Ces mythes qu’on oublie

2008/11/12 | Par Victor-Lévy Beaulieu

Depuis que Barak Obama a été élu président des États-Unis et que de gigantesques foules ont envahi toutes les grandes villes de l’Amérique pour célébrer cette victoire, on peut lire dans les journaux, les blogues, et entendre à la radio et à la télévision : « Ah ! Si on avait un Barak Obama chez nous ! »

Le fait est qu’un Barak Obama, on en a eu un chez nous. Il se nommait René Lévesque et, le soir du 15 novembre 1976, quand il porta le Parti québécois au pouvoir, on célébra partout au Québec, dans un déploiement de drapeaux, de chants et de grande émotion, ce qu’on a pu appeler le triomphe des nègres blancs d’Amérique. Le discours que fit alors René Lévesque avait une qualité aussi prégnante que celui de Barak Obama à Chicago. J’étais là ce soir-là. Et quand j’ai vu pleurer Jesse Jackson dans la nuit du 4 novembre dernier, je me suis rappelé que le 15 novembre 1976, nous avons été plusieurs à le faire aussi, de joie, d’espoir, de fierté : « Nous sommes quelque chose comme un grand peuple ! » a dit René Lévesque.

J’étais en France quand François Mitterand a été élu en tant que premier président français socialiste en mai 1981. Le soir de son élection, tout Paris était dans la rue et le drapeau tricolore flottait partout. Pour les Français et pour les Québécois qui, comme moi, participaient à la fête, une grande émotion nous habitait aussi : de la joie, de l’espoir, de la fierté encore. Et quand, quelques jours plus tard, François Mitterand traversa tout Paris, on aurait dit le général de Gaulle libérant la France de tous ses démons.

Il m’apparaît donc honteux que nos politiciens se réclament de Barak Obama en ce début de campagne électorale. Il devrait y avoir une loi pour empêcher les opportunistes de commettre ainsi ce délit contre la beauté mythologique.

Un dernier mot sur Barak Obama. Bien que j’aie suivi la campagne américaine de près, un symbole important a paru échapper à tout le monde. Natif du Kentucky, Abraham Lincoln fit de l’Illinois son pays d’adoption. Il y passa sa jeunesse, y fut élu en 1834 à la Chambre des Représentants, puis député au Congrès en 1846. Bien qu’il n’ait jamais pu se faire élire sénateur, il devient en 1860 le premier président américain qui s’engage à mettre fin à l’esclavage des Noirs. Comme on doute de lui, il affirme dans son premier discours comme président : « Je ferai exactement ce que j’ai dit que je ferais. »

Et Abraham Lincoln tint promesse. Comme Lincoln, Barak Obama a fait de l’Illinois son pays d’adoption. C’est plus qu’une coïncidence, mais la beauté du mythe quand celui-ci force la réalité. La marche du peuple noir américain vers la liberté a commencé en Illinois et elle vient d’y triompher. Serait-ce venu aussi rapidement si Barak Obama avait été sénateur du Nebraska plutôt que celui de l’Illinois ? Il me semble que non : par leur coïncidence, les grands mythes se répondent les uns les autres et, ainsi, deviennent véritablement fondateurs.

Dommage que dans son discours du 4 novembre dernier, Barak Obama n’ait pas dit tout ce qu’il devait à cet autre fils adoptif de l’Illinois qui, au prix de sa vie, a balisé pour lui ce chemin qui mène de l’esclavage à la liberté.

J’en ai eu un petit pincement au cœur, comme j’en ai eu un quand, dans son premier discours électoral, Mme Pauline Marois a fait silence sur René Lévesque, le père de notre nation, dont on attend toujours que la réalité devienne le mythe qu’il a incarné.

Victor-Lévy Beaulieu
candidat indépendantiste indépendant
dans le comté de Rivière-du-Loup
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