I stole from a local store

2009/03/02 | Par Michel Rioux

Je crois me souvenir vous avoir parlé de Winston Churchill pas plus tard que le mois dernier. Vous vous rappelez, le type qui vole un rail et qu’on met en prison et l’autre qui vole la compagnie de chemin de fer et qu’on élit au Parlement? Une histoire d’éclair au chocolat qui a provoqué le congédiement de deux travailleurs. Une photo vue dans La Presse du 8 février m’a de nouveau fait penser à ce vieux bouledogue, alcoolique et fumeur de cigares au demeurant, qui a néanmoins tiré le peuple anglais vers le haut quand tout concourait à ce qu’il s’écrase.

La photo en question faisait voir une femme noire marchant sur un trottoir en Floride, une pancarte tenue au-dessus des épaules. « I stole from a local store », pouvait-on y lire. On comprend que la femme s’était rendue coupable de vol à l’étalage et qu’un juge plutôt original l’avait condamnée à faire étalage de sa turpitude en public durant trois heures.

Une canne de tomates payée au prix fort de l’humiliation.

Tout à coup, I had a dream!

Si cette pauvre femme méritait une peine aussi humiliante, à savoir défiler durant trois heures devant ses voisins, accrochée à sa pancarte accusatrice, pourquoi ne serait-il pas possible de faire marcher de la même manière les Conrad Black, Bernard Ebbers, Kenneth Lay, Vincent Lacroix, John Roth, Jeffrey Skilling, Dennis Kozlowski, John Rigas, Michael Milken, Bernard Madoff et autres escrocs de ce merveilleux monde où règne la canaille?

Ce ne sont pas les sujets d’inspiration qui manqueraient pour illustrer les pancartes que devraient tenir à bout de bras ces fieffés gredins. Qu’on en juge!

J’ai volé les fonds de pension de 2 millions de travailleurs.
Bernard Madoff, spécialiste des ventes pyramidales et grand philanthrope devant l’Éternel. Avec l’argent des autres, bien entendu. Accusé d’une fraude de 50 milliards $. Il a été président du Nasdaq.

J’ai volé 150 millions $ à ma compagnie.
Dennis Kolzowski, PDG de Tyco International, condamné à 8 ans de prison pour fraude. Il avait installé un rideau de douche d’une valeur de 6000 $ dans son bureau et fait payer par l’entreprise un party privé au coût de 2 millions $.

À force de la voler, j’ai mis mon entreprise en faillite.
Kenneth Lay, PDG de Enron, a fini par mettre l’entreprise en faillite. Avec un chiffre d’affaires annuel de 100 milliards $, il s’était versé un salaire de 141,6 millions $ en 2001. Apôtre de la déréglementation, Lay avait déclaré : « Je crois en Dieu et au libre marché, ajoutant : Nous sommes des anges; dans toutes les affaires que nous avons conduites, nous sommes les bons gars ».

Je me suis accordé une prime de 200 millions $ pour avoir mis ma banque en faillite.
John Tain, PDG depuis quelques mois seulement de la Merrill Lynch, a mené sa banque au bord de la faillite avant qu’elle ne soit rachetée par la Bank of America. Pour que les hauts dirigeants de la banque touchent des primes de plus de 4 milliards $, dont 200 millions $ pour lui seul, il en a fait devancer le versement.

J’ai pris 12 ans de prison et 8 millions $ d’amende pour une fraude.
Sanjay Kuman, PDG de Computer Associates.

Coupable d’un délit de 3 milliards $, j’ai pris 6 ans de prison et 19 millions $ d’amende.
Joesph Nacchio, PDG de QWest.

J’ai mis en faillite le deuxième plus important opérateur mondial de télécommunications.
Condamné à 25 ans de prison pour fraude, Bernard Ebbers avait mené son entreprise à 41 milliards de dette et avait fait apparaître aux livres 11 milliards $ de revenus fictifs. La faillite de Worldcom a été, jusqu’en 2008, la plus grosse dans l’histoire des Etats-Unis.

Grâce à moi, l’action de Nortel est passée de 124,50 $ à 10 cents.
Quand il a quitté le poste de PDG de Nortel en 2002, John Roth a touché une prime estimée à 139 millions $. Deux ans auparavant, ses pairs de Bay Street l’avaient élu PDG de l’année. Dans ses dîners-conférences pour lesquels il se faisait payer 25 000 $, il reprochait aux gouvernements de ne pas faciliter la tâche aux entreprises en leur imposant des règlementations tatillonnes et en ne leur fournissant pas un environnement fiscal où elles pourraient s’épanouir davantage. Avant de partir, il avait eu le temps de mettre à la porte 10 000 employés. L’hécatombe s’est poursuivie avec son remplaçant, John Dunn. Encore 45 000 employés sacrifiés et des pertes de 27,3 milliards $ en 2003. Une fraude comptable ayant été décelée, Nortel a dû verser 2,2 milliards $ à des actionnaires floués. Aujourd’hui, Nortel s’est placée sous la protection de la Cour pour éviter la faillite et 1500 actions qui valaient 157 000 $ en 2000 n’en valent plus que 17,27 aujourd’hui.

Combien de temps?
Petite opération mathématique. Sur la base d’une peine de trois heures pour un vol à l’étalage de quelques dollars, pendant combien de temps ces messieurs cravatés, respectables, mais néanmoins escrocs, fréquentant l’église et la synagogue, où ils se font rappeler cette loi de la Torah : Tu ne voleras point!, devraient-ils marcher avec leur pancarte pour que justice soit faite?

Cet article paraît dans l’édition du mois de mars du journal Le Couac.