Le message de Robert Fisk

2009/02/27 | Par Lorraine Guay

De passage à Montréal les 19 et 20 février derniers,  Robert Fisk, correspondant du journal The Independent de Londres, vivant au Liban depuis plus de 30 ans, ayant couvert toutes les guerres de la région,  ne fait ni dans la dentelle, ni dans la complaisance, ni dans le vitalisme! Ses jugements sur la situation actuelle au Moyen-Orient sont tranchants, implacables sur un ensemble d’enjeux très sensibles.

Obama fera-t-il la différence?

Non! Rappelez-vous, dit-il à l’auditoire,  « qu’Obama a passé 20 minutes avec les Palestiniens et 24 heures avec les Israéliens lors de sa campagne électorale… ça dit tout! » Citant les quelques lignes d’une longue entrevue accordée par Obama au Times et où celui-ci affirme « vouloir bâtir sur les progrès réalisés dans la région », Fisk réplique, en colère : « Mais de quels progrès parle-t-il? Le Moyen-Orient est un désastre et la Palestine, un drame sanglant »! Ne vous attendez pas à grand’chose du côté d’Obama, prévient-il. Les relations USA-Israël sont « bétonnées » depuis toujours et rien n’indique qu’il y aura changement d’autant plus que la chef de la diplomatie est Hillary Clinton, une fervente alliée d’Israël dont les ambitions de devenir la première femme présidente des Etats-Unis demeurent vives. »

Les relations fusionnelles entre Israël et les Etats-Unis - ce que Chomsky avait nommé le « triangle fatal » - seraient donc là pour contredire le «yes, we can…change» du nouveau président américain.

Verra-ton naître un État palestinien?

Non! Robert Fisk ne croit pas non plus que l’État palestinien verra le jour… un jour. Tout a été mis en place par Israël sur le terrain pour faire que la viabilité même d’un État palestinien soit rendue impossible. L’occupation permanente, et le développement des colonies - particulièrement agressif d’ailleurs durant les pourparlers de « paix » d’Oslo -  sont la négation même de la résolution 181 de l’ONU le 29 novembre 1947 sur la partition de la Palestine créant deux États. « Devrait-il naître qu’il ne serait ni viable ni juste. Oubliez aussi la résolution 194 sur le droit de retour des réfugiés, nous dit-il, jamais Israël ne permettra ce retour car ce serait la fin de l’État juif. »

Et les élections israéliennes?

L’improbabilité de la solution des deux États est d’autant plus certaine que la droite qui arrive au pouvoir n’en veut pas et ne s’en cache pas. Il est ironique, selon Fisk, de voir le travailliste et prix Nobel de la paix, Peres, inviter Nétanyahou à former un gouvernement : ce faucon était déçu que « la job n’ait pas été terminée à Gaza »!

L’alliance avec des partis d’extrême-droite ultranationalistes comme celui de Lieberman risque de replonger les palestiniens dans de nouveaux massacres. Ce petit Monsieur en effet refuse de reconnaître le droit du peuple palestinien à posséder son État et propose de faire passer un «serment de loyauté » aux Arabes israéliens sous peine de déportation, une sorte de nouveau nettoyage ethnique comme la nakba vécue en 1948 où près d’un million de Palestiniens ont été chassés de leurs terres. « Obama va-t-il féliciter M. Netanyahou », se demande Fisk ?

Et les forces islamistes?

 Fisk n’est pas tendre non plus envers le Hamas ni le Hezbollah dont il dénonce l’irresponsabilité dans les événements de Gaza et du Liban.

Il note qu’au Liban, de nombreux jeunes quittent le pays « parce qu’ils ne veulent plus vivre dans le dogmatisme, le sectarisme et le confessionnalisme. Mais le Liban est construit sur le confessionnalisme : comment faire alors pour ces jeunes générations? »

La critique du journalisme dominant.

Robert Fisk ne craint pas de fustiger sa propre profession, accusant une majorité de journalistes de se faire les relais des politiques militaristes de leurs gouvernements.

« Le journalisme doit mettre au défi l’autorité, toute autorité, particulièrement quand des gouvernements et des politiciens nous conduisent à la guerre affirme-t-il.  En Amérique, vous ne voyez pas le vrai visage de la guerre. La guerre est une horreur. »

 Mais les chefs d’information censurent, élaguent, adoucissent les reportages, ne craignent pas de carrément changer les titres des articles de leurs reporters, de couper des phrases, pour rendre le tout « acceptable » aux lecteurs.

Les TV  refusent de montrer des scènes trop crues de carnage… par respect pour les morts!!! « Pauvres Palestiniens qui n’ont droit à notre respect que… morts… ! » Pour Fisk la guerre contre les Palestiniens est « la dernière grande guerre coloniale » comme il l’explique de manière remarquable dans son dernier livre.

« Ce n’est pas une partie de football où on couvre le match 50-50 i.e. en donnant autant de temps aux deux côtés. Il n’y a pas de symétrie dans la guerre israélo-palestinienne et oui les chiffres comptent! » Plus de 1500 morts du côté palestinien et une dizaine du côté israélien, ce n’est pas égal comme situation!

« Les journalistes doivent être « neutres et non biaisés… du côté de ceux qui souffrent », a-t-il martelé tout au long de son séjour à Montréal et particulièrement lors de ses rencontres avec des étudiants en journalisme à qui d’ailleurs il a gentiment conseillé de passer moins de temps sur Internet et davantage à lire des livres, à étudier l’histoire pour comprendre le présent.

M Fisk déplore aussi que les Canadiens comme les États-Uniens ne puissent avoir accès à Al Jazeera, la chaîne d’information arabe, laquelle selon lui assure la meilleure couverture de ce qui se passe au Moyen-Orient. 

Dehors les nouveaux croisés!

Mais le message le plus fort demeure le suivant : tous les soldats occidentaux devraient être retirés du Moyen-Orient. « J’ai calculé qu’il y a présentement plus de soldats occidentaux dans cette région du monde qu’il n’y en avait à l’époque des Croisés », constate-t-il.

Et de faire la liste interminable de tous les pays de la région où il y a présence militaire occidentale. Ces pays ne nous appartiennent pas. Il leur appartient de prendre en main leur avenir. Qu’y faisons-nous?

Jamais les journalistes ne posent la question du « pourquoi » sommes-nous au Moyen-Orient. « Nous y serions semble-t-il pour apporter la ‘‘démocratie’’ et les ‘‘droits humains’’…, mais le monde arabe demande la justice et ça, nous ne sommes pas prêts à la respecter ».

Enfin selon Robert Fisk, le gouvernement canadien a cessé de jouer un rôle de maintien de la paix, un rôle respecté au Moyen-Orient jusqu’à l’arrivée de M. Harper au pouvoir avec sa politique d’appui inconditionnel à Israël et sa participation à la guerre en Afghanistan. Et malheureusement M. Ignatieff agit de la même façon…

Le passage de Robert Fisk à Montréal a été un véritable appel à la lucidité. Il nous appartient de transformer la lucidité en solidarité avec le peuple palestinien.


Photo: Mathieu Roy