Nouvelles du Saguenay: Les élections provinciales (suite et fin)

2008/12/01 | Par Pierre Demers

Entrevue avec Jean-Claude Bouchard, prof de science politique au cégep de Jonquière

Qu’est-ce qui distingue les habitudes électorales du Saguenay de celles du Lac Saint-Jean ?

Jean-Claude Bouchard : Au Saguenay. et plus particulièrement à Chicoutimi, la famille Bédard, péquiste de père en fils, domine le paysage. À tel point que les candidats des autres partis provinciaux donnent souvent l’impression d’aller à l’abattoir quand ils se présentent contre.

Le patriarche Marc-André conseille encore ses troupes et participe à tous les grands rassemblements partisans en campagne. Ils ont aussi une solide organisation qui démarre rapidement une fois les élections déclenchées.

Depuis près de 40 ans, cette famille et ses alliés contrôlent donc le mouvement souverainiste du comté avec ferveur. Même le maire Tremblay s’incline devant les Bédard et ménage ses sorties contre cette dynastie. Les péquistes devraient donc conserver facilement le comté le 8 décembre. Après tout, le Bloc a lui aussi fait élire son député à Chicoutimi en profitant de l’organisation souverainiste.

Le danger que le PQ perde des plumes au Saguenay est plus grand dans Dubuc et dans Jonquière. Dans Dubuc, il y a beaucoup de Simard et le candidat libéral s’appelle justement Simard, Serge. C’est aussi simple que cela.

Le député péquiste, Jacques Côté, a pris sa retraite tard au début de la campagne électorale. Le candidat qui a été élu pour le remplacer, André Michaud, a eu à peine le temps de s’organiser. Et malheureusement pour lui il ne s’appelle pas Simard et il n’habite dans le comté.

D’ailleurs son adversaire ne cesse de marteler qu’il est «parachuté » parce qu’il demeure dans Jonquière. Ici, les électeurs et les candidats misent beaucoup sur les habitudes et les particularités locales. Il faut dire aussi que la Baie est une enclave dans le Saguenay, un secteur à part des autres avec plein de petits villages et des familles qui se connaissent toutes. Ils étaient majoritairement contre la fusion municipale avec Chicoutimi et Jonquière.

Le candidat libéral joue sur cette corde consanguine pour attacher ses votes. Il profite surtout du départ précipité du député péquiste pour se faufiler à l’Assemblée nationale. Lui aussi on oublie de le questionner sur son bilan et quand on essaie de le faire, il se défile.

Sur le fait, par exemple, que la Baie ait perdu des centaines d’emplois avec la fermeture de la Consol sans que les élus municipaux dont il était s’activent à trouver des alternatives.

Dans Jonquière, le candidat et député péquiste, Sylvain Gaudreault, va peut-être l’emporter sur la candidate libérale, une no name, mais par la peau des dents. La libérale profite du courant favorable aux candidats susceptibles de se retrouver au pouvoir. Mais elle n’est pas ministrable évidemment.

Elle utilise les mêmes arguments que Jean-Pierre Blackburn lors des récentes élections fédérales, l’attrait du pouvoir, la possibilité de faire partie du gouvernement en place. Le vote dans Jonquière s’explique souvent par la conjoncture. Lucien Bouchard est passé par Jonquière, Michel Chartrand aussi, c’est le rendez-vous de tous les possibles et des règlements de comptes.

Est-ce que Ti-Jean Tremblay joue un rôle déterminant dans les élections provinciales actuelles ?

J.C. Bouchard : Il est toujours présent quelque part celui-là, malheureusement.
Il faut toujours qu’il dise son mot dans n’importe quelle élection. Les gens votent pour lui depuis dix ans parce qu’il promet à chaque fois de geler les taxes municipales. Pour sauver deux piastres, les citoyens/propriétaires de Saguenay sont prêts à tout, même à voter pour une caricature de politicien.

Le maire ne se trompe jamais quand il se prononce sur tout et rien et quand il se trompe, jamais il ne l’avoue. C’est sans doute pour cette raison que tous les candidats du parti au pouvoir sentent la nécessité de lui faire de l’œil. Même les péquistes s’en méfient.

Le fait que Sylvain Gaudreault lui tienne tête régulièrement joue sans doute contre lui dans la présente campagne. Tous les candidats libéraux au Saguenay y ont fait leur profession de foi très tôt au début des élections. Oui, Ti-Jean est pesant et encombrant en campagne provinciale et fédérale. Et en campagne municipale, il frôle la dictature.

Comment se comportent les électeurs au Lac Saint-Jean ?

J.C. Bouchard : les forces sont plus équilibrées au Lac. Aux élections fédérales, c’est le comté de Roberval qui a toujours dominé avec ses députés et ses ministres. Parfois bloquiste (Michel Gauthier), parfois conservateur ( Benoît Bouchard).

Habituellement quand les électeurs de ce comté votent bleu au Fédéral, comme c’est le cas aujourd’hui avec le député/ministre Lebel, ils votent rouge à Québec. Mais les péquistes sont tout de même bien en place à l’heure actuelle. Ça dépendra du courant et de la direction du vent libéral si le député péquiste Denis Trottier résiste ou non.

Pendant longtemps, l’ancien ministre Jacques Brassard jouait un peu le rôle du leader souverainiste au Lac comme le fait encore Marc-André Bédard au Saguenay. Mais depuis qu’il s’est converti en polémiste de droite dans Le Quotidien, les péquistes jeannois l’ont répudié. On déplore son virage et ses coups de gueules réactionnaires. On le traite désormais comme un ex-politicien plus ou moins encombrant, isolé dans ses anathèmes.

Le comté d’Alma va toujours voter péquiste, souverainiste. C’est encore plus inscrit dans les mœurs politiques de cette autre enclave de voter pour l’indépendance que dans Chicoutimi. À Chicoutimi, on vote pour l’homme, la famille Bédard, à Alma on vote pour le parti.

On votait bleu avant que Jacques Brassard se présente pour la première fois au début des années 70. Alors que, dans le comté de Jonquière, on peut changer de bord à l’occasion, à Alma, on ne change jamais. Comme dit un de mes confrères de travail en science politique, «on voterait pour un cochon peinturé en bleu dans Alma ».

Et le fait qu’un syndicaliste affilié à la FTQ se présente comme libéral dans Alma ne me surprend pas outre mesure. Ce candidat se cherche une tribune et une job à Québec. Comme l’ancien président de la CEQ, Charbonneau qui s’était retrouvé député libéral lui aussi. Parfois le syndicalisme mène à tout, même à l’Assemblée nationale. On pourrait nommer d’autres cas à travers l’histoire politique provinciale.

Sur le plan de la valeur des candidats et des politiciens en général, tant au municipal, au provincial qu’au fédéral, je trouve que les élus du Lac ont plus d’envergure que ceux du Saguenay.

Si l’on compare le parcours politique et les idées du maire d’Alma, Gérald Scullion, Denis Trottier dans le comté de Roberval, deux militants environnementalistes de longue date, ce sont tout de même des politiciens qui se démarquent par rapport aux petits politiciens du Saguenay comme le maire Tremblay et ses échevins dociles du conseil municipal.

Au Saguenay comme au Lac, on commence à renouveler les candidats péquistes. C’est de bon augure. La relève se pointe. Du côté des libéraux, on puise toujours dans la même marmite des élus municipaux et des politiciens retraités. Québec solidaire n’est pas encore sorti de l’ombre. Il faudra bien qu’on trouve une ou deux autres familles Bédard pour animer la vie politique provinciale régionale et la renouveler un de ces jours.