Ignatieff et la nation québécoise

2008/12/10 | Par Pierre Dubuc

Dans son livre La révolution des droits – traduit par Jean Paré – Michael Ignatieff explique l’importance universelle du triomphe de l’idéologie des droits humains et ses conséquences sur les droits nationaux du Québec.

Dans cet ouvrage, Ignatieff cite le Canada comme un exemple à suivre et effectivement suivi à l’échelle mondiale. « Je crois, écrit-il, que nous avons réussi, entre autres choses, à réconcilier droits individuels et droits collectifs au sein d’un État multinational et multilingue, et que cette expérience est mieux adaptée au besoin de la plupart des sociétés que les grandes traditions de droits de la France, des États-Unis ou de l’Angleterre. »

Ignatieff consacre plusieurs pages de son ouvrage à louer le processus constitutionnel qui a mené au rapatriement de la constitution et à l’adoption de la Charte des droits en 1982. Il se réjouit que la question du Québec ait été secondarisé avec la participation des féministes, des autochtones et des citoyens ordinaires et – contrairement à Habermas – Ignatieff endosse le fait que la Charte reconnaisse, en plus des droits individuels, « des droits collectifs, comme les droits linguistiques, l’égalité des sexes, la diversité culturelle du pays et les revendications territoriales des autochtones ».

Dans La Révolution des droits, Michael Ignatieff montre bien les limites imposées au Québec par l’idéologie des droits civiques. « Le Québec, écrit-il, a pleinement le droit d’être reconnu comme société distincte, avec ses lois sur la langue et sur l’immigration, et avec un système scolaire qui diffère de ceux du reste du pays précisément pour protéger sa différence ». Pour lui, « ce n’est pas la nature des exigences du Québec qui est insupportable, mais la menace de sécession qui les accompagne ».

L’autodétermination, ajoute-t-il, « n’implique pas nécessairement le droit à la sécession. La sécession et l’indépendance se justifient pour une nation menacée de destruction, et seulement si la possession des pouvoirs d’un État souverain garantit son salut ». Cela n’est de toute évidence pas le cas du Québec pour Ignatieff. « L’existence du Québec n’est pas en péril, et les Québécois n’ont pas besoin d’un État indépendant pour diriger leurs affaires », déclare-t-il.

Puis, Ignatieff met cartes sur table. « Le vrai problème est que nous n’avons pas la même vision de l’Histoire. Ce n’est pas une question de pouvoirs ou de droits, mais de vérité. Nous n’habitons pas la même réalité historique. Et il est grand temps d’y parvenir.

Deux générations de Canadiens anglais ont demandé respectueusement : “ What does Quebec want ? ” Le temps est venu pour nous, Canadiens anglais, de dire qui NOUS sommes et ce qu’est NOTRE pays. Et la réponse est celle-ci : nous sommes un partenariat de nations, une communauté de peuples unis dans une citoyenneté commune et l’égalité des droits. Nous avons une histoire commune et, bon gré mal gré, il nous faut partager une même vérité. »

Puis, il énonce la « vérité » que nous devons partager. « Et voici la vérité du Canada anglais. La conquête britannique de 1763, loin d’étouffer le fait français en Amérique du Nord, a apporté l’autonomie aux Canadiens-français pour la première fois. » Martelant à nouveau que « la vérité est la vérité, le droit est le droit », Ignatieff en remet et affirme que c’est la Conquête qui « a assuré la survie d’un Québec démocratique en Amérique du Nord ».

Le message est drôlement clair. Même s’il franchit tous les obstacles placés sur son chemin – campagne de commandites fédérales, chantage économique, menaces de partition, loi sur la « clarté » - le mouvement d’émancipation de la nation québécoise se butera, même au terme d’un référendum gagnant, à la « vérité » du Canada anglais.