Dérapage chez certaines coopératives de santé

2008/11/10 | Par Jacques Fournier

Jacques Fournier est organisateur communautaire retraité

S’il faut saluer le dynamisme des personnes qui ont mis sur pied des coopératives de santé, on doit par contre de plus en plus s’interroger sur les dérapages qu’entraîne cette formule dans le contexte québécois actuel.

Le problème : en plus de demander, ce qui est normal, l’achat d’une part sociale (disons de 20 $), la plupart des coopératives de santé exigent une cotisation annuelle de 100 $, 200 $ ou plus, ce qui contrevient clairement à la Loi canadienne de la santé, qui décrète que les services médicaux doivent être gratuits.

Un recours collectif pourrait même être entrepris avec succès contre les coopératives sur ce terrain. Des précédents existent.

La politique de tarification appliquée par les coopératives pourrait inciter certains médecins de cabinets privés à poser des gestes illégaux eux aussi.

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin, a déclaré récemment à Gatineau que les médecins de cabinets privés « seront peut-être tentés d’imposer, eux aussi, des frais annuels à leurs patients pour couvrir les dépenses telles le loyer et les salaires du personnel » (Le Droit, 25 octobre 2008).

Le tarif à l’acte payé aux médecins par la RAMQ prévoit pourtant qu’une importante proportion, de l’ordre de 30%, de cette rémunération, couvre les frais de personnel, de loyer, etc. Les médecins qui bénéficient d’un loyer gratuit ou quasi gratuit, ou qui exigeraient une cotisation, reçoivent ou recevraient, dans les faits, une double rémunération.

Si le ministre Yves Bolduc décidait de tolérer l’imposition de frais annuels par les coopératives de santé, comment pourrait-il interdire aux cliniques privées d’exiger une cotisation elles aussi? Il ne pourrait préconiser deux poids, deux mesures.

A l’heure actuelle, plusieurs coopératives de santé sont créées non pas ex nihilo mais pour remplacer une clinique privée. Ce ne sont pas de nouveaux services qui sont offerts mais plutôt des médecins déjà regroupés en cliniques privées qui trouvent soudain plus agréable d’avoir un loyer gratuit, ou presque, ainsi que des services de secrétariat. Est-ce cela l’esprit coopératif?

C’est ce qui vient de se produire à Gatineau où la clinique privée de la rue Gréber vient de se transformer en coopérative. Action Santé Outaouais, un organisme communautaire voué à la préservation de notre système public et gratuit, dénonce, avec raison, le fait que cette coopérative exige des frais annuels de 100 $.

Mis au courant de cette situation, le ministre Yves Bolduc se dit « préoccupé » mais tarde à agir. Le problème est pourtant connu depuis plusieurs années.

Le Collectif des maires de la MRC de Nicolet-Yamaska, dans Le Devoir du 21 octobre, a vu juste en disant que la création de coopératives de santé était une façon de déplacer le problème : « De plus en plus d’indices montrent que l’on déplace ainsi simplement le problème d’un territoire rural à un autre. Et surtout, est-ce équitable pour les communautés et citoyens ruraux comparativement au restant de la population? »

Les médecins vont maintenant s’installer là où les municipalités, via des coopératives, leur offrent les plus beaux locaux, et autres avantages, payés avec les taxes municipales, alors que les citoyens paient déjà des impôts au gouvernement québécois pour rémunérer - raisonnablement - les médecins. « La grande séduction » coûte cher aux municipalités, et à leurs contribuables, qui jouent ce jeu de surenchère.

Les coopératives de santé amélioreraient beaucoup leur image et leur crédibilité en décidant collectivement d’abolir leurs cotisations annuelles. C’est possible car certaines d’entre elles n’imposent pas de tels frais. Cela ne réglerait pas tous les problèmes mais cela dissuaderait vraisemblablement la FMOQ de proposer à ses membres de nager dans les eaux toujours troubles de l’illégalité.