Rencontres syndicales II

2008/12/01 | Par Pierre Dubuc

Sommaire :

Un syndicat au cœur de la crise
La FTQ-Construction prête à revoir le mode de négociation
« On ne veut pas seulement être des ‘‘brancheux’’ et des ‘‘débrancheux’’ »
Les TCA prêts à en découdre avec Harper


Un syndicat au cœur de la crise

Quand j’ai rencontré Michel Ouimet, l’industrie forestière et papetière au Québec tremblait devant la menace que le géant Abitibi-Bowater se place sous la loi sur les arrangements avec les créanciers. Si cette compagnie tombe en faillite, c’est 7 600 travailleurs et plus de 8 900 retraités qui seraient affectés. « On est assis sur le bout de notre chaise. Déjà, la moitié des scieries et des papetières sont fermées », de dire le vice-président du SCEP-FTQ qui craint que le désastre de Lebel-sur-Quévillon s’étende à d’autres villes-ressources au Québec.

Michel Ouimet a l’habitude d’être au front. Son syndicat, comme son sigle le proclame, a des membres dans les secteurs des communications, de l’énergie et du papier. En effet, le SCEP a été sur la sellette au cours des dernières années avec la fermeture de l’usine de la Goodyear à Valleyfield, les multiples changements chez Bell Canada et, plus récemment, le conflit chez Petro-Canada qui s’est terminé par une étincelante victoire après treize mois de lock-out.

Une catastrophe sociale

Mais aujourd’hui, c’est le secteur du papier qui préoccupe cet ancien technicien en informatique chez Bell. AbitibiBowater a une dette monstrueuse de 6 milliards de dollars dont 347 millions venant à échéance le 30 mars 2009. Plutôt que de chercher un refinancement auprès des pouvoirs publics comme l’industrie automobile, la compagnie semble vouloir préférer la liquidation d’actifs, c’est-à-dire la vente d’installations hydro-électriques en Ontario et au Québec, ce qui aurait pour effet de rendre non-concurrentielles les usines qui y sont rattachées.

Finalement, c’est Hydro-Québec qui est venu à la rescousse d’AbitibiBowater en achetant pour 615 millions de dollars la part de la compagnie dans la centrale hydroélectrique de Manicouagan sur la Côte-Nord. Les travailleurs et la communauté de Baie-Comeau ont approuvé cette transaction puisque la compagnie s’est engagée à investir 100 millions de dollars dans l’usine à même les bénéfices de la vente.

Les syndicats soupçonnent AbitibiBowater de vouloir profiter de la récession pour fermer des usines étant donné la baisse structurelle de la demande de papier journal en Amérique du nord et le déplacement de la production vers l’Amérique latine et l’Asie.

Tout cela se déroule au moment où les conventions collectives viennent à échéance le 30 avril 2009. Ne pouvant ignorer le poids considérable que représente AbitibiBowater dans le secteur des pâtes et papiers avec ses onze usines et ses 5 000 travailleurs syndiqués au SCEP dans l’est du pays, le syndicat a choisi d’en faire la compagnie cible pour établir le « modèle » de négociation pour l’industrie.

AbitibiBowater a demandé une prolongation d’un an de la convention collective, mais le SCEP est réticent à accepter cette offre. Il a conclu en juillet dernier dans l’ouest du pays une entente fort avantageuse - avec des augmentations salariales supérieures à 2 % à chacune des quatre années de la convention collective -  avec la compagnie Canfor Pulp, entente qui a été appliquée, en vertu de la stratégie du « modèle », à toute l’industrie dans l’Ouest.

Le SCEP a toujours eu une convention modèle dans l’Ouest et une autre dans l’Est du pays, sans grande disparité entre les deux, et reporter la négociation avec AbitibiBowater risquerait de creuser un écart entre les deux.

Cependant, personne ne nie que le contexte est extrêmement défavorable dans l’est du pays. « En  plus des difficultés financières d’Abitibi, il y a la hausse du dollar canadien, l’entente sur le bois d’œuvre, l’augmentation du prix du pétrole, la réduction des droits de coupe qui rendent nos usines moins concurrentielles, de même que la chute de la demande avec la crise », d’ajouter Michel Ouimet.

On sent que le leader syndical a été très affecté par la fermeture de l’usine de la Domtar à Lebel-sur-Quévillon après un lock-out de trois ans. « On a tout fait pour essayer de relancer l’usine, puis pour reclasser les travailleurs. On a voulu rediriger des travailleurs vers les mines. On a poussé pour qu’ils aient accès à la formation nécessaire. Mais les mines ferment! Il est clair que les CAMO - les Comités d’adaptation de la main-d’œuvre - sont insuffisants. Nous faisons face à une véritable catastrophe sociale. »

Pour empêcher d’autres drames semblables, le SCEP a déjà fait beaucoup, localement, afin d’aménager de nouvelles pratiques pour baisser les coûts de production, mais il n’est pas question de s’attaquer aux conditions prévues par la convention modèle.

Une belle victoire chez Petro-Canada

Malgré les assauts brutaux de la compagnie, une chose est certaine, c’est que le principe de la négociation d’un contrat modèle a tenu le coup chez Pétro Canada. Michel Ouimet n’en est pas peu fier.

« C’était un lock-out sauvage d’une compagnie multimilliardaire. Mais la compagnie a frappé tout un nœud. Nous avons obtenu un très bon règlement après treize mois de lock-out, un règlement qui maintient les éléments clés de la convention modèle, un règlement ratifié par 94,6 % de nos gars », a souligné M. Ouimet.

Peu avant le déclenchement du conflit, la compagnie avait fait la « promotion » d’une vingtaine d’employés à des postes de cadres pour pouvoir les utiliser comme « scabs » et, au cours du conflit, elle a obtenu de nombreuses injonctions contre les lock-outés.

L’arrogance de Petro-Canada a été sans bornes. Au centième jour du conflit, le personnel de direction a même organisé une fête costumée pour narguer les travailleurs.  « Même les cadres ont trouvé que ça n’avait pas de bon sens », a appris Michel Ouimet.

L’objectif implicite de la compagnie était de mettre le syndicat à sa main avant de procéder à des investissements majeurs dans le cadre du projet qui devait acheminer à Montréal du pétrole en provenance des sables bitumineux de l’Alberta. Mais, avec la chute des prix du pétrole et le contexte économique actuel, le projet a été reporté.

Le seul regret de Michel Ouimet dans ce conflit est d’avoir dû abandonner les recours juridiques contre les briseurs de grève. « D’autre part, la compagnie nous accusait d’avoir violé à plusieurs reprises les injonctions et, comme il arrive souvent à la conclusion d’une entente, chaque partie a convenu de laisser tomber ses poursuites judiciaires. »

Faire face à l’anti-syndicalisme de Bell

Le SCEP représente aussi les employés de Bell Canada où l’anti-syndicalisme de la compagnie a forcé le mouvement syndical à faire preuve de beaucoup d’imagination au cours des dernières années.

On se rappellera qu’en 1999, pour contourner l’application de l’équité salariale, Bell avait profité d’un trou dans le code du travail québécois pour transférer les emplois des téléphonistes à sa filiale américaine Nordia - détenue en partenariat avec l’américaine Excell Global Services - sans obligation de maintenir le syndicat et la convention collective.

La loi permettait alors qu’une entreprise de juridiction fédérale comme Bell puisse céder une partie de ses activités à une entreprise de compétence provinciale comme Nordia, sans que cette dernière soit liée par l’ancien contrat de travail et l’ancienne accréditation. Bell avait ainsi congédié 1500 téléphonistes. Les femmes qui ont accepté, par la suite de travailler chez Nordia se sont retrouvées avec une baisse de salaire de 50 % et sans avantages sociaux par rapport à ce que les téléphonistes syndiquées recevaient. Le SCEP a bien tenté de syndiquer ces nouvelles compagnies, mais c’est extrêmement difficile de le faire en raison d’un taux de roulement phénoménal au sein de ces entreprises.

Aujourd’hui, Bell s’attaque aux employés de bureau en délocalisant leur emploi en Inde, nous explique Michel Ouimet. Ce qui est d’autant plus choquant, car ces employés ont fait de nombreux efforts pour ramener leurs conditions de travail au niveau du marché. Mais pour Bell, il semble que ce ne soit jamais assez. Dans ce contexte de menaces de sous-traitance outremer, il faut tout faire pour maintenir les emplois au Québec tout en conservant les accréditations syndicales.

Et Bell n’a jamais de cesse d’attaquer les droits de ses travailleurs. Par exemple, en 1996, lorsque la compagnie a voulu se départir de ses 850 techniciens résidentiels. Le Fonds de solidarité de la FTQ avait alors créé l’entreprise Entourage pour les embaucher. Les techniciens avaient vu leur salaire horaire chuter de 24 $ à 17 $, mais avaient réussi à maintenir leur accréditation syndicale au SCEP et surtout, à conserver leur emploi.

En 1999, Entourage a été cédé par le Fonds à Adrien Pouliot. Bell en détenait 25 % des actions.  Plus tard, Bell a rapatrié Entourage dans son girond. « J’étais extrêmement content de voir disparaître les camions jaunes d’Entourage et qu’Entourage redevienne une filiale de Bell », de raconter Michel Ouimet.

Plus récemment encore, elle a cherché à confier à la sous-traitance le travail de 500 autres techniciens d’Expertech au Québec et plus de 1 000 en Ontario. « Les camions du sous-traitant étaient achetés. Nous avons réussi in extremis à contrer Bell, mais nous avons dû accepter des concessions de l’ordre de 15 % à 20 % afin de sauver les emplois des techniciens dont des centaines étaient à la veille de prendre leur retraite », précise Michel Ouimet.

Un autre objectif auquel tenait l’ancien technicien de Bell devenu vice-président exécutif du SCEP au Québec était de regrouper au sein d’un même syndicat ses membres et ceux de l'Association canadienne des employés en télécommunications (ACET), un syndicat indépendant. Cette fusion s’est concrétisée en octobre 2007. L'ACET représentait alors 12 000 employés de bureau et des ventes au Québec et en Ontario travaillant directement chez Bell ou encore dans les compagnies que cette dernière contrôle.

« Nous avons tentés à plusieurs reprises de marauder l’ACET, mais sans succès. Ce n’est pas facile de faire signer plus de 6 000 cartes d’adhésion. C’est ce qui fait que nous avons finalement choisi de discuter. Nous avons donc pris contact avec la direction de l’ACET et entrepris de longues négociations qui ont débouché sur une entente. La fusion a été acceptée par 87 % des membres », de nous dire un Michel Ouimet, fier de la réalisation de ce rêve qu’il caressait depuis ses tous débuts de syndicaliste, il y a 30 ans.

Cette unité des employés de Bell, enfin tous regroupés dans le même syndicat, sera nécessaire pour faire face à un employeur dont la vente à Teacher’s vient d’échouer et qui fait face à la concurrence de plus en plus agressive de Videotron.

« J’ai rencontré à plusieurs reprises Michael Sabia l’ancien p. d.-g À chaque occasion, je lui ai répété qu’il fallait améliorer le service, qu’il fallait revenir à des voix humaines. Mais sans succès », de nous confier Michel Ouimet.

Il faut espérer que la concurrence rendra la nouvelle direction plus sensible à ces arguments et qu’elle comprendra que les multiples restructurations, délocalisations et sous-traitances ont insécurisé les travailleuses et les travailleurs et sont responsables d’un service pitoyable qui fait fuir les clients. C’est le message que livrera encore une fois Michel Ouimet la prochaine fois qu’il rencontrera la nouvelle direction de Bell.





La FTQ-Construction prête à revoir le mode de négociation

S’il n’en tenait qu’à Richard Goyette, le nouveau directeur de la FTQ-Construction, la prochaine ronde de négociation dans l’industrie de la construction se déroulerait bien différemment des précédentes marquées par l’habituelle campagne de maraudage entre les organisations de travailleurs.

« Face à la crise économique qui s’en vient, nous avons besoin de solidarité et non de concurrence entre les travailleurs. La loi actuelle est dépassée », lance Richard Goyette en ajoutant : « Notre attitude a changé. Nous avons une position ouverte à l’égard des autres centrales. Nous sommes prêts à mettre la main à la pâte pour trouver une approche différente ».

Rappelons que, bien que représentant 44% des travailleurs de la construction au terme de la dernière campagne de maraudage, la FTQ-Construction a été exclue de la table des négociations. Les autres organisations – même si chacune d’entre elles avait obtenue l’adhésion de moins de travailleurs – ont pu être reconnues comme interlocuteur au terme de la loi en regroupant plus de 50% des travailleurs au sein d’une coalition, l’Alliance, qui comprend le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), la CSD Construction, la CSN-Construction et le Syndicat québécois de la construction.

Quelle pourrait être l’alternative à ce modèle qui exclut l’organisation qui a obtenu l’adhésion de près de deux fois plus de travailleurs que sa plus proche rivale (le Conseil provincial avec 26% d’adhésions) ? Richard Goyette n’a pas de proposition précise à soumettre pour l’instant, mais il évoque la possibilité d’un cartel où tout le monde serait à la table de négociation. « Dans les négociations du secteur public, tout le monde est à la table, malgré la possibilité d’allégeances syndicales différentes. Pourquoi pas dans la construction? »

Est-ce que cela priverait les travailleurs du choix de leur organisation syndicale? « Non, répond-il. Le choix se ferait selon d’autres critères, comme la qualité des services que chaque organisation offre à ses membres ».

Quand le bâtiment va, tout va !

L’enjeu est de taille pour les travailleurs et leurs organisations car tous prévoient des temps difficiles pour les 140 000 salariés du secteur, le deuxième en importance au Québec, dont l’activité représente 11% du PIB.

Déjà, le chômage est structurellement associé à l’industrie de la construction, étant donné son mode d’opération. Les chantiers ouvrent, les chantiers ferment. Leur durée de vie ne dépasse pas en moyenne deux mois et demi. Entre deux chantiers, il arrive souvent que les travailleurs se retrouvent sur l’assurance-emploi. « On nous condamne à chômer pour avoir une main d’œuvre disponible quand on en a besoin», constate Richard Goyette qui ne comprend pas comment, dans ces conditions, certains peuvent accuser les travailleurs de fainéantise ou d’être des profiteurs.

Le système actuel prévoit la constitution de bassins de main d’œuvre régionaux pour que la priorité dans l’embauche soit donné aux travailleurs de la région. « Nous favorisons également l’approvisionnement des entrepreneurs en biens et services pour la construction et hors construction dans la région », ne manque pas de souligner le directeur de la FTQ-Construction en insistant sur le fait que le développement économique régional est un objectif de son organisme.

Soucieux de la sauvegarde des intérêts régionaux, Richard Goyette l’est tout autant de ceux du Québec dans l’ensemble canadien et international. Au mois de mars dernier, quand le premier ministre Charest a rendu public ses projets de « nouvel espace économique » avec la France et l’Europe, mais également dans le grand tout canadien, Richard Goyette est intervenu pour souligner que l’industrie de la construction était directement touchée par ces projet. D’une part, par le biais d’une entente France-Québec sur la reconnaissance des compétences des travailleurs qualifiés. Ensuite, par la mise en œuvre complète de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI) quant à la mobilité de la main-d’œuvre à travers tout le Canada.

Richard Goyette, alors directeur-adjoint, a averti le gouvernement Charest que « de telles ententes ne peuvent se réaliser sans la concertation et la participation active des différents acteurs de l’industrie de la construction du Québec»

Pénurie ou manque de rétention de la main d’oeuvre

Les médias parlent souvent d’une pénurie de main d’œuvre dans le domaine de la construction. Richard Goyette aborde le sujet sous un autre angle. « Je parlerais plutôt du manque de capacité de rétention des travailleurs », précise-t-il en pointant du doigt toute la question de la santé et de la sécurité au travail.

« ‘‘De la façon dont on travaille, ça ne ressemble pas à ce que j’ai appris à l’école’’, nous disent plusieurs jeunes pour justifier leur choix de quitter la construction pour un autre secteur d’activité », signale-t-il.

« Il y a dix ans, avec 4% de la main d’œuvre, l’industrie comptait 18% des décès. Aujourd’hui, avec 5% de la main d’œuvre, c’est 25% des décès! », s’indigne celui qui, après des études en droit et son admission Barreau du Québec, a enseigné à l’Université de Montréal la santé et la sécurité du travail de 1982 à 1996 et qui préside depuis plusieurs années le comité de santé-sécurité de la FTQ.

Prenant la craie, il se dirige vers le tableau et nous explique en détails les grands et généreux principes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et … leur non application sur la plupart des chantiers du Québec! « Les dispositions de la loi sont appliquées sur seulement 13% de l’ensemble des secteurs d’activité au Québec et 3% des chantiers. Sur les chantiers, il n’y a pas d’identification des problèmes, pas de comité santé-sécurité, pas de représentant à la prévention. Et les amendes sont ridicules. Le maximum est fixé à 20 000 $, alors que c’est un million de dollars dans d’autres provinces. »

« Pourtant, ce serait faisable, ajoute-t-il. On l’a fait dans les mines et le nombre d’accidents a chuté. Mais, dans la construction, on pense à court terme, on pousse les gens dans le dos en pensant économiser, alors que toutes les études démontrent que ces mauvaises méthodes de travail haussent les coûts de production. »

Le travailleur de la construction est aussi un citoyen

Richard Goyette, qui vient d’une famille d’ouvriers de la construction, a commencé sur les chantiers comme manœuvre à l’âge de 18 ans. À 23 ans, il était élu sur l’exécutif provincial et se voyait charger des dossiers sociaux : assurance-emploi, santé et sécurité au travail, retraite.

Aujourd’hui, plus de 35 ans plus tard, il leur accorde toujours la plus grande importance. « Le travailleurs de la construction a droit, affirme-t-il, à un emploi qui s’exerce dans la dignité et le respect de sa santé et sa sécurité autant sur le plan physique que psychologique. Cet emploi doit lui procurer un revenu décent et lui permettre de se réaliser dans sa vie professionnelle et personnelle. »

Il poursuit : « La société dans laquelle il évolue doit lui permettre de bénéficier de services de qualité en matière d’éducation et de formation, de santé et de sécurité du revenu. Et ces services doivent avoir un caractère public. »

Ces grands principes, ils sont inscrits dans la mission de la FTQ-Construction. Cela explique pourquoi le syndicat s’est engagé à fond dans la campagne contre la privatisation des soins de santé.

Richard Goyette est aussi fier de nous souligner que « la FTQ-Construction participera à la construction des cinq patinoires extérieures que la Fondation du Canadien de Montréal pour l’enfance offrira à différents quartiers de Montréal » et qu’elle s’est associée depuis longtemps à la Maison Victor-Gadbois qui offre gratuitement des soins palliatifs spécialisés à des gens atteints du cancer en phase terminale et au Groupe GYM pour soutenir le Club des petits déjeuners du Québec.

Richard Goyette veut changer l’image des travailleurs de la construction. « On nous présente souvent comme des gens dangereux. Mais j’ai envie de dire aux gens : le travailleur de la construction, c’est celui que vous côtoyer dans votre école, votre hôpital, votre quartier. »

Changer le régime de négociation pour mettre fin aux luttes fratricides. Changer l’image des gars de la construction. Et, pourrions-nous ajouter, changer aussi l’image de la FTQ-Construction. C’est le programme que s’est donné Richard Goyette, son nouveau directeur.



« On ne veut pas seulement être des ‘‘brancheux’’ et des ‘‘débrancheux’’ »

Nous avons rencontré Réjean Porlier, le nouveau président du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec (SCFP 957-FTQ), le jour de la première tempête de neige dans les Laurentides. Une grosse neige mouillée, lourde, celle qui casse les branches, provoque des interruptions de service et nous fait réaliser notre dépendance à l’électricité.

Ses gars, avec ceux des autres unités d’Hydro-Québec, s’employaient à rétablir le service, au grand soulagement des milieux touchés, ce qui est toujours une occasion de constater que le « courant » passe toujours entre la population québécoise et les employés d’Hydro.

Réjean Porlier nous a accordé cette entrevue entre deux assemblées au beau milieu de sa tournée du Québec. Nouvellement élu président – le 15 juillet dernier – avec son collègue Owaldo Montega au poste de secrétaire-trésorier, Réjean s’est donné pour mandat de « raccorder la base avec le haut de la structure ».

Originaire de Sept-Iles, le nouveau président a hésité longuement avant de poser sa candidature à la présidence de son syndicat. Mais des dossiers non réglés, malgré une entente générale intervenue entre Hydro-Québec et ses employés sur le renouvellement de la convention collective, ont vaincu ses résistances.

Ces dossiers, un peu complexes pour des observateurs extérieurs, mais importants pour les personnes concernées, traînent depuis plusieurs années. Depuis 2001, dans le cas du dossier « Valorisation » pour les postes intermédiaires de chefs d’équipe, de supports techniques, de responsables de la coordination. « Les techniciens et les techniciennes sont victimes de leur professionnalisme, accumulant au fil des ans un lot de responsabilités pour lesquelles ils ne sont pas reconnus tout en s’assurant de prendre tous les moyens pour livrer la marchandise », nous explique Réjean pour justifier l’ajustement salarial réclamé.

Un autre dossier touche des différences salariales importantes – pouvant aller jusqu’à 13 000 $ par année – entre des membres de son unité et ceux d’une autre unité syndicale pour le même travail.

Enfin, il y a toujours la volonté du syndicat de maintenir l’expertise chez les gens de l’entretien et de contrer la tendance d’Hydro de profiter des nouvelles possibilités technologiques pour tout rapatrier à Montréal. « On ne veut pas être seulement des ‘‘brancheux’’ et des ‘‘débrancheux’’, ajoute Réjean, Il faut que nos gens, particulièrement la relève, les plus jeunes, puissent avoir un plan de carrière dans leur région. »

C’est pour mobiliser sur ces dossiers ses 2 500 membres répartis sur l’ensemble du territoire québécois que Réjean a entrepris sa tournée. « Pour mener les dossiers à terme, il faut impliquer les gens concernés, précise le nouveau président. Je veux m’entourer de gens qui vont me pousser. Je veux pas tirer. »

Réjean veut revenir à des formes d’action plus directes, basées sur la mobilisation des membres. « Un grief, ça prend de 3 à 5 ans avant de se régler. Je crois plus dans l’action syndicale pour des résultats directs. »

Bien qu’il mette pour l’instant l’essentiel de ses énergies à remobiliser ses membres sur leurs intérêts particuliers, Réjean Porlier demeure préoccupé par les grands enjeux nationaux, particulièrement dans le domaine de l’énergie.

Il y a bien entendu l’éolien, dont les syndicats d’Hydro revendiquent depuis plusieurs années la nationalisation, mais également le dossier des petits barrages privés. « Il y a dix ans, j’avais levé une mobilisation contre la privatisation d’Hydro. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y a de plus en plus de petites centrales privées, sans que cela suscite beaucoup de réactions. Il y a des projets de construction sur la rivière Sheldrake, sur la Rivière-au-Tonnerre sur la Côte Nord. Mais ce n’est pas facile de mobiliser la population », nous dit celui qui fait le pari qu’il pourra y intéresser ses membres après avoir revitaliser sa structure syndicale à partir des questions qui les concernent directement.

Réjean Porlier semble bien parti pour gagner son pari. Une visite sur le site Internet du syndicat m’apprend qu’il a obtenu l’appui de 96% de ses membres dans le dossier « Valorisation ».


Les TCA prêts à en découdre avec Harper

« Il faut tout mettre en oeuvre pour battre les Conservateurs », me lance Jean-Pierre Fortin – le nouveau directeur des TCA-Québec qui succède à Luc Desnoyers maintenant à la retraite – rencontré le jour même où La Presse publiait un sondage donnant le parti de Stephen Harper en avance sur le Bloc au Québec. « C’est sûr que Harper veut aller aux urnes avant que la crise économique s’intensifie et, surtout, avant les élections américaines de crainte qu’Obama l’emporte », précise-t-il.

Ma rencontre avec Jean-Pierre Fortin m’a confirmé que les élections américaines suscitent énormément d’intérêt auprès des syndicalistes québécois. Ses collègues, attablés avec nous avant l’entrevue, supputaient les chances d’Obama. On aimerait bien qu’il gagne, mais on n’ose y croire. « Les Américains sont-ils prêts à élire un Noir ? », se demande-t-on avec scepticisme.

Mais le discours d’Obama et d’Hillary Clinton – elle s’est adressée au congrès la veille de notre rencontre – étonne et plaît. « Les deux ne craignent pas de parler du monde ouvrier, de syndicalisation, de la nécessité d’un système de santé pour tous. Ce n’est pas le discours qu’on entend de nos politiciens ces temps-ci », constatent-ils.

Le nonobstant contre l’arrêt Chaoulli

Jean-Pierre Fortin est particulièrement intéressé par la préoccupation exprimée pour les travailleurs victimes de fermetures d’usines et pour le système de santé. « Au Québec, nous voyons les effets de l’arrêt Chaoulli de la Cour suprême. Il ne devait y avoir que trois opérations (cataracte, genou et hanche) qui pouvaient être confiées aux cliniques privées. Mais, avant de quitter son poste de ministre de la Santé pour le privé, Couillard a augmenté la liste à 56 opérations ! Chez nous, aux TCA, nous croyons qu’il faudrait invoquer la clause nonobstant pour soustraire le Québec au jugement de la Cour suprême et protéger le caractère public de notre réseau de la santé. »

Le nouveau directeur des TCA est aussi très inquiet face aux perspectives économiques et à l’insouciance des gouvernements. « Seulement au cours de la dernière année, trois des usines où nous avions des membres ont fermé : Exceldor (volailles) avec 225 emplois perdus; AGC (verre plat), 250 emplois; Honeywell (aérospatiale), 200 emplois. » Ce dernier cas témoigne de l’incurie gouvernementale. « L’entreprise a obtenu des milliers de dollars en contrats militaires, mais ça ne l’a pas empêchée de fermer au Québec et déplacer sa production au Texas », s’insurge Jean-Pierre.

Au Québec, les TCA représentent toujours plus de 22 000 travailleuses et travailleurs, concentrés principalement à l’Alcan, Prévost Car, Nova Bus, Via Rail, CNCP, Bombardier et Pratt & Whitney, l’entreprise d’origine de Jean-Pierre Fortin.

Faire ses classes dans le conflit de la United Aircraft

« À l’époque, la compagnie s’appelait United Aircraft. J’ai été embauché en juin 1973. Six mois plus tard, en janvier 1974, nous tombions en grève », raconte-t-il en rappelant avec fierté que le long conflit de plus de 20 mois, un des plus célèbres de l’histoire ouvrière du Québec, est à l’origine de l’adoption par le gouvernement du Parti Québécois de René Lévesque de la formule Rand et de la Loi anti-scabs.

Jean-Pierre a été très actif dans la reconstruction du syndicat après le conflit. « Il faut savoir, précise-t-il, qu’il n’y avait plus, lorsque la production a repris, que 800 ex-grévistes sur les 2400 employés. Nous côtoyions les anciens scabs dans l’usine. Les patrons ont flairé la bonne affaire et ont suscité un mouvement pour faire révoquer l’accréditation syndicale. Nous l’avons contré de peine et de misère avec 50% des voix et des poussières. Mais nous l’avons contré !»

Pour effacer les vieilles plaies et mobiliser à nouveau les travailleurs, Jean-Pierre a pris en charge le comité d’information. « Avec nos bulletins d’information, nous avons montré aux travailleurs qu’ils étaient payés 1,25$ de moins que les autres travailleurs de l’aérospatiale. C’était énorme, si on tient compte que le salaire horaire tournait autour de 6-7 $. Puis, nous avons convoqué une assemblée pour exiger la réouverture de la convention collective. Plus de 1 200 travailleurs se sont pointés, autant d’ex-scabs que d’ex-grévistes, tous unis désormais face à la compagnie. »

Identifié par l’employeur comme leader du mouvement, Jean-Pierre est congédié. Mais le tribunal du travail ordonne son retour au travail. « J’ai été convoqué par le directeur du personnel qui m’a dit : C’est la première fois qu’on perd sur une question de congédiement. Tu me sembles un gars brillant. Si tu l’es, tiens-toi loin du syndicat ».

Le lendemain, le syndicat faisait parvenir au patron une lette annonçant sa nomination au poste de délégué d’usine. Le patron s’acharne et le congédie à nouveau. Mais l’argument ne tient pas et Jean-Pierre est réembauché. Pour signifier à la direction qu’elle va devoir mener toute une bataille si le harcèlement se poursuit, il est nommé président du comité syndical.

Avec Bob White pour la fondation des TCA

Par la suite, Jean-Pierre Fortin siègera au Conseil québécois de ce qui était à l’époque les TUA, les Travailleurs unis de l’automobile, affiliés au syndicat américain. « Nous avions formé un conseil québécois parce que nous ne nous sentions pas à l’aise au sein du Conseil canadien en tant que Québécois. »

En 1984, devenu président du Conseil québécois, il prend part à la lutte épique des travailleurs de l’automobile qui allait mener à la scission avec le syndicat américain et mener à la création des Travailleurs canadiens de l’automobile. « Les syndicats américains avaient fait d’importantes concessions à Chrysler et voulaient nous les imposer au Canada. Avec Bob White à notre tête, nous avons décidé de quitter les TUA et former les TCA. J’étais de l’équipe qui a pris cette décision historique », se remémore-t-il avec une grande fierté.

Depuis 1990, Jean-Pierre est permanent chez les TCA, d’abord pour les services aux membres, puis au recrutement. Depuis 2004, il est l’adjoint de Luc Desnoyers à qui il succède. Avec Jean-Pierre Fortin à la barre, les TCA vont continuer à être le syndicat le plus actif au plan politique au Québec. « Dès que l’élection fédérale sera déclenchée, nous réunirons les représentants de nos sections locales pour analyser la situation et concentrer nos énergies dans les circonscriptions où notre aide sera la plus en mesure de faire élire les députés du Bloc Québécois », déclare-t-il prêt à en découdre avec le gouvernement Harper.