Seconde bataille des Plaines d’Abraham

2009/03/23 | Par Claude G. Charron

Tous ceux qui trouvent que la politique est devenue d’un ennui abyssal doivent dire maintenant bravo à un certain Juneau. Cet obscur président de la Commission des champs de bataille nationaux vient de mettre le feu à un véritable baril de poudre avec sa commémoration du 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham qu’il avait presqu’en catimini concoctée. Ce qui a eu pour une ixième fois comme effet de nous démontrer que le combat pour l’indépendance du Québec est loin d’être chose du passé. 

Qui donc est cet André Juneau?  Dans Le Devoir du 3 février, Antoine Robitaille nous le dépeint comme un ardent promoteur de visibilité canadian. En 1999, l’ex-maire de Cap-Rouge devenu fonctionnaire, se faisait rembourser par son employeur, la CCBN, plusieurs contributions politiques. Ce qui le classa au nombre des meilleurs distributeurs de chèques de la machine des commandites à Chrétien. 

Autre témoignage de sa loyauté canadian: en 2004, le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier et John Porter, président du Musée national des Beaux Arts de Québec, auraient souhaité que l'avenue menant au MNBAQ soit rebaptisée « Allée de France » et qu’elle soit bordée de sculptures de bronze de Rodin, Claudel et Bourdelle. Réponse de Juneau : « Vous voulez provoquer le Fédéral? » Notre homme a eu gain de cause : l’allée menant à la colonne du victorieux générale a conservé son nom de « rue Wolfe Street ».
 
En tant que commissaire fédéral au comité organisateur du 400e, monsieur Visibilité a certainement tout fait pour que les activités ne soient que festives et qu’il n’y ait aucune référence historique. À part celle de transformer l’actuelle gouverneure générale en digne descendante de Champlain. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que déjà en 2007,  le projet de commémoration de la bataille des Plaines était en chantier. Lors d’une conférence de presse, Juneau présenta les deux comédiens devant personnifier Wolfe et Montcalm.  La CCBN allait être « l'instigatrice et l'organisatrice » de la reconstitution militaire, « une activité spectaculaire et gratuite », pouvait-on lire dans le communiqué remis aux journalistes. Est-ce que ceux-ci ont eu vent de l’affiche montrant les deux généraux se donnant la main? Robitaille n’en dit mot, mais nous annonce qu’elle n’apparaît plus sur le site de la CCBN. 

Au soir même de la parution du peu flatteur portrait de Juneau, la boîte courrielle du  Devoir s’est remplie de réactions de lecteurs. La plus tonitruante vint de Sylvain Guilbault : « Si cet événement a lieu, je vais prendre une semaine de vacances cet été et montrer à la face du monde et des touristes qu'il y a encore des gens qui se tiennent debout ici. Qu'une défaite vieille de 250 ans peut se métamorphoser en victoire. Que les impérialistes en tentant de la célébrer n'ont qu'à bien se tenir. »

Parmi la quarantaine de réactions, seule celle d’un Fernand Trudel se démarque parce que s’en prenant à Falardeau plutôt qu’à Juneau. Message prémonitoire que celui de Sylvain Racine: « On a peut-être perdu la bataille sur les Plaines, mais la bataille des relations publiques, ce sont les vrais Québécois qui vont la gagner, pas les gros colonisés comme Juneau et la bande à Pratte. »

Prémonitoire en effet, et pour en saisir l’ampleur, il aurait suffi au commun des mortels en ce 18 février, grave lendemain de cuite pour l’Autre Canada, de balayer les titres de leurs journaux suite à l’annulation des commémorations.

Le Globe & Mail: Separatists win Plains of Abraham battle; le National Post: Separatist army claims victory; The Gazette: An ignominious defeat on the Plains of Abraham. Cerise sur le gâteau, le collabo en chef de la Presse qui s’est permis de s’accrocher à ce train défaitiste : Capitulation sur les Plaines. Grand contraste avec le directeur du Devoir avec son Un sage retrait.

Jour de deuil donc pour un André Pratte qui, dans son caustique texte, s’en prend à « la couardise des fédéralistes (qui) laissera, encore une fois, le champ libre à l’interprétation dominante de notre histoire. Cette vision selon laquelle le paradis de la Nouvelle-France fut transformé en enfer par la Conquête, enfer dont nous ne serons libérés que le jour de l’indépendance. »

Et pour étayer sa thèse jovialiste de la Conquête, notre donneur de leçons place tout au côté de son texte moralisant, celui intitulé Détournement de l’histoire et pondu par un prof d’histoire de cégep qui n’a que bile versée pour la « bible souverainiste », dans laquelle il n’est pas écrit que « la conquête n’a pas eu que des effets négatifs sur les Canadiens. »

Donc, malgré les dix mille morts causés par le siège de Québec, malgré la pendaison des Patriotes, malgré le « Good, French-canadianism is entirely extinghished » de George Brown au matin du 1er juillet 1867, malgré l’affront de Trudeau en 82, réjouissez-vous mes frères et sœurs, la « Conquête » ne nous a apporté que du bien. Soyez des cocus contents!         

Or, au matin du 24 février, Pratte a dû avaler son café de travers après avoir lu Tell Quebec where to get off dans le National Post. L’éditorialiste anonyme insiste pour que le Fédéral applique la méthode du tough love contre un Québec incapable de se libérer de la maudite « pensée dominante » imposée par le « groupuscule séparatiste ».

Pauvre Pratte! Il a bien fallu qu’il reprenne encore le bâton de pèlerin pour encore aller expliquer aux Asper que «l’approche conciliante qui, selon le quotidien, n’a pas donné de résultats a quand même réussi à garder le Québec au sein de la famille canadienne malgré les efforts déterminés d’un puissant mouvement séparatiste.» (La Presse du 4 mars) 

Le 26 février, le Maclean’s fulmine à son tour : “This week’s cancellation of the re-enactment of the Battle of the Plains of Abraham at Quebec City is another lamentable moment in the troubling politicization of Canadian history.”  Et, à l’instar de ce qui est advenu au Devoir suite à l’article de Robitaille, la boîte courrielle du Maclean’s s’est vite remplie de réactions de lecteurs indignés. Avec une aigreur, on le suppose bien, non contre Juneau, mais contre ces damnés séparatistes qui viennent de gagner cette seconde bataille des Plaines.      

Les derniers sondages démontrent qu’une forte majorité de Canadians souhaite qu’Harper renverse la décision de la CCBN, tandis qu’une forte majorité de Québécois est d’accord avec l’annulation. Au nom du Québec, Bravo, monsieur Juneau!  Quant à Pratte, eh bien, qu’il continue à s’user les fesses contre la « pensée dominante ». Gros maso, va!        

Cet article paraît dans l’édition du mois d’avril du journal Le Couac