L’industrie du vent : une menace pour l’énergie éolienne

2009/02/15 | Par Aude Fournier

L’auteur est étudiante en sociologie à l’Université de Montréal

Quand on me demande d’où je viens, je n’hésite jamais à répondre « Vianney », bien que la plupart du temps, mes interlocuteurs ignorent l’existence de cette petite communauté d’environ cent cinquante habitants située dans la MRC de l’Érable. Alors, je leur parle des collines qui font notre paysage quotidien, des grandes étendues de forêt, des gens qui y vivent.

Je suis née dans ce village il y a vingt-quatre ans. « C’est bien peu », me direz-vous, mais suffisant pour observer et porter un jugement sur des changements qui ont eu cours et auront cours dans les prochaines années. À partir de 2011, la maison dans laquelle je suis née et où habitent toujours mes parents se trouvera dans un parc industriel… d’éoliennes.

Selon les plans actuels dévoilés par la MRC de l’Érable, environ vingt éoliennes pousseront dans notre champ de vision, dont trois possiblement à 500 mètres de la maison. Le projet, qui initialement devait s’étendre sur l’ensemble du territoire de la MRC de l’Érable, se concentre dorénavant dans le secteur de Vianney.

Malgré mes valeurs écologiques et mon souci pour le développement régional, j’en suis profondément affectée. Le gouvernement Charest a vendu nos montagnes, comme il l’a fait pour nos rivières et nos forêts, mais il a également sali l’image d’une des formes d’énergie la plus propre et la plus prometteuse, l’énergie éolienne.

Si l’arrivée de ce projet dans notre région me désole, elle ne m’étonne pourtant pas. Depuis une dizaine d’années, les « coupes à blanc » se succèdent sur des terrains acquis par de grands propriétaires terriens qui ne vivent pas dans le village. À la diversité qui composait nos forêts s’en suit l’homogénéité des plantations d’épinettes, le drainage des surfaces humides, bref, une gestion rentable, productive et efficace des ressources naturelles.

L’homme exploite la nature plutôt que de l’habiter. Ces surfaces déjà dévastées sont le terreau idéal pour implanter des éoliennes et poursuivre ce « développement des régions ». Après l’homogénéisation des forêts, on industrialise nos paysages.

Cette exploitation intensive des ressources, déconnectée des réalités locales et appuyée sur une logique de profits, s’oppose à ce que mes parents et plusieurs habitants de la communauté s’efforcent de consolider depuis des années, soit une occupation dynamique du territoire. Par exemple, notre centre de ski de fond, entièrement soutenu par des bénévoles de la région, reçoit des skieurs de partout au Québec. La qualité de l’environnement attire des projets d’agriculture biologique et un jardin d’horticulture est ouvert au public depuis neuf ans.

Plutôt que d’accompagner et de soutenir ces projets, le gouvernement impose sa ligne directrice pour le développement des régions, tout en se déresponsabilisant dans le processus qui doit mener aux résultats attendus.

Dans l’optique de redonner du pouvoir aux MRC, le gouvernement provincial leur a relégué la responsabilité de définir le règlement encadrant l’implantation des éoliennes, appelé le Règlement de contrôle intérimaire (R.C.I.). Chacune des MRC concernées par l’un des quinze projets éoliens est donc chargée de négocier les normes de développement avec la compagnie qui gère le projet, dans notre cas, une multinationale espagnole nommée Enerfin Sociedad de Energia.

Or, ce transfert de responsabilités ne s’est pas accompagné de mesures favorisant le développement de ressources humaines et matérielles nécessaires pour gérer de manière compétente ce dossier. Comme dirait mon père, il ne faut pas un « cours classique » pour comprendre que le rapport de force entre ces acteurs est complètement inégal. C’est là un des paradoxes de la décentralisation au Québec. Elle laisse le champ libre au privé.

Les consultations qui ont été réalisées dans la région n’ont jamais véritablement permis d’ouvrir un espace de délibération où la parole des citoyens aurait pu avoir un impact effectif sur le projet. Le seul pouvoir qui nous a été conféré officiellement a été de signer ou non le contrat qui permettait à la compagnie d’implanter une ou plusieurs éoliennes sur notre lopin de terre, en échange de quelques milliers de dollars par année par éolienne. Cette décision ne relève pas de la collectivité, mais d’individus; la démocratie n’est pas le lot du privé.

Le contexte régional est d’autant particulier que dans le secteur de Vianney, une grande partie des éoliennes seront implantées sur des propriétés inhabitées. Ces propriétaires toucheront à la plus large part des redevances, alors que les impacts de ce projet déborderont largement sur celles des autres. Qu’en est-il de la qualité de vie des résidants? De la valeur foncière de leurs propriétés, qui risquent fortement d’être dévaluées? Du paysage que nous partageons?

La logique qui sous-tend ce mode de fonctionnement, propre au capitalisme, va à l’encontre de la Loi sur le développement durable, qui prévoit que toute nuisance sociale ou environnementale (« externalité ») engendrée par un projet de développement doit être considérée et compensée par la compagnie.

Tel qu’il a été adopté, le règlement de contrôle intérimaire de la MRC de l’Érable prévoit une distance minimale des maisons à 400 mètres, ce qui accorde le droit à la compagnie d’ériger autant d’éoliennes qu’elle le désire à une très grande proximité de l’habitation d’un citoyen qui a refusé de signer le contrat. Alors qu’elle est d’une importance capitale pour les résidants, la détermination de cette distance, qui relève uniquement de la MRC, s’est faite de manière arbitraire et sous le signe de la méconnaissance.

Aucune consultation d’études réalisées à ce sujet (par exemple, sur les impacts sonores), aucune consultation des règlements de contrôle intérimaires adoptés par les autres municipalités et surtout, aucune véritable consultation des citoyens. Si cela avait été fait, il aurait sans doute été découvert que la MRC des Jardins de Napierville en Montérégie a fixé cette norme à 750 mètres des habitations et qu’en Californie, cette norme est d’environ 3000 mètres (2 miles).

À cet égard, pour que Enerfin puisse se proclamer comme une entreprise « socialement responsable », elle ne doit pas développer ce projet à partir de la norme arbitraire de 400 mètres, mais plutôt suivre les meilleures pratiques.

Le Québec regorge de potentiel éolien. Il déborde également d’une créativité reconnue mondialement qui pourrait être mise à profit pour que le développement de cette forme d’énergie des plus prometteuses se fasse intelligemment, dans le respect de la collectivité et de l’environnement.

Il y a quelques semaines (Le Devoir, 16 janvier 2009), Louis-Gilles Francoeur publiait un article présentant une vision alternative de l’implantation des éoliennes sur le territoire québécois, en les construisant à même les bassins des barrages hydroélectriques. Plutôt que de poursuivre le développement effréné dans les milieux habités, ce qui non seulement perturbe la qualité de vie des résidants et les liens sociaux dans différentes communautés du Québec, mais contribue également à souiller l’image de l’énergie éolienne, il est temps d’envisager sérieusement ces alternatives qui s’offrent à nous.

Pour plus d’informations, consultez le site internet de la Coalition pour une intégration réussie du projet éolien de l’Érable à l’adresse suivante : http://eolerable.webs.com