer les prix.

L’objectif, qui était de faciliter l’approvisionnement d’entreprises locales de transformation, semble donc bien loin. Non seulement les volumes disponibles sont incertains, ils risquent en plus de ne pas être accessibles.

En effet, rien n’est prévu, dans ce mécanisme de marché libre, pour prévenir l’exode de la ressource régionale vers d’autres régions plus riches ou mieux pourvues en grandes industries au détriment du développent régional d’entreprises locales de transformation.

Rien n’est prévu non plus pour assurer l’application du principe de «forêt résiduelle» pour le bois des forêts privées, victimes jusqu’ici du cartel exercé par les grandes compagnies. Au point où on se demande si, à terme, quelque chose sera changé et si les régions en tireront un profit pour leur développement.

Dans ces conditions, on comprend que beaucoup de régions et de dirigeants régionaux aient exprimé des fortes craintes sur la viabilité d’un tel marché et sur ses conséquences éventuelles sur l’exode de leur ressource forestières.

On comprend également que l’industrie craigne une incertitude néfaste concernant l’approvisionnement des entreprises. Il nous apparaît bien risqué de jouer sur deux tableaux à la fois : les CAAF et le marché du bois.

La Coalition estime que les droits de premier preneur pour les détenteurs de CAAF ne devraient pas compromettre la mise en place d’une véritable écoforesterie, ni d’une véritable gestion régionale de la ressource, ni d’un marché du bois qui tiennent compte des droits de chaque région sur sa ressource.

Conclusion

En conclusion, nous croyons que la meilleure façon de gâcher et de discréditer la décentralisation, c’est de décentraliser à moitié.

Pour effectuer un véritable changement, conforme aux orientations fournies par le Rapport Coulombe et exigées par la crise forestière actuelle, il faut donner aux régions le cadre national, les structures démocratiques, les moyens financiers et les structures de mise en marché appropriées pour qu’elles puissent gérer leur forêt de façon autonome et pour le bien de leur population.

Pour y parvenir, il faut à notre avis revenir au Livre vert et l’améliorer dans le sens que nous avons proposé, et surtout, oublier totalement les Sociétés d’aménagement des forêts proposées dans le Document de travail!