La Bolivie en marche

2008/11/09 | Par André Le Corre

Le 21 octobre dernier, le Congrès bolivien a approuvé, par une majorité des deux tiers, une loi de convocation à un référendum sur la nouvelle Constitution politique de l’État qui se tiendra le
25 janvier 2009. Si l’on se réfère au résultat du récent référendum, dit révocatoire, qu’Evo Morales a gagné avec 67% des voix, il devrait aussi pouvoir remporter cette nouvelle consultation aisément.

La signification de cet événement est considérable et Evo Morales lui-même l’a souligné dans son discours devant l’immense foule rassemblée sur la Place Murillo à La Paz. «C’est la fin de la domination d’une minorité», a-t-il déclaré.

Pour la première fois depuis la conquête espagnole en 1535, la majorité indigène de ce pays (plus de 60% de la population) verra ses droits reconnus. Le 28 septembre dernier, la peuple équatorien approuvait avec 64% des voix une nouvelle Constitution qui reconnaissait largement les droits des indigènes de ce pays. Au Paraguay l’arrivée au pouvoir de Fernando Lugo, ex-évêque et progressiste fait naître beaucoup d’espoir pour un pays soumis encore récemment à une forte répression .

On a pu voir au plus fort de la crise bolivienne se manifester une solidarité de tous les États de l’Amérique du Sud réunis dans l’UNASUR. Si l’on ajoute à cela le développement de l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques) et d’une Banque centrale sud-américaine, c’est une unité continentale nouvelle qui se constitue devant nos yeux avec des modèles inédits de démocraties participatives. Si «un autre monde est possible», selon ce que proclament les altermondialistes, c’est certainement là qu’il est en gestation.

Est-ce que maintenant, par un étrange phénomène cosmique, le soleil se lèverait au Sud?

Pour donner une image plus vivante de cette journée historique, nous avons traduit in extenso un excellent article d’Alex Contreras Baspineiro, journaliste, écrivain et ex porte-parole d’Evo Morales. Nous avions pu déjà le rencontrer à Montréal lors d’une conférence qu’il donnait à l’UQUAM le 16 mai dernier et apprécier sa parfaite connaissance de la dynamique politique bolivienne.

André Le Corre.



Les mouvements sociaux, une fois de plus, écrivent l’histoire :

La Bolivie avec dignité avance vers sa refondation

par Alex Contreras Baspineiro

Cochabamba -  En ce jour la vieille horloge du Palais législatif de La Paz marque 12h55. Le Président de la République, Evo Morales Ayma, ne peut contenir son émotion et pleure, les dirigeants des mouvements sociaux s’étreignent, les milliers de marcheurs hurlent de joie et agitent leur drapeaux et fanions, les mineurs font détonner leurs bâtonnets de dynamite et les paysans font entendre leurs « pututus » (instrument de musique bolivien).

C’est une journée historique pour la Bolivie parce que le Congrès national a approuvé par un vote des deux tiers la convocation à un référendum sur la nouvelle Constitution politique de l’État pour le 25 janvier 2009.

À partir de ce moment, nous commençons tous la compagne pour approuver, avec un vote de 100%, la nouvelle Constitution de l’État , a dit le chef de l’État, devant les milliers et milliers de personnes qui après avoir marché ont tenu une vigile toute la nuit sur la Place Murillo.

Le Président de la République a souligné, qu’avec cette nouvelle Charte, différents bénéfices seront constitutionalisés comme la pension de vieillesse, l’allocation de scolarité et aussi la nationalisation des hydrocarbures.

Les autonomies départementales – comme indigènes et municipales sont garanties et constitutionalisées et un acte juridique reconnaît la Bolivie comme un État unitaire social de droit plurinational, communautaire, souverain, interculturel avec des autonomies.

En saluant la lutte et l’engagement des mouvements sociaux, Morales Ayma déclare : « La refondation de la Bolivie nous a unis… Je salue la décision de la COB de s’unir à la CONALCAM». La marche depuis Caracollo(Oruro) jusqu’à La Paz a été organisée par les dirigeants de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) et la Coordination Nationale pour le Changement (CONALCAM) et s’y ajoutèrent plus de 95 organisations sociales de tout le territoire national.

Le chemin se fait en marchant.

Après avoir marché 190 kilomètres en huit jours, souffert de faim et de soif dans des communautés situées à plus de quatre mille mètres au dessus du niveau de la mer, dormi sous les intempéries des hauts plateaux glacials et supporté une campagne médiatique les diabolisant en les accusant de s’approprier la démocratie, des milliers de boliviens sont arrivés hier à La Paz. Comme s’il s’agissait de réveiller un géant endormi, orgueilleux de leur culture, de leurs vêtements brillants, accompagnés de leur musique et traditions, les représentants des mouvements sociaux, à leur passage reçurent non seulement nourriture et boissons mais par-dessus tout, les témoignages d’une entière solidarité.

La marche, la plus grande de l’histoire démocratique du pays - au centre névralgique de la politique bolivienne - se transforma en une fête multiculturelle et multiethnique qui éblouit les naturels et les étrangers.

Il y a une semaine, aucun politicien ne montrait de l’intérêt pour la recherche de solution de concertation. Ils cherchaient – une fois de plus – la polarisation du pays afin qu’il existe un affrontement et une profonde division; mais la démarche des marcheurs a montré l’unique chemin : l’urgence d’un dialogue.

«Cela est un grand triomphe pour la Bolivie parce que se construit un projet qui inclus tous et toutes…..Cela n’est pas un projet du gouvernement ou le l’opposition , c’est un projet des Boliviens» a affirmé le délégué de l’Organisation des États Américains (OEA) Raul Lagos.

Par une loi spéciale interprétative de l’article 233, le Congrès national a entériné la convocation à un référendum constitutionnel le 25 janvier 2009 et à des élections générales au mois de décembre de l’année prochaine.

« Les peuples indigènes, paysans et originaires, comme tous les mouvements sociaux n’agresseront aucun parlementaire ni aucun citoyen comme l’ont fait les autonomistes avec des actions racistes. Nous défendons la culture de la vie », a signalé le dirigeant de la CONALCAM, Fidel Surco.

À La Paz sont arrivés des marcheurs de Santa-Cruz et Oruro, Tarija et Potosi, Beni et Chuquisaca, Pando et Cochabamba, représentant les organisations de la campagne et des villes qui recherchent et appuient le processus de changement.

Plus de cent articles

La démarche ardue, mais ferme, des marcheurs a fait que, autant l’opposition que le gouvernement aspirent à dialoguer, se dépouillent de leurs intérêts politique et personnels et arrivent à un accord concret.

La session du Congrès dura plus de 16 heures sans interruption. Les positions intransigeantes d’il y a quelques jours comme : «pas une virgule ne se changera du nouveau projet sauf le chapitre sur les autonomies» ou « nous n’approuverons pas cette constitution tachée de sang» furent laissées de côté.

Selon le vice-président de la République, Alvaro Garcia Linera, il y a plus de cent articles modifiés, quelques uns dans la forme et d’autres sur le fond.

« Les forces politiques se sont mises d’accord sur plus de cent corrections qui s’appliqueront au nouveau texte constitutionnel en ce qui concerne les thèmes électoraux, autonomistes, justice communautaire et ordinaire entre autres», remarqua-t-il.

Parmi les accords conclus se trouve celui regardant la terre, une préoccupation énorme pour les secteurs productifs qui établit que les résultats du référendum pour ce qui est des propriétés du 5 mille ou 10 mille hectares n’affecteront pas ceux qui possèdent ces terres avant la consultation s’ils respectent la fonction économique et sociale.

Quant aux autonomies, un chapitre beaucoup plus complet a été obtenu, solide et plus près des attentes des régions de Tarija, Beni, Santa-Cruz et Pando. (Dans ces quatre régions des référendums autonomistes, qualifiés d’illégaux ont été tenus).

«La Bolivie a gagné. Ceci couronne un effort qui a couté deux ans de notre vie politique…. Nous sommes satisfaits pour différents motifs, parce qu’ainsi culmine une étape d’un pays qui a lutté pendant des dizaines d’années pour l’inclusion sociale» a précisé Garcia Linera.

Bien qu’il existe des dissensions de caractère régional, surtout avec les parlementaires de Santa-Cruz et Chuquisaca, la majorité des quatre groupements politiques (MAS, MNR, UN et PODEMOS) ont établi un accord qui, dans le fond, fortifie le système démocratique bolivien.

Creusant leurs tombes

Avec la force des mouvements sociaux, l’opposition non seulement fut mise sous pression mais aussi affaiblie et en fin de compte vaincue.

Jusqu’à hier, déployant une stratégie de communication dans tous les médias commerciaux, les opposants ont affirmé que « seulement en passant sur leurs cadavres sera approuvé la Constitution masiste».

Aujourd’hui, certains pleurent leur défaite, d’autres ne peuvent accepter ce dur coup et la plupart tentent de justifier l’injustifiable.

La préfète de Chuquisaca, Savina Cuéllar, ex-masiste a dit : «Ceux qui appuyèrent au Congrès national sont des traîtres. Nous ne pouvons approuver cette constitution vénézuélienne, nous feront campagne pour le non ». «Nous n’avons pas été pris en compte… le thème des compétences, les autonomies n’ont pas été clairement définies», a argumenté le député Pablo Kinsky; le comité civique de Santa-Cruz a rejeté les accords du Congrès et déclaré un état d’urgence et le chef de PODEMOS, Jorge Quiroga a reconnu qu’il y a des désaccords dans son parti.

« Les néo-libéraux doivent creuser leurs tombes pour y être enterrés. Le peuple bolivien a maintenant triomphé et nous devons nous organiser et nous préparer pour gouverner et prendre le pouvoir pendant les 20 années prochaines», a affirmé le dirigeant de la COB, Pedro Montes.

Les parlementaires de l’opposition qui autrefois ont administré à leur gré ce pays sont vaincus, les mouvements sociaux qui appuient le processus de changement sont fortifiés.

La Bolivie marche vers sa refondation….