BPC aux Îles-de-la-Madeleine

2009/03/19 | Par Mélanie Gauthier

Quelle ironie que cet empressement de la Garde Côtière Canadienne (GCC) d’aller dire aux médias (1) que leurs analyses d’eau potable à Pointe-aux-Loups n’ont révélé aucune trace de BPC provenant du Irving Whale! Rien d’étonnant, on s’y attendait.

On avait vu venir de loin cette campagne consistant à rassurer la population plutôt que de prendre les moyens nécessaires pour débarrasser les Îles et les Madelinots des déchets toxiques légués par IRVING lors du naufrage de sa barge dans le Golfe St-Laurent, le 7 septembre 1970.
 
La façon dont la GCC présente l’affaire aux Madelinots et aux Québécois, tout semble sous contrôle : on a testé l’eau potable aux Îles, qui selon les analyses, n’est pas contaminée.

On parle aussi dans cet article d’une assemblée publique qui aurait eu lieu à ce sujet. Premièrement, je peux vous assurer qu’il n’y a eu aucune assemblée publique aux Îles à ce sujet.

Seuls les membres d’un comité, sélectionnés par la Municipalité des Îles, ont pu assister à une réunion derrière des portes closes avec les représentants de la GCC qui leur donnaient les résultats des analyses d’eau.

À un résident de Pointe-aux-Loups, qui a fait une demande par écrit à la Municipalité des Îles pour assister à cette réunion, on a refusé la présence, sous prétexte qu’il ne représentait pas un organisme du milieu.
 
Pour ce qui est des analyses d’eau,  précisons ici qu’il s’agit de l’analyse d’échantillons d’eau provenant de puits qui se trouvaient tous à une distance de plus de 1000 pieds de l’endroit où 758 sacs de mazout et BPC ont été déterrés l’été dernier.

Dites-moi, pourquoi prendre des échantillons si loin de l’emplacement  contaminé, alors qu’un puits se trouvait à 500 pieds seulement du trou? Et comment se fait-il qu’aucun échantillon de sol ou d’eau provenant du fond du trou n’ait été analysé après que les sacs aient été retirés?

Logiquement, cette procédure ne s’impose-t-elle pas, afin de savoir si le sol et l’eau ont été contaminés par les déchets toxiques?

On s’attendrait aussi à ce que des analyses d’eau de la nappe phréatique soient faites à différents endroits, puisque les sacs ont été enterrés sur 80 KM de dunes et non-pas seulement près du village de Pointe-Aux-Loups.

Mais non, on s’empresse de rassurer tout le monde, en se basant sur les résultats d’analyses d’une minime partie de la zone possiblement contaminée, résultats que les Madelinots n’ont jamais vus d’ailleurs.

De cette façon, tout le monde peut continuer d’être tranquille, sans avoir sur la conscience le fait que l’on ait laissé ces sacs-là pendant 39 ans. Puisque rien de tragique n’a encore été découvert dans l’eau potable, on va laisser ces centaines de milliers de sacs se décomposer lentement au fil des ans, sans rien faire d’autre qu’attendre qu’ils se déterrent d’eux-mêmes.  
 
C’est d’ailleurs ce que M. Martin Blouin, porte-parole de la Garde côtière canadienne, déclarait pas plus tard qu’à la fin de l’année 2008 sur les ondes de CFIM, la radio locale des Îles. Il décrétait que la GCC n’avait aucune intention de rechercher activement les sacs, mais plutôt de continuer avec leur « stratégie » en place depuis l’enterrement des sacs en 1970 – « stratégie » qui consistait à se croiser les bras et à attendre que les tempêtes et l’érosion se chargent de les déterrer et que des promeneurs trébuchent sur les sacs éventrés sur la dune, déversant leur contenu de mazout bunker C (le type le plus toxique) et de BPC (produit cancérigène), puis contactent la Garde côtière pour les signaler.  
 
Pourtant, on parle ici d’une concentration de 127,2 ppm (parties par millions) de BPC, selon des données d’analyses de Greenpeace dans les années 90 d’échantillons provenant de sacs de mazout du Irving Whale ensevelis dans les dunes des Îles, soit plus de 2 fois la norme admissible dans l’environnement, qui est de 50 ppm.

Et notons ici que la norme considérée « sécuritaire » pour la consommation humaine elle, est de 2 ppm au Canada.  Elle est encore plus sévère au Japon : 0,2 ppm.

Après le renflouage du Irving Whale, des analyses d’Environnement Canada sur le site du naufrage signalaient une concentration, tenez-vous bien, de 10 000 ppm (voir archives La Presse 22 juillet 1995 : Neuf tonnes métriques de BPC au fond de l’eau).

La décontamination du site n’a jamais été faite, suite à la décision du gouvernement fédéral en 1999 qu’aucune mesure ne serait prise pour enlever les BPC et autres produits toxiques qui tapissent le fond du Golfe St-Laurent. (Voir archives La Presse, 24 avril 1999 : Les BPC de l’Irving Whale resteront au fond du Golfe)

Il semble que le même sort soit réservé aux déchets toxiques enterrés dans les dunes des Îles : La Municipalité des Îles déclare dans son dernier Bulletin municipal : « Quant aux sacs de mazout ensevelis dans l’archipel, les études réalisées et proposées au comité jusqu’à présent démontrent qu’aucun danger pour la santé humaine n’est associé à la présence de sacs de mazout dans les dunes... »

Ils devraient plutôt dire qu’aucune des études partielles réalisées jusqu’à présent n’a encore démontré le danger pour la santé humaine.  Encore et encore, tous les prétextes sont bons pour préconiser la « stratégie » du ne rien faire.

Si on attend que les sacs se déterrent d’eux-mêmes, à ce rythme et au nombre qui sont ensevelis, on peut compter des centaines d’années. Allons-nous expérimenter sur la santé de nos enfants et petits-enfants?  La durée de vie des BPC est de milliers d’années. Et que dire des fumées toxiques qui ont été générées par le brûlage à ciel ouvert de centaines de ces sacs remplis de mazout et BPC sur une période de 5 ans dans les années suivant le naufrage?

Il est prouvé que les toxines produites par le brûlage à basse température des BPC sont encore plus dangereuses que les BPC eux-mêmes. Non, aucune étude ou analyse n’a encore prouvé que les BPC du Irving Whale sont en partie responsables pour le taux de cancers 33% plus élevé aux Îles que le reste du Québec.

Mais pour avoir des preuves, faut-il encore vouloir en trouver, en ordonnant des études épidémiologiques, par exemple. Mais on semble plus enclins à tenter de rassurer la population et à tout faire pour laisser le fantôme du Irving Whale enterré, qu’à prendre des actions concrètes pour protéger la santé des gens.

En 1996 pourtant, peu après la médiatisation de la présence de 7 à 9 tonnes de BPC dans la barge du Irving Whale, la GCC prit des mesures pour localiser les sites d’enfouissement. Utilisant une méthode de repérage par levées électromagnétiques, ils identifièrent 9 sites potentiels sur une superficie d’environ 12 km x 102 m dans la Dune de l’Ouest.

Mais cette opération fût interrompue par des intervenants locaux qui trouvaient la méthode de creusage dans les dunes agressive et recommandèrent de ne pas intervenir davantage dans la recherche des sites, afin de « protéger » le milieu naturel.

Se basant sur le principe de l’autruche : ce qu’on ne voit pas, ça ne fait pas mal, il fût donc décidé, sans consultations publiques, qu’on interviendrait lorsque les sacs referaient surface d’eux-mêmes.

On se doute ici qu’Attention FragÎles (organisme voué à la protection des dunes) a eu beaucoup de poids sur cette décision. C’est d’ailleurs ce même organisme qui fût mandaté jusqu’à ce jour par la GCC pour superviser les travaux lorsque des sacs refont surface et qu’un entrepreneur creuse pour enlever le reste des sacs ensevelis à cet endroit.

À des citoyens concernés, qui deux ans passés ont rapporté à Attention FragÎles la découverte de sacs de mazout éventrés sur la dune près de Pointe-aux-Loups, on a répondu de ne pas s’en faire, qu’il n’y avait pas de BPC dans les sacs ensevelis sous les dunes.

Et seulement deux ans plus tard a-t-on creusé ce site près du petit village de Pointe-aux-Loups, d’où l’on a extrait 758 sacs. Selon ce qu’a découvert un des citoyens du village, le site n’a pas été complètement décontaminé. La consigne donnée à l’entrepreneur : enlever ce qui se voyait à l’oeil nu et  rembourrer le trou.  
 
Pourquoi alors, est-il tout à fait correct de creuser dans les dunes pour enlever les sacs lorsqu’ils ressurgissent d’eux-mêmes à la surface, mais considéré agressif de faire une recherche active pour les localiser et ensuite prendre les moyens responsables qu’il faut pour les retirer?  La logique derrière les prises de décisions concernant ce dossier est très discutable.
 
Alors, au lieu de tenter de rassurer la population à n’importe quel prix, une prise de décision ferme devrait être prise de la part de nos dirigeants et organisations environnementales afin que le nettoyage et la décontamination de nos dunes soient faits dans les plus brefs délais.
 
(1) voir Journal Le Soleil, « Îles-de-la-Madeleine : aucune trace de BPC décelée dans l’eau potable », le 19 février dernier, d’Éric Moreault

Mélanie Gauthier est membre de Madelinots en Alerte
www.protegeznosiles.com