Bolivie : le Groupe Alternatives prépare l’opinion publique à un coup d’État

2008/11/17 | Par L’aut’journal 

Le groupe Alternatives, grassement financé par le gouvernement canadien par le biais de l’ACDI, prépare l’opinion publique québécoise à voir d’un bon œil les manœuvres américaines encourageant le démantèlement du pays par la sécession des provinces les plus riches opposés au gouvernement central d’Evo Morales.

Comme le groupe l’a fait pour justifier le coup d’État mené par les gouvernements américain, français et canadien contre le président Jean-Bertrand Aristide (voir notre article à ce sujet et notre réponse à la réplique d’Alternatives), on recourt à la théorie des deux démons, une théorie conçue par quelques intellectuels argentins pour justifier la dictature militaire (1976-1983) comme une réponse à la guérilla de gauche, comme nous le rappelle Eduardo Corro, du collection d’information sur la Bolivie de Montréal.

Nous publions ci-dessous un article d’Eduardo Corro en réponse à l’article « La guerre des référendums » de Nancy Thede, publié dans le journal Alternatives du 25 septembre 2008. Le groupe Alternatives a refusé de publier cette réplique.

Pierre Dubuc

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Bolivie : Démocratie ou sécession

« Encouragés par les autorités élues, les civils s’entretuant dans le département de Pando le 11 septembre annonçaient au monde ce qui crève les yeux depuis plus d’un an : la Bolivie est en crise. »

C’est le premier paragraphe de l’article dans lequel l’auteure prétend démontrer que la situation en Bolivie est le fruit d’un affrontement où le gouvernement et l’opposition sont également responsables de la violence qui frappe le pays : « de dérapages et de contournements de la loi tant de la part du gouvernement que des opposants. » Une idée proche de la théorie des deux démons.(1)

Des bandes armées, payées et encouragées ou directement dirigées par les préfets, ont menacé et attaqué les opposants ou ceux soupçonnés de l’être, publiant des listes noires, sabotant des gazoducs, mettant à sac des bureaux publics et occupant des aéroports en une tentative de paralyser l’administration du gouvernement du Mouvement vers le socialisme (MAS).

À Santa Cruz, le saccage s’est concentré sur les bureaux des impôts et ceux de la réforme agraire d’où est disparu tout l’historique des réclamations de terres des communautés autochtones.

À Sucre, des dizaines d’autochtones qui étaient venus rencontrer Evo Morales pour recevoir des ambulances destinées à leurs communautés ont été brutalement agressés et humiliés.(2)

Mais c’est au Pando que l’escalade s’est transformée en tragédie. Dans la localité d’El Porvenir, 19 dirigeants paysans autochtones ont été massacrés et jusqu’à maintenant plus de 60 personnes sont toujours disparues. Le président Morales a alors décrété l’État de siège, au Pando seulement, et fait arrêté le préfet Fernandez comme instigateur du massacre.

Comme elle le signale dans son premier paragraphe, Thede connaissait les événements du Pando. Malgré cela elle lance un « appel à trouver une solution qui respecte ces deux légitimités ». Déclarer légitime une opposition raciste et extrêmement violente, et la situer au même niveau qu’un gouvernement pacifique et démocratique c’est créer une dangereuse confusion.

La gravité de la situation a amené l’Union des nations sud-américaines (USASUR), qui regroupe 12 gouvernements d’Amérique latine, à émettre une déclaration d’appui sans ambigüité au gouvernement Morales dans laquelle ils déclarent qu’ils rejettent énergiquement et ne reconnaîtront aucune situation qui implique une tentative de coup d’État civil, la rupture de l’ordre institutionnel ou toute action qui remet en question l’intégrité du territoire de la République bolivienne, exprimant leur plus vive condamnation au massacre perpétré dans le département du Pando(3). Massacre et non pas «affrontement» comme le soutient Thede.

Les pays latino-américains envoyaient de cette façon un message non seulement à l’opposition mais aussi aux États-Unis qui, comme nous le verrons, ne sont pas étrangers aux tentatives de déstabilisation du gouvernement de Morales.

Selon Thede, les forces de l’opposition sont composées de « la bourgeoisie modernisatrice et les grands propriétaires terriens ». Elle oublie d’inclure les États-Unis.

Seulement en 2007, USAID, l’aide gouvernementale américaine, a distribué 86 millions de dollars destinés à renforcer la capacité des gouvernements départementaux, dirigés par les préfets, pour les aider à améliorer leur niveau de réponses aux régions qu’ils gouvernent.(4)

Après le triomphe du MAS, le Département d’État américain n’a pas tardé a nommer Philip Goldberg comme ambassadeur en Bolivie, Goldberg a été chef de la mission américaine a Kosovo

Quand Evo Morales a expulsé Goldberg, il a déclaré : « Celui qui conspire contre la démocratie et surtout qui cherche à diviser la Bolivie, c’est l’ambassadeur des États-Unis, je veux vous le dire, sœurs et frères, ce monsieur est un expert pour ce qui est d’encourager les conflits séparatistes ».
Un coup d’État civil qui ouvrirait les portes au projet de sécession, auquel se réfèrent également les membres d’UNASUR, est une tentation très grande pour la bourgeoisie, les grands propriétaires terriens boliviens et les multinationales qui s’approprieraient ainsi des territoires parmi les plus riches de Bolivie, enterrant par la même occasion les revendications de la grande majorité contenues dans le projet de nouvelle constitution.

De son coté, le Département d’État américain disposerait ainsi d’une grande région au cœur d’une Amérique latine de plus en plus insoumise.
Cependant, la corrélation des forces a changé en Bolivie. L’appui substantiel de presque les deux-tiers de la population lors du référendum de « révocation » ainsi que la reconnaissance et l’appui international de UNASUR de l’OEA et de l’Union européenne ont permis à Morales de reprendre son rôle prépondérant.

La Bolivie n’est donc pas en présence « d’une guerre de référendums » mais devant la menace des forces coalisées de l’opposition locale et des États-Unis de détruire un gouvernement profondément démocratique qui veut en finir avec plus de 500 ans de racisme, d’oppression et de misère.

Eduardo Corro
Membre du Collectif d’information sur la Bolivie de Montréal

1. Conçue par quelques intellectuels argentins, la théorie des deux démons prétendait justifier la dictature militaire (1976-1983) comme une réponse à la guérilla de gauche.

2. Voir le documentaire «Humillados y ofendidos » (Humiliés et offensés) du réalisateur Cesar Brie. Sucre, 24 mai 2008.

3. Déclaration de la Moneda, Santiago du Chili, 15 septembre 2008.

4. USAIS/OTI Bolivia Field Report, juillet-septembre 2006.