Le discours du Trône consacre la marginalisation irréversible du Québec

2008/11/20 | Par Pierre Dubuc

Bien qu’il prétende apporter la réponse du gouvernement Harper à l’incertitude économique actuelle, le discours du Trône ne contient rien pour rassurer les milliers de travailleurs et de travailleuses qui vont perdre leur emploi au cours des prochains mois, ni les millions de retraités qui voient disparaître les économies d’une vie avec l’effondrement des marchés financiers. Rien au chapitre de l’assurance-emploi, rien au chapitre des fonds de retraite.

Alors que la conjoncture commande l’adoption de mesures keynésiennes, le gouvernement démontre qu’il n’a pas rompu avec l’idéologie néolibérale de l’État minimal en évoquant du bout des lèvres la possibilité d’un déficit mais, surtout, en annonçant des compressions budgétaires. « Les ministères disposeront des sommes nécessaires, sans plus, pour assurer la prestation des programmes et des services essentiels », nous a-t-on fait savoir par la bouche de la Gouverneure générale en précisant que le gouvernement invite ses membres « à l’examen des dépenses et à suggérer des restrictions possibles ».

Cet exercice ne s’appliquera cependant pas au budget militaire puisque le gouvernement « poursuivra la modernisation des Forces canadiennes et continuera de leur procurer le meilleur équipement possible » dans le cadre du « renouvellement de nos flottes aérienne, navale et terrestre ».

Au chapitre de l’énergie, le gouvernement Harper viendra en aide aux pétrolières de l’Alberta en réduisant « les obstacles en matière de réglementation et autres afin d’étendre le réseau des gazoducs dans le Nord » et apportera son soutien à l’industrie nucléaire de l’Ontario avec « une réglementation efficace afin d’encadrer d’éventuels projets nucléaires provinciaux ».

Le Québec, grand perdant

Que reste-t-il pour le Québec? Il y a, bien entendu, cette vague promesse de venir en aide au secteur manufacturier, mais bien qu’on mentionne l’aérospatiale, on a tous compris qu’il n’y en aura que pour le secteur automobile, établi en Ontario.

Pour qu’on ne s’y trompe pas sur l’importance désormais négligeable du Québec, le discours du Trône annonce le dépôt d’un projet de loi qui augmentera le nombre de sièges de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta à la Chambre des communes pour respecter le principe de la représentation selon la population.

De plus, pour faire écho à une vieille revendication réformiste, le gouvernement Harper proposera que les sénateurs soient élus, une politique à laquelle s’est toujours opposé le Québec.

La troisième sœur

Ceux qui ne comprendraient pas les tenants et aboutissants politiques derrière ce discours du Trône peuvent en trouver les clefs dans un article de Tom Flanagan, l’alter ego politique de Stephen Harper, paru dans le Globe and Mail du 14 novembre sous le titre « Courting the Fourth Sister ».

Dans cet article fort éclairant, Tom Flanagan rappelle la stratégie à long terme concoctée en 1996 par Stephen Harper pour prendre le pouvoir. Elle s’inspirait des expériences de John Diefenbaker et de Brian Mulroney qui avaient réussi à unir au sein d’un même parti les populistes de l’Ouest, les conservateurs traditionnels de l’Ontario et des Maritimes et les nationalistes mous du Québec.

C’est dans le cadre de cette approche – dite des « Trois sœurs » – que Stephen Harper a courtisé le Québec avec la promesse de résoudre le déséquilibre fiscal, la reconnaissance de la « nation québécoise dans un Canada uni », l’octroi d’un siège à l’ONU et en commençant tous ses discours en français.

La stratégie a semblé fonctionner en 2006 en donnant dix sièges au Parti conservateur, mais a échoué à lui donner un gouvernement majoritaire lors du dernier scrutin. Tom Flanagan en tire la conclusion que « le plus gros problème est l’attitude des Québécois qui voient le Canada de façon instrumentale comme étant uniquement une source de revenus pour leur province ». C’est la thèse que martèle depuis le dernier scrutin Jeffrey Simpson, un chroniqueur influent du Canada anglais. Cette caractérisation du Québec comme « éternel quémandeur » était aussi une idée maîtresse de Stephen Harper lorsqu’il militait chez les réformistes.

La troisième sœur étant difficile, voire impossible à satisfaire, il ne restait qu’à trouver une remplaçante. Analyste averti des résultats électoraux, Tom Flanagan a trouvé cette quatrième sœur dans l’électorat ethnique de l’Ontario.

La quatrième sœur

Flanagan note que la stratégie ethnique mise en place par le gouvernement Harper (réduction des droits d’immigration, des excuses pour les politiques discriminatoires passées à l’égard des Asiatiques, nomination de personnes issues de l’immigration) a déjà donné des résultats.

Selon son analyse électorale, six nouvelles victoires conservatrices dans la grande région de Toronto et trois dans les banlieues de Vancouver sont attribuables au vote ethnique, sans compter un grand nombre d’autres circonscriptions où les Conservateurs ont talonné les libéraux.

Tom Flanagan jubile. Un gouvernement majoritaire conservateur est désormais possible sans obligation de faire des gains majeurs au Québec. Surtout, précise-t-il, si une réforme électorale ajoute une douzaine de nouveaux sièges en Alberta et dans les banlieues de Vancouver et de Toronto. C’est précisément ce que propose le discours du Trône.

Cette majorité est à portée de main, écrit Flanagan, d’autant plus que les membres de ces minorités ethniques sont plus proches des valeurs conservatrices. Ils ne sont pas en faveur du mariage entre conjoints du même sexe et plus indifférents que les autres Canadiens aux questions environnementales. Par contre, ils sont favorables aux réductions de taxes, à l’instauration d’un climat favorable aux affaires et aux politiques pour le maintien de la loi et l’ordre.

Le discours du Trône confirme la marginalisation politique et économique du Québec. Une marginalisation irréversible parce qu’elle reflètera, avec la modification de la carte électorale, le recul du poids démographique du Québec au sein de la fédération canadienne.

Les fédéralistes viennent de prendre conscience qu’ils n’ont plus à courtiser le Québec pour se donner un gouvernement majoritaire. C’est un changement de donne considérable. Ceux, au Québec, qui ne l’ont pas compris à la lecture du discours du Trône, auront l’occasion d’en apprécier les conséquences lors de la crise économique qui pointe et de méditer sur le « fédéralisme d’ouverture ».

Pierre Dubuc a publié « Le Vrai Visage de Stephen Harper » aux Éditions Trois- Pistoles, 2006.