Daniel Boucher – Le soleil est sorti

2008/12/08 | Par Benoit Rose

« Heille / Checke, fait soleil » C’est ainsi, dans la prometteuse lumière d’une éclaircie, que Daniel Boucher amorce, et de très belle façon, le nouveau chapitre de sa trajectoire créatrice. La chanson Le soleil est sorti, de l’album du même nom, ouvre la marche sur une note de légèreté retrouvée, de petite victoire intérieure, avec trompettes à l’appui. «Comme si c’était le début / d’une nouvelle vie.»

Il faut dire qu’après le beau trip de La Patente (2004), son précédent disque de compositions originales, Boucher a souffert un bon moment du syndrome de la page blanche. Qu’à cela ne tienne, plutôt que de se tourner les pouces, il a décidé de se monter un spectacle acoustique (Chansonnier) avec l’aide d’un très bon conseiller, Michel Rivard.

Désireux d’expérimenter d’autres facettes du métier, il a également accepté l’invitation du chanteur Bruno Pelletier, qui lui offrait un rôle dans la comédie musicale Dracula. Puis, au printemps 2007, toujours en panne d’écriture, il sortait deux albums en concert, avant d’aller parrainer quelques mois plus tard le Festival en chanson de Petite-Vallée, où on lui rendait un vibrant hommage.

Malgré ces quelques expériences enrichissantes, l’auteur-compositeur, la plume somnolente, demeurait impuissant devant des pages qui n’attendaient que verbes et refrains. Au fil des mois, en entrevue, certains ont pu l’entendre évoquer son petit rien avec l’optimisme de l’homme qui n’a pas le choix d’espérer que ça finisse par sortir. Ça viendra, semblait-il vouloir se convaincre lui-même. Les bœufs sont lents, mais la terre est patiente.

Et puis voilà, enfin, le soleil est sorti, au cœur du printemps dernier : une douzaine de chansons acoustiques ont pris forme de façon spontanée entre les doigts de l’artisan. Le tableau final est assez loin de La Patente, qui était plus électrisante, échevelée et tripative - pour employer le célèbre mot de Jacques Languirand. Les plus sobres chansons de ce nouvel opus ont été soigneusement habillées, avec simplicité, par Boucher et le réalisateur David Brunet, qui co-signe quelques musiques. Aux arrangements auxquels les deux complices nous ont habitués s’ajoutent ici une trompette, un piano et des violons.

Interrogé par l’aut’journal via courrier électronique, Boucher, de sa Gaspésie, s’explique à propos de la couleur de l’album: «La raison la plus importante pour expliquer le son de ce disque, c’est que les tounes, justement, sont arrivées de façon spontanée. On a tout simplement décidé de les traiter comme tel. S’il y a une thématique générale qui se dégage de ce disque, c’est son côté organique et spontané, de l’écriture à la pochette.» Une pochette orange qui semble sortie d’un atelier d’arts graphiques, comme une invitation à s’ouvrir à de nouvelles textures.

Cette envie d’une saine épuration s’entend autant dans les musiques qu’elle se lit dans les textes de Boucher, qui semble vouloir puiser une certaine sérénité dans le dénuement, à travers le retour à quelque chose de plus essentiel, de moins transformé, de moins distorsionné. Comme une envie de ne pas se perdre dans le superflu.

La vie comme une vue, l’une des chansons les plus fortes du disque, est évocatrice du nouvel état d’esprit : «Mettons qu’on fredonne un air / un bel air en habit / un bel air de commencement / un bel air qui pogne dans l’vent / Mettons que ce qu’on fredonne comme air / sonne comme / un bébé, un bébé qui rit». Dans ce même texte, Boucher propose d’admettre que dans la vie, on a rien qu’à croire en l’instant présent, à croire qu’on en a le temps. «La vie vaut qu’on vive, à grands coups d’œil crus», clame-t-il, avant d’ajouter : «La vie comme un livre / d’histoires jamais lues / La vie rien qu’à vivre / La vie comme une vue».

Sur cet album, une chanson détonne particulièrement du répertoire de Daniel Boucher et déstabilise l’auditeur: Le tel quel à vie. Enrobée de cordes, cette chanson sonne à la fois plus mature et gracieuse, notamment dans la voix, mais à la fois un peu kitsch romantique. Comme du Joe Dassin qui monte au ciel. Au niveau de ses influences, on est plus près de Ferland que de Charlebois. Qu’a-t-il à dire à propos de cette chanson? «Quand elle est arrivée, celle-là, j’ai eu l’impression que le facteur s’était trompé d’adresse. Mais je la trouvais tellement belle que je l’ai gardée au lieu de la renvoyer.»

Cette chanson l’a surpris, mais il l’aime visiblement beaucoup: «Il m’est difficile d’expliquer ce que cette toune-là me fait comme effet… Ce que je ressens quand je l’entends est très intense. Je sais qu’elle surprend, comme plusieurs autres tounes de ce disque, et c’est tant mieux. Il y a tellement de facettes de moi que je n’ai pas encore explorées sur disque. S’il fallait qu’on ait déjà fait le tour de ce qu’on est après deux albums, faudrait sérieusement penser à changer de métier.»

S’il se fait plus tendre, il tient quand même à préciser ceci: «J’ai le doux gentil / Mais jamais je ne te mononclerai», chante-t-il sur Sans ma mie, chanson en clair-obscur. D’ailleurs, si un soleil est sorti, celui-ci n’est pas à l’eau de rose. On ne parle pas d’un soleil cheap. Car avec les années, on a appris à connaître le bonhomme : sur tous ses albums, il y a cette incessante quête du vrai, du pas fake, d’une vie sans jouer de game, pour employer son propre langage. Dans Sans ma mie, il réitère : «Peux-tu m’emmener plus loin que ça? Peux-tu me montrer la beauté du mat? Du pas verni? Du pas lustré?»

Si sur ses autres recueils Dix mille matins (2000) et La Patente, Boucher aimait souligner les valeurs phares que lui a transmises son père, entre autres une certaine franchise envers soi-même et un sens de la dignité, on constate dans Le soleil est sorti que le jeune père apprend, à son tour, à tenir le flambeau du guide pour son fils Émile, petit homme haut comme trois pommes. Déjà, à la fin de l’album précédent, la chanson Petit Miel évoquait l’attente de sa naissance : «T’en viens-tu, mon petit / Ma petite, mon dodu / Ma bebitte, mon tiboutte / Ta visite est attendue».

Les années ont passé et ce «petit rapprocheur de source» est là, à ses côtés. Observant ses premiers pas dans la vie dans l’enfantine Parc Laurier, Boucher évoque aussi cette paternité et ce passage à relais dans la plus douloureuse Sentir le vide : «Passé l’âge qu’avait mon guide / quand j’ai choisi son tombeau / ah pis là / j’tape la trail de mon kid / pis y vente / pis y grêle / mais c’est dimanche / pis lui / trouve le moyen de toutte trouver beau». La vie est dure et belle à la fois. Et puis, ça dépend du regard qui se pose sur elle.

Mais si le soleil est bel et bien sorti, c’est qu’il y avait temps gris pour le poète. De toute façon, que serait la belle grande lumière sans les ombres au tableau? De ce chapitre nouveau, il se dégage aussi les sentiments plus tristes de la perte (Sans ma mie), d’une vulnérabilité (Sentir le vide) et d’un constat parfois cru face au chemin parcouru et à parcourir, chemin truffé de mille pièges.

En témoigne la chanson Marcher: «S’faire pogner par la gloire / S’faire pogner par le monde / Mourir aveuglé / Voir juste avec ses faux yeux / Ceux d’en haut là tsé / Manquer le meilleur / Voir le plus laid / Voir le moins vrai». Et plus loin, une lourde lassitude : «Toujours marcher / Toujours le chemin / Toujours le même chemin / la même ligne jaune ou pointillée / qui passe, qui passe les journées / Les mêmes journées». On a beau se faire souriant, il reste une place pour la fatigue, l’écoeurement et l’absurdité du cours des jours.

Si ce nouvel album de Boucher n’apparaît pas à première vue comme un excellent cru, il reste néanmoins assurément mature, profond, honnête. Comme si dans l’oeuvre de l’auteur, ce chapitre, sans être le meilleur, était néanmoins nécessaire à la continuité de l’histoire. Il révèle des éléments nouveaux et précieux. L’album semble prendre du tonus au fil des écoutes, lui qui nous avait laissé sur notre faim aux premiers instants de découvertes. Peut-être parce qu’un peu inégal. Le monde est grand et Perles-tu, par exemple, sont un peu à la traîne du nouvel élan.

L’apaisante et planante chanson-titre est réellement digne de mention, avec sa touche qui rappelle Wish you were here, de Pink Floyd. Chapeau! Le temps dira si ce troisième album aura plus de succès que La Patente, un deuxième album apprécié par la critique mais plus froidement reçu par le public. Une chose est prévisible, toutefois : Boucher est là pour rester.