Nouvelles du Saguenay: Hervé Bouchard au théâtre Cri

2008/11/17 | Par Pierre Demers

Pendant que j’écris ces lignes sur l’adaptation théâtrale remarquable du second roman/poème d’Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister par le théâtre CRI de Jonquière, je pense aux promesses électorales des candidats qui défilent actuellement en file indienne dans la région pour nous faire croire qu’ils règleront tout si l’on vote pour eux.

Je pense à Jean Charest en particulier qui a été reçu comme «une rock-star » (sic) (Progrès-Dimanche, 16 nov.) à Dolbeau en promettant de sauver les travailleurs victimes de la crise forestière en leur payant des cours du soir tout en subventionnant un peu plus les compagnies.

Je pense aussi aux 15 premières priorités des Québécois questionnés dans La Presse (15 nov) et je remarque que la culture n’y fait pas partie comme si le domaine n’intéressait personne, pas même des politiciens en mal de votes.

La culture ?

Pourtant, lors des dernières élections fédérales, cet enjeu qui a fait la différence entre les électeurs du Québec et ceux du reste du Canada, mon pays, mes amours.

Et je me dis que la culture c’est une autre façon de voir les choses, le monde autour qui nous entoure et de partager cette vision toute personnelle qui devient dans un livre, sur scène, sur un écran, dans un lieu donné, préoccupation commune, domaine familier et familial. Source de fierté et de bonheur.

Que la culture devrait faire la différence entre ce que nous voulons devenir et ce que nous ne sommes pas tout à fait. Que c’est sans doute le meilleur moyen de nous grandir par rapport aux autres nord-américains qui nous entourent. Que la culture nous distingue et nous confirme dans nos différences exemplaires et nous sortant de la torpeur et la noirceur par le drame, le rire et la poésie.

Impossible de tout monter

C’est ce qui passe magistralement dans la petite salle de répétition de la salle Pierrette-Gaudreault du centre culturel de Jonquière, depuis mercredi le 12 novembre où le théâtre CRI joue son adaptation du second roman/poème d’Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister.

Ceux qui connaissent le livre d’Hervé récompensé par le prix littéraire de la ville de Montréal en 2006 retrouveront là l’univers familial sans commune mesure de l’auteur.

Surtout son langage unique, sa façon de faire dire les choses et la vie par ses personnages sortis directement de son enfance arvidienne. Tout y est ou presque. Et pourtant la metteure en scène Guylaine Rivard et son complice à l’adaptation du texte, Martin Giguère ont dû faire des coupes dans ce roman/poème de 237 pages tapées serrées, drame en quatre tableaux avec six récits au centre.

On y retrouve donc et surtout le monde d’Hervé Bouchard sans toutefois le respect des indications du début suggérées par l’auteur qui se prenait un instant pour son metteur en scène en désirant voir apparaître sur les planches Laurent Sauvé en collier de barbe, la grosse langue coupée du prêtre Morovitche («Dijons une çapelet ») et une quarantaine de figurants…sans oublier un seul orphelin qui aurait pu jouer les cinq présents. On ne peut tout faire.

Ultime présence du texte

Peu importe donc, il a fallu faire des coupes dans le texte chargé de tout et monter la pièce avec l’essentiel qui y est, je crois. À savoir les mots surtout d’Hervé Bouchard qui résonnent et chantent à leur pleine mesure tout au long des deux heures du show.

Un texte qu’on a travaillé comme une partition musicale, tantôt en slam, tantôt en hip hop et même en flamenco. Avec ici et là les indications du musicien Pierre Dumont. Un langage musical donc et un début de chorégraphie qui se joue autour du père Beaumont, de la Veuve Manchée, des orphelins à numéro et du chœur des sœurs innées. Comme si la metteure en scène avait dirigé sa chorale de comédiens sur une partition bouchardienne.

Présence et dominance du texte dans la bouche des comédiens et des comédiennes tous et toutes imprégnés des relents de Parents et amis… au point de s’y confondre, de s’y morfondre.

Les orphelins d’abord qui se tiennent les uns contre les autres en se pitchant les répliques monologuées pour se donner du courage devant le deuil du Père Beaumont disparu trop vite. Pour ne pas passer pour des chiens. Les trois Sœurs innées qui veillent et surveillent ce qui reste dans la maison. Et la Veuve Manchée qui glisse sur la pente de sa folie avec l’énergie de son gros manque et de son gros ventre plein du «petiot » orphelin lui aussi.

Guylaine Rivard a respecté cette domination du texte littéraire unique d’Hervé Bouchard. En lui trouvant parfois des nouvelles formes à travers une mise en scène, une direction d’acteurs et parfois une scénographie ingénieuses et discrètes. Je pense ici à ces matelas/ardoises sur lesquels se couchent et se confient les orphelins à numéro. Des compagnons qu’ils manipulent comme des journaux intimes y griffonnant d’un côté ce qui leur passe par la tête, de l’autre leurs monologues incessants dérobés à leurs nuits d’insomnie.

Je pense surtout à la mise en scène de la Veuve Manchée dont les bras lui ont tombé à la mort du père Beaumont, son homme, ne lui restant qu’une longue robe de graisse pour la couvrir. Cette Veuve circule sur la (s)cène dans une robe de bois démesurée comme son malheur tout au long de la pièce. Une robe de bois en forme de robe de Troie qui dissimule ses orphelins, la cuisine trop petite, le lave-vaisselle, bref, une bonne partie de son intérieur trop familier et fermé de partout.

Dans cette robe de bois aux allures de cabanon la Veuve Manchée va redire sa vie de long en large, épuisée d’être au centre de tous et de ses entrailles. Amoureuse imaginaire de Laurent Sauvé absent, Veuve Manchée perdue dans son délire verbal et son trop gros poids de survie. Obsédée par le désir de dire pour «percer le temps » et vider son sac devant tout le monde et les siens(chiens) qui la dévorent.

Ce drame avec quatre tableaux et six récits au centre reste sans doute l’une des plus belles surprises du théâtre CRI (Centre de recherche et d’interprétation fondé en 1997 par Guylaine Rivard), d’autant plus qu’il met en scène une œuvre littéraire totalement incarnée dans le milieu régional débordant sur le reste.

Il y a à mon avis la matière aussi d’une œuvre radiophonique et sans doute cinématographique dans Parents et amis…Juste pour dire à quel point ce roman/poème atteint tout.

Une équipe conscrite

Les comédiens et comédiennes portent cette pièce avec une énergie hors du commun. Il faut les nommer tous et toutes: Josée Laporte, la Veuve Manchée, Monique Gauvin, Anne Laprise, les Sœurs innées, Jérémie Desbiens, Martin Giguère, Dany Lefrançois, Marc-André Perrier, les orphelins.

Et aussi l’équipe d’artisans qui a participé à cette invention de l’espace de Parents et amis…, Hélène Soucy et Serge Potvin, conception scénographique, Marie-Noël Lapointe et Guylaine Rivard, costumes, Dominique Bédard, éclairage, Pierre Dumont, son, Mélaine Potvin et Marie-Noël Lapointe, régie, Guylaine Rivard, mise en scène.

Pour terminer sur deux bonnes notes,

Le mot de l’auteur : Hervé Bouchard

«C’est fait. Le père est mort. Et le drame qui suit se passe depuis lors. Regardez : c’est la nuit à Jonquière. On entend fonctionner les usines. Gronder les lampadaires et rouler les machines (On dit «machines », mais ce sont des chars, en fait). La fumée en suspens dans ce décor parfait prive les figurants de leurs traits. On dénombre parmi eux, des sans voix, des sans corps, des sans ombre qui portent cependant les costumes qu’il faut pour donner à qui voit une impression qui vaut l’hilare or de cymbales hypnotique qui chante dans la langue du mort. Mais voici que nous hante la veuve sans amour dévorée par ses fils. Son corps est un pain dur que mangeront les six garçons qu’elle a donnés au monde qui s’achève. Comme un arbre asséché s’est vidé de sa sève. Et pourtant continue de nommer le pays. Nous n’irons plus au bois, nous resterons assis parmi les figurants qui peuplent les églises refroidies par l’hiver. Nous serons ceux qui disent. Disent-ils, les soirs de riants soirs de noirceur. Quand le bruit est mué comme le sont vos cœurs. »

Mot de la metteure en scène

«…je n’invente rien en disant que ce fut pour moi une expérience unique. Un voyage exceptionnel qui m’a bousculée dans mes habitudes pour me sortir de ma pratique antérieure. À travers les paroles d’Hervé Bouchard, j’ai découvert un monde troublant, une façon de peindre la nature humaine comme si tout acte, aussi banal, tragique ou absurde qu’il soit, pouvait devenir une œuvre poétique. J’ose espérer que ces paroles vous interpelleront tout autant que moi, car elles évoquent des lieux et des anecdotes qui se sont inscrits dans notre mémoire collective avec autant de punch qu’un succès des années 60. Et c’est par la bouche des interprètes qui m’ont suivie avec confiance que j’arrive à me convaincre moi-même que j’ai eu raison de vous proposer cette œuvre. J’en profite pour saluer tous les artisans qui ont participé à ce projet…consciente de la chance que j’ai de pratiquer dans le domaine artistique, je réalise, chaque jour, le travail à faire pour participer au développement de la pratique et l’extrême urgence d’agir, aujourd’hui, pour protéger notre culture… »