Lebel-sur-Quévillon, la misère sous le sapin

2009/01/04 | Par Camille Beaulieu

Lebel-sur-Quévillon- La papetière Domtar met la clé à la porte de sa scierie et de son usine de pâtes de Lebel-sur-Quévillon. Après trois années d’un interminable look out, l’employeur a scellé, une semaine avant Noël, le sort de 560 travailleurs, la plupart des salariés de la ville.

C’est la faute à « pas de chance» expliquent Québec et Domtar. La déconfiture du marché de la pâte et du marché immobilier commande d’éradiquer une municipalité de 3100 habitants, créée par Domtar en 1965 pour rapprocher son usine de pâte de sa ressource, le bois.

Trois années de purgatoire

Siège social à Montréal, troisième producteur de papiers non couchés d’Amérique du Nord, Domtar Inc. alléguait déjà la rareté de la ressource et le coût prohibitif de sa main-d’œuvre pour fermer temporairement la scierie et l’usine de Lebel-sur-Quévillon à l’automne 2005.

Domtar composait à l’époque avec une diminution de 25 % de ses approvisionnements après réduction de la capacité forestière au Québec, la constitution d’aires protégées en forêt boréale et la signature de la Paix des Braves sur le territoire de la baie James.

L’entreprise réclamait 120 mises à pied et relégations de travailleurs permanents au statut de travailleurs temporaires en compensation, alors même constatait le président du syndicat, Rémi Lalancette, que l’usine de Lebel-sur-Quévillon avait généré des bénéfices d’une vingtaine de millions de dollars en 2004.

Les syndiqués ont rejeté à 97 % ce dégraissage dans leurs rangs. L’employeur a renchéri en déployant des agents de sécurité. « Ça va faire dur! », prédisait Léo Brazeau, un vétéran des conflits de travail à Lebel-du-Quévillon. Il ignorait à quel point !

Lebel-sur-Quévillon, municipalité cocotte-minute

Les conflits de travail frappent depuis toujours à la façon d’un séisme sur Lebel-sur-Quévillon. Le temps s’arrête, la pression grimpe, les caractères s’aigrissent au sein de ce microcosme résineux qui court de l’Abitibi au Lac-Saint-Jean à 617 kilomètres au nord de Montréal.

Les équipements culturels et sportifs compensent mal un centre ville réduit à sa plus simple expression: une épicerie, une quincaillerie, trois distributeurs d’essence, où, pour s’haïr, on ne s’en marche pas moins sur les pieds. Six jeunes y ont mis fin à leurs jours en 2 000.

« Les travailleurs vont devoir repartir ailleurs de zéro », déplore Luce Paradis trésorière municipale. Les plus âgés ravalent déjà des rêves de retraite dorée. Et pour cause : « La maison est généralement le plus gros investissement d’une vie. »

Personne ne peut présumer de la valeur des 1065 maisons individuelles, 72 000$ en moyenne il y a trois ans au rôle d’évaluation de Lebel-sur-Quévillon, quand la ville aura roulé ses trottoirs dans quelques mois.

D’autant que Domtar refuse toute indemnité de départ, compensation pour la dévaluation des maisons ou soutien à la recherche d’emploi à ses ex-travailleurs Jamésiens.

L’enjeu, le bois

Échaudée par la révocation à l’automne 2007 de ses permis de coupe pour avoir fermé ses usines de Grand-Remous et Malartic, Domtar a hésité à faire de même à Lebel-sur-Quévillon.

D’autant qu’on débattait fort à l’époque de la pertinence des transferts de contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestier (CAAF) pour consolider les établissements plus performants.

Domtar a surmonté ses craintes après autorisation du transfert supposément temporaire de ses CAAF de Lebel-sur-Quévillon vers ses usines de Val d’Or et Matagami.

Le gouvernement Charest a d’ailleurs clos tout ce débat existentiel sur les droits de coupes au Québec, le 22 août dernier, en transférant vers l’usine d’Abitibi-Bowater à Senneterre le CAAF de sa scierie de Champneuf.

L’initiative, un précédent depuis la création des CAAF il y a 25 ans, supprimait la seule industrie de Champneuf, Rochebaucourt et La Morandière, coin de pays abitibien où l’on vit de la forêt et d’un peu d’agriculture depuis la fin des années 1930.

Les dés truqués

Champneuf misait pourtant sur un plan de relance de son usine nécessitant moins du tiers du CAAF: «On a travaillé trois ans d’arrache-pied, constate Rosaire Guénette le maire, mais le ministre et la Conférence régionale des élus (Cré) nous ont roulés dans la farine. ».

« Québec et la Cré nous écartent depuis 2006, confirme le coordonnateur du comité de relance de Champneuf, Charles Provost.»

Président de la Cré, jusqu’à mai dernier, Jean-Maurice Matte, est aussi maire de Senneterre. Une pétition circulait dans sa municipalité, il y a peu encore, dénonçant l’exode des réserves forestières. « Les gens ne veulent plus voir passer leurs résineux dans le centre-ville pour aller ailleurs », clamait le maire, Jean-Maurice Matte.

Le Conseil régional de développement (CRDAT), précurseur de la Cré et sur lequel siégeait déjà M Matte, n’a curieusement pas protesté quand, à Amos le 20 janvier 2003, Abitibi-Consolidated (fusionnée à Bowater en 2007) a proclamé ses droits prioritaires sur les forêts d’Abitibi-Témiscamingue, Mauricie et Côte-Nord pour alimenter ses usines de Québec et du Saguenay.

Diviser et faire peur

En priorisant le partage entre utilisateurs et en favorisant la forêt de proximité, le Sommet de décembre 2007 sur l’avenir du secteur forestier a généré des dizaines de projets comme celui de Champneuf. Deux énormes projets au Témiscamingue et sur la Côte Nord, des dizaines de projets moins ambitieux dans toutes les régions. Probablement en vain faute de bois à disposition des promoteurs.

Instruit par les remous qui ont suivi les révélations de Richard Desjardins, il y a une quinzaine d’années, les membres du Conseil de l’industrie forestière du Québec divisent à merveille depuis pour régner. J’envisage, je suppute, je menace de fermetures; je flatte, je berce, j’endors de lendemains meilleurs.

Pétris d’angoisse pour son comté, sa région ou sa municipalité aucun pouvoir ne s’affirme plus dans la gestion de cette ressource publique dilapidée depuis cent ans au Québec, la forêt.

Au diapason ou aux ordres, le gouvernement Charest a entrepris récemment, en supprimant les CAAF, un de ces virages à 180 degrés dont Québec a le secret pour avoir pondu une nouvelle politique forestière au dix ans depuis 1971.

Toutes ces politiques soi-disant miraculeuses ont tourné autour de l’allocation de la ressource et de sa gestion avec ou sans l’utilisateur, quadrature d’un cercle jamais résolue.

Les compagnies mènent les gouvernements avait déjà constaté le Comité des paroisses marginales d’Abitibi, qui disputait aux papetières la mise en valeur des forêts de proximité au début des années soixante.

« Y a de l’ouvrage à faire, résumait un loustic, pour enlever une concession à une compagnie. »

C’est ainsi qu’une région riche d’une Unité recherche et développement universitaire en foresterie, d’un Département de foresterie collégial, d’une Forêt d’enseignement à Duparquet, d’un Centre multirégional de recherches en foresterie de même que d’une Chaire industrielle en aménagement forestier durable et d’une Chaire en foresterie autochtone a appris d’un troubadour têtu que sa forêt est malade. C’est ainsi aussi qu’une ville meurt dans l’indifférence, la peur et la désinformation.